Certains problèmes n'avaient tout simplement aucune solution. Il se savait touché, blessé, atteint d'une certaine façon. Mais il ne l'admettrait jamais. Il était parfaitement conscient que ce qu'ils avaient fait de lui n'était pas normal. Il n'était pas sensé l'être, quoi qu'il en soit. Une arme est conçue pour tuer, un point c'est tout. Comprendre et admettre très clairement qu'il était attiré d'une certaine façon par quelqu'un comme Tessa serait aussi avouer que quelque chose clochait chez lui. Et même s'il le savait, au tréfond de son âme, sa fierté l'empêchait d'ouvrir une telle porte, de chercher une telle solution, d'écouter lorsqu'on tentait de lui dire.
La jeune Buchanan était totalement différente de Lily, sur tous les points ou presque. Et pourtant, une part de lui refusait de la laisser partir. Il comprenait que le terrible monstre qui avait détruit sa vie risquait fort de faire du mal à d'autres si elle restait en vie. Peut être même à Lily... Pourtant, il ne la laisserait pas mourir. La même part de lui qui avait ouvert son coeur à la jeune Cullen refusait également que la mort de Tessa ne soit utilisée contre lui. Il n'était pas stupide, il avait bien compris, désormais, que sauver la brune n'était pas quelque chose de possible. Mais alors, que faire, à présent ? Il la protégeait de plus en plus tout en redoutant le fait qu'elle ne commence à faire une fixation sur lui, que sa maladie ne commence à bâtir des souvenirs ou des vérités dans l'esprit de Tessa, qui n'étaient pas réelles. Et que ferait il, alors ? - Tu es un idiot.
A ces mots, il tourna son regard de brume vers elle, puis répondit d'une voix presque éteinte: - Je ne m'attends pas à ce que tu comprennes... Lui même ne comprenait pas bien pourquoi il agissait d'une telle façon... Il aurait été surprenant qu'elle même ne comprenne pourquoi il lui refusait le droit de sortir, le droit... de mourir. - C'est toi qu'ils veulent, non ? À moins qu'il ne veuille ta mort par culpabilité, je vois pas à quoi me tuer pourrait bien leur servir. - Ce n'est pas aussi simple, rétorqua t'il du tac au tac. Il y a plus de choses en jeu que tu ne l'imagines... Mais pour faire simple, si je suis une cible, alors tu es une cible aussi. Il s'approcha des miroirs, et ouvrit un robinet d'eau, avant de se passer un peu d'eau sur le visage. Il fallait qu'il reste vif, à l'affût, durant les prochaines heures.
C'est alors que la voix de la brune s'éleva pour lui reprocher le lieu dans lequel il les avait poussés, tous les deux, pour se réfugier. Quelques années plus tôt, il se serait forcé à lui expliquer qu'il n'avait pas eu le choix, qu'il avait choisi la seule option qu'ils avaient. Mais cela semblait tellement loin en arrière, désormais... - J'aurais pu, oui... Dans un monde où on aurait pas un sniper au cul, bien sûr, ajouta t'il d'un ton froid et ironique, à la fois. Il s'empara d'un peu de papier pour s'essuyer le visage alors que Tessa en rajoutait une couche, visiblement décidée à tester sa patience. - Je le saurai, répondit Chris, toujours aussi froid. Ne t'en fais pas pour ça. Dès lors qu'il aura décidé de vider les lieux, je le saurai... C'est une question d'instinct... Conclut il finalement avant de jeter le papier dans une poubelle.
Là dessus, il se tourna vers elle, assise au sol, genous ramenés contre sa poitrine. Un silence gênant et embarrassant retomba entre eux. Il ne savait pas quoi dire, et il ne voulait pas prendre le risque d'aller s'assoir près d'elle. Il avait autant peur des réactions potentielles de la brun, que des siennes... Il en vint alors à se demander à nouveau ce qu'elle faisait là, dans ce parc. Les marchés de noël n'étaient pas vraiment son truc. S'il ne s'agissait pas d'un tournoi de gamers online, il y avait peu de chances qu'elle se porte volontaire. Que faisait elle là, alors ? En particulier un soir de noël... Elle avait esquivé ses questions un peu plus tôt. Trop, à son goût. - Qu'est ce que tu faisais ici ce soir, Tessa ? Et ne me refais pas le coup de "Noël est une fête de famille". Tu étais ici, seule, et ta famille n'est même pas de ce côté du globe. Tu traînais seule au milieu d'un marché de noël, en pleine soirée. Est ce que tu as seulement le droit d'être là ? Ajouta t'il soudain en pensant à ce détail. Tout en lui demandant ça, il s'était simplement adossé au lavabo, afin de maintenir une certaine distance entre eux. Il n'était pas à l'aise. En fait, il ressentait un peu le même genre de chose que lorsqu'il s'était retrouvé enfermé toute une nuit dans une chambre d'hôtel avec une nymphomane, quelques années plus tôt.
C'est agaçant. Un marché de noël avec autant de monde aurait dû être un endroit sûr, mais ils ne peuvent jamais avoir un moment tranquille. Elle soupire, assise dans son coin. Ouais, avec la patience de ce genre de mec, autant dire qu'elle est là pour un moment. Elle hausse les épaules, blasée. Franchement, c'est toujours la même rengaine. Non, tu es en danger, bla bla bla. Il n'y a que lui qui s'en soucie. C'est une cible, et alors ? Ca ne changera pas grand chose à sa vie. Que ce type lui tire dessus si ça lui chante, au moins elle est sûre qu'il ne se ratera pas, lui.
» Si tu le dis.
Simple ou pas, elle s'en fiche. Elle veut juste partir d'ici. Elle en a marre des disputes et si c'était pour que ça finisse comme ça, elle aurait sûrement dû rester chez elle. Elle repose sa tête contre ses genoux tandis qu'il repart dans ses explications. L'instinct, hein ? Le même instinct qui le pousse à la garder en vie ? Pas le genre d'instinct auquel il faudrait se fier. Quand il recommence à poser des questions, elle soupire.
» Qu'est-ce que tu me racontes, encore ? J'ai parlé de fête de famille parce que tu m'as demandé pourquoi je n'étais pas en train de fêter noël. Ce qui était une question franchement bizarre et franchement stupide, aussi. Je vois toujours pas l'intérêt que ça aurait. Je suis censée m'offrir un cadeau toute seule dans ma chambre ?
Ils ont déjà eu cette conversation. Mais l'adrénaline affecte la mémoire, paraît-il. Cela dit, elle n'a pas vraiment l'envie ni l'intention de se répéter. C'est lui qui a parlé de fêter noël en famille alors qu'il sait très bien, et qu'elle lui a répété, en plus, que sa famille était aux États-Unis. "Tu devrais être en train de fêter noël au chaud chez toi". C'est ce qu'il lui a dit. Ce qui n'a aucun sens, d'abord parce qu'ils étaient censés se voir, et surtout parce que fêter noël seul n'a pas le moindre semblant d'intérêt. Le principe d'une fête, c'est d'être à plusieurs, après tout.
» Pourquoi je n'aurais pas le droit d'être là ? J'ai interdiction de sortir de ma chambre, maintenant ? Tu vas me pointer un flingue sur la tempe si je mets les pieds dehors ?
Bon, d'accord, elle est peut-être encore un peu de mauvaise humeur. Mais il n'aide pas vraiment non plus... Déjà, parce qu'il l'empêche de sortir de cet endroit nauséabond, et parce qu'il persiste à poser une question à laquelle elle a déjà répondu.
» Tu veux pas buter ce type histoire qu'on puisse sortir ? J'ai envie de rentrer.
Il le fait tout le temps, ça ne doit pas être si compliqué que ça.
Adossé au mur opposé à celui de la jeune Buchanan, le brun se rendit compte qu'une fois encore, elle répondait à côté. Depuis qu'il essayait de déterminer si le problème était plus grave que prévu, elle n'avait pas répondu à une seule de ses questions en s'attaquant au coeur du sujet. D'un coup, la Tessa qui aimait lui faire la leçon regardait ailleurs, répondait à côté. - Je vois toujours pas l'intérêt que ça aurait. - Tu n'étais pas sensée le voir... murmura t'il d'une voix à peine audible, le regard dans le vide. Quelque chose clochait. Elle ne lui disait pas toute la vérité, et il sentait l'agacement monter en lui, au delà de la peur provoquée par ce que ça pourrait impliquer.
Mais il n'était pas le seul dont les nerfs étaient mis à rude épreuve, et bientôt, elle s'exprima une nouvelle fois: - Pourquoi je n'aurais pas le droit d'être là ? J'ai interdiction de sortir de ma chambre, maintenant ? Tu vas me pointer un flingue sur la tempe si je mets les pieds dehors ? Une nouvelle fois, elle tapait à côté. Ce n'était pas ce qu'il voulait savoir. Lentement, il s'avança vers elle, puis s'immobilisa à une poignée de mètres, qu'il estimait "de sécurité". - Ce n'est pas c'que j't'ai demandé... Souffla t'il d'une voix calme, mais encore une fois à peine perceptible. La question n'est pas de savoir si tu as ou non le droit d'être ici. Mais tu n'as pas l'air de le comprendre, alors je vais sauter directement au coeur du sujet...
Quelque chose n'allait pas chez elle. Encore plus que d'habitude. Il savait qu'en posant la question de front, les choses pourraient déraper. Mais ne rien demander non plus serait courir des risques inutiles pour son futur. Le sien, et celui de ses proches. Il ne pouvait pas se le permettre... - Tu veux pas buter ce type histoire qu'on puisse sortir ? J'ai envie de rentrer. - Est ce qu'on avait rendez vous, ce soir ? Oui ou non ?! Réponds à la question ! Trancha t'il d'une voix sèche mais soudain plus puissante, en ignorant sa requête. Il n'y a que toi et moi, ici. Tout c'que j'veux, c'est savoir si on avait rendez vous ensemble, ou pas.
Il ne l'approcha pas, ne la toucha pas, se contentant de l'observer de haut, une lueur inquiète au fond des yeux, un peu comme s'il la découvrait pour la première fois. Mais quoi qu'il en soit, elle était coincée avec lui dans cet endroit sordide. Il ne la laisserait pas partir avant d'avoir eu sa réponse. Soudain, il tourna légèrement la tête sur le côté, comme si son ouïe avait entendu quelque chose. Il fit quelques pas en arrière, et son instinct le lui souffla de plus en plus fort: le sniper était parti... Il avait disparu... Cette sensation d'être observé par une lunette de fusil à longue portée, s'était volatilisée, à son tour. Mais ça, Tessa ne pouvait pas le savoir. Pour l'instant, elle était sa prisonnière, de toute façon...
Soupir. Le moment où il l'écoutait vraiment parler semble déjà faire partie du passé et elle lève les yeux au ciel.
» C'est littéralement ce que tu m'as demandé. Mot pour mot. "Est-ce que tu as seulement le droit d'être là", ce n'est pas une question de savoir si j'ai ou non le droit d'être ici ? C'est quoi, alors, une invitation au bal ?
Va savoir ce qu'il voulait en posant cette question, dans ce cas. Elle n'est pas devin et sa manie de poser des questions pour ne pas accepter les réponses ou ensuit dire qu'elle ne les a pas comprises, même quand elle répond mot pour mot à ce qu'il vient de dire, commence à nouveau à lui taper sur les nerfs. Elle n'aurait pas dû venir ce soir, finalement. Noël a toujours été une soirée désagréable et aujourd'hui n fait pas exception. Sauf qu'il ne veut pas la laisser partir parce qu'il y a une menace dehors.
» Tu ne changeras jamais, hein. Peu importe la question que tu poses et peu importe ce que je dis, tu finiras toujours par essayer de me faire croire que j'ai mal compris, ou essayer de te persuader que je mens. Tu me dis que je devrais être avec ma famille, je te dis que ma famille est aux États-Unis, et ensuite tu dis que c'est moi qui ai mentionné ma famille, comme si tu avais découvert je ne sais quel complot. Tu me demandes si j'ai le droit d'être là et, quand je te réponds, tu me dis que ce n'était pas ta question. Je pourrais te dire que je suis là parce que j'aime marcher sous la pluie, ou parce que j'avais quelqu'un à voir, ou parce que je voulais acheter quelque chose pour une amie, si ce n'est pas la réponse que tu attends, tu vas t'énerver. Peut-être que je ne suis pas la seule chez qui ça ne tourne pas rond. La paranoïa, c'est une maladie aussi, tu sais ?
Peu importe ce qu'elle répond, au final. Qu'elle dise la vérité ou non, et peu importe le ton qu'elle emploie, il s'énervera. Il ne sait faire que ça, ce soir. Probablement la nervosité d'avoir l'autre qui campe derrière la porte, mais elle a mieux à faire que de subir ses sautes d'humeur.
» C'est ça, et quelle que soit ma réponse, tu vas juste me dire "ce n'était pas ma question".
"Tout ce que je veux savoir", tu parles. Il pose des questions, oublie qu'il les a posées, n'écoute pas les réponses, ou s'énerve parce que ce ne sont pas les mots qu'il veut entendre. Elle se redresse, les mains dans les poches de son sweat en regardant en direction de la porte. Qu'elle dise oui ou non, ça ne sera pas la bonne réponse et de toute façon, il lui a ôté toute envie de parler. Après tout, s'il est capable de lui dire "ce n'est pas ce que j'ai demandé" quand elle répond aussi directement à une question, à quoi bon continuer de lui répondre ?
» Je n'ai pas à répondre à tes questions. De toute façon, vu comme tu es énervé, je n'ai pas envie de jouer aux devinettes pour savoir quelle réponse tu veux entendre pour te calmer. Si tu veux vraiment discuter, commence par arrêter de jouer les tyrans et de croire que tout t'est dû. Je ne t'appartiens pas, et je fais encore ce que je veux. Si ça te dérange, ce n'est pas mon problème.
Assassin ou pas, à part s'énerver plus, il ne lui fera pas grand chose, et elle se fiche un peu de l'entendre crier. Son esprit commence déjà à se détacher de l'environnement et elle n'est même pas sûre qu'elle l'entendra s'il recommence à crier. Elle le toise d'un regard vide.
» Et si tu es tenté de me lâcher une énième menace juste parce que je ne parle pas comme tu veux, fais-le, je m'en fiche. Tu n'obtiens rien comme ça à part avoir l'air d'un gamin capricieux.
Le jour où il comprendra que les menaces glissent sur elle sans l'atteindre, peut-être qu'elle aura moins l'impression qu'il essaye de la persuader qu'elle est plus folle qu'elle ne l'est déjà. Elle n'a pas envie de perdre son temps à dénicher et contrer toutes les techniques de manipulation qu'il essaye d'utiliser. Assassin ou pas, il n'a pas son niveau en psychologie humaine.
» Tu as l'air d'avoir déjà tout un dialogue écrit dans ta tête, tu n'as qu'à combler les réponses toi-même.
Elle s'adosse contre un mur, le regard résolument rivé sur la porte, déterminée à ne pas dire un mot de plus peu importe le ton qu'il emploiera. Elle a toujours eu un talent pour ignorer les gens et, si elle ne l'avait jamais fait avec lui jusqu'à aujourd'hui, il n'est jamais trop tard pour commencer.
- C'est littéralement ce que tu m'as demandé. Mot pour mot. "Est-ce que tu as seulement le droit d'être là", ce n'est pas une question de savoir si j'ai ou non le droit d'être ici ? C'est quoi, alors, une invitation au bal ? - Mais non, je voulais dire, par rapport à l'école ! Rétorqua aussitôt le brun pour tenter de se justifier, avant de comprendre qu'il était déja trop tard. Mais très vite, il se rendit compte qu'elle ne l'écoutait déjà plus. Elle lui asséna une longue tirade sur leur conversation, sans pour autant répondre à sa question primordiale, et durant laquelle le brun baissa les yeux pour fixer le sol. Et lorsqu'elle eût fini, un étrange sourire vint étirer les lèvres de l'assassin: - Tu ne comprends décidément pas. Evidemment pas, comment le pourrais tu... ?
Son regard se releva vers elle, et il l'observa en silence quelques instants avant de continuer: - Tu crois que ton érotomanie est une horreur pour toi, mais pas un seul instant tu ne te demandes quelles sont les conséquences pour les autres, autour de toi. Toi non plus, tu ne changeras donc jamais... Toujours aussi égoïste, toujours aussi détachée. Sauf quand ta maladie prend le pas sur tes décisions. - Je n'ai pas à répondre à tes questions. De toute façon, vu comme tu es énervé, je n'ai pas envie de jouer aux devinettes pour savoir quelle réponse tu veux entendre pour te calmer. Si tu veux vraiment discuter, commence par arrêter de jouer les tyrans et de croire que tout t'est dû. Je ne t'appartiens pas, et je fais encore ce que je veux. Si ça te dérange, ce n'est pas mon problème.
Les mâchoires du brun se serrèrent. - Je ne joue aux tyrans que parce que tu ne me laisses pas le choix ! Tu crois que ça me plait de faire ça ?! Merde... Il en avait trop dit. Il n'aurait pas dû dire ça. Doucement, il inspira profondément, comme pour se calmer, et se déporta sur le côté en fixant le miroir brisé. Comme pour ouvrir la voie à la brune et tout en évitant son regard. - Tu as l'air d'avoir déjà tout un dialogue écrit dans ta tête, tu n'as qu'à combler les réponses toi-même. - Non. Ca, c'est TA spécialité, pas la mienne, rétorqua t'il d'un ton glacial.
Soudain, un flash du message qu'elle lui avait envoyé quelques jours auparavant apparut dans sa tête. Il n'y avait jamais répondu, dans le but de la protéger. Dans le but de les protéger toutes les deux. Mais peut être avait il eu tort ? Alors qu'il fixait les miroirs pour éviter de la regarder elle, il se tourna finalement dans sa direction, et la détailla, comme s'il réfléchissait longuement. - Qu'est ce qui était de ma faute, l'autre soir, Tessa ? Il s'avança vers elle et lui saisît les poignets pour la forcer à le regarder dans les yeux. Ses gestes n'étaient pas violents, il y mettait simplement suffisamment de force pour avoir l'ascendant sur elle. - Allez, raconte moi ! Tu m'as dit que c'était la vraie Tessa que j'avais en face de moi, n'est ce pas ? Que ce n'était pas un miroir ! Alors dis moi tout ! Explique moi ! Je ne peux pas t'aider si je ne te comprends pas !
Il n'avait pas pu lui laisser son pendentif. C'était un cadeau de Lily, elle n'aurait jamais dû l'avoir, pour commencer. Il lui aurait bien offert un autre paliatif, mais il savait que c'était impossible. Elle aurait pris ça pour un cadeau. Et cela aurait complètement détruit ce qu'il s'échinait à faire pour elle: l'aider à aller mieux ! Tout comme la brune des mois plus tôt, il eût envie de hurler sa frustration au monde. Intéragir avec elle était tellement compliqué ! Le moindre de ses gestes pourrait être interprété de travers ! La moindre de ses paroles aussi ! Et... Pourquoi était elle là, ce soir ? - Parles moi, bon sang ! Après tout ce qui s'est passé, tu devrais savoir maintenant que je ne te jugerai pas...
Cette question le hantait. Il lui fallait des réponses, et pas cette façon qu'elle avait d'esquiver toutes ses questions à travers son jeu d'âme vide. - Qu'est ce qui s'est passé le soir du 12 ? Pourquoi ce sms ? Réponds moi, Tessa, s'il te plaît ! Tout ce que j'essaie de faire, c'est t'aider ! Et le moins qu'on puisse dire, c'est que tu ne me facilites pas la tâche... Mais pourquoi l'aurait elle fait ? Elle ne lui avait jamais facilité la tâche, jusque là...
Tu crois que ton érotomanie est une horreur pour toi, mais pas un seul instant tu ne te demandes quelles sont les conséquences pour les autres, autour de toi. Toi non plus, tu ne changeras donc jamais... Toujours aussi égoïste, toujours aussi détachée. Sauf quand ta maladie prend le pas sur tes décisions. Elle tique. Pardon ? Alors qu'elle vient de passer de longues minutes à lui expliquer pourquoi elle est dangereuse pour tout le monde, pourquoi elle devrait mourir avant de devenir dangereuse pour les autres ? Elle pensait qu'il l'avait écouté, ce n'est visiblement pas le cas.
» Soit tu as la mémoire courte, soit tu ne m'écoutais pas. Je viens de te dire totalement l'inverse. Mais je t'en prie, décrète que je suis égoïste. À quoi bon, de toute façon ? Je pourrais te répéter encore et encore que je suis dangereuse pour les autres, tu viendras encore me dire que je ne pense qu'à moi-même. J'ai cru que tu m'avais écoutée. Je suis bête. Tu n'écoutes jamais personne. Tu t'es emprisonné dans ta tête et dans ton image, et ça ne changera jamais. Peu importe combien de fois je répète, peu importe combien de fois je te dis que si j'ai essayé de mourir, c'était pour ne plus être une menace, tu me diras que je ne penses qu'aux conséquences pour moi. Quelles conséquences pour moi ? Ce n'est pas moi que l'érotomanie affecte. Mais je peux te le dire dans toutes les langues possibles, tu ne le comprendras pas. Tu dis que c'est moi qui écris le dialogue dans ma tête, vraiment ? Tu veux que je te répète ce que j'ai dit ? Peut-être que je devrais enregistrer, la prochaine fois, pour que tu puisses l'écouter en boucle. Si tu es si malin, cite-moi une fois, une seule, où je n'ai pas parlé des conséquences sur les autres. Même quand tu m'écoutes, tu ne m'écoutes pas. Alors je vais répéter, encore, ce qui t'a cloué le bec il y a cinq minutes. Mon cerveau me fait vivre dans un rêve qui transforme la vie des autres en cauchemar. Il suffit d'un rien, pour qu'une vie parte en fumée. Pas la mienne. C'est celle de Campbell qui est partie en fumée à cause de moi, pas la mienne. Tu as tout faux. Tu as tout faux et tu vois tout à l'envers. Au contraire, c'est quand la maladie prend le pas sur mes décisions que je deviens égoïste. Que je n'arrive plus à penser aux autres. C'est pour ça que j'ai pointé une arme sur lui. Et c'est quand je suis redevenue lucide que je l'ai pointée sur moi.
Elle rigole presque, levant les yeux au ciel en geste d'impuissance.
» Je ne sais pas pourquoi je me fatigue. Tu dis que je ne te laisse pas le choix, mais est-ce que tu as seulement essayé autre chose ? Autre chose que de me lancer ta vérité au visage, ton interprétation, ta vision faussée de ce que je suis, sans m'écouter répondre ? Tu n'essayes pas de me parler, tu essayes de me confiner. De me peindre dans une image confortable parce que la vérité ? C'est que je te fais peur. Tu as peur de moi parce que tu ne comprends pas. Et même quand tu écoutes, même pendant le bref instant où tu entrevois la réalité, tu oublies aussitôt pour te re-murer dans ton image de moi. Tu sais quoi ? J'en ai assez. Tu es comme tout le monde. Vous avez tous une image de moi qui est à des années-lumière de la réalité. Est-ce que je suis responsable ? Pour certains, oui. Pas pour toi. Toi, tu l'as créée tout seul, cette image, à partir de dossiers et de rapports médicaux, de l'image édulcorée et emplie de mensonge que tu t'es fait de ma psychologie sans jamais m'écouter, sans jamais retenir, pour revenir encore et encore et encore à la même rengaine. Égoïste, moi ? Ce n'est pas moi qui persiste, par affection inutile, à garder en vie quelqu'un qui peut détruire celle des autres en un claquement de doigts parce qu'ils ont fait l'erreur de lui sourire. J'en ai assez d'essayer de te faire comprendre que je ne suis pas cette image que tu as de moi. Alors tu sais quoi ? Faisons comme ça. Je vais être celle que tu veux que je sois. C'est comme ça que je fonctionne, tu te rappelles ? Si tu ne veux pas voir qui je suis, je serai celle que tu vois. Égoïste, détachée, à écrire les dialogues dans ma tête au lieu de t'écouter. Ironique, comme commentaire, venant de celui qui n'écoute personne. Moi, j'écoute ce que tu dis. Mais finalement, peut-être que ça n'avait pas d'intérêt.
Elle inspire. Son cœur a repris un rythme qu'il ne devrait pas avoir. Elle ne le sent pas. Elle ne sent plus grand-chose. Ni ses mains, ni l'air sur sa peau, ni le tissu de ses vêtements. Juste le vide, une impression de flotter. Est-ce qu'il parle ? Peut-être, elle n'entend pas grand-chose de plus qu'un son étouffée. Peu importe. Si elle n'est qu'une égoïste incapable de voir le monde autour d'elle, ainsi soit-il. Il ne comprendra jamais. Quelle idiote elle a été de croire qu'il avait compris. J'ai vu, j'ai eu cet instant de lucidité que tu as quand tu vois soudainement le sang sur tes mains. J'ai compris qu'il y avait quelque chose dans ma tête, quelque chose de dangereux, de mauvais, d'infiniment démoniaque qui avait failli me faire tirer sur un homme innocent. Quelque chose qu'il fallait que j'élimine à tout prix si je voulais une petite chance de réparer tous les torts que j'avais causé. Je ne voulais pas mourir. Qu'a-t-il retenue de ça ? Probablement rien. Mais peu importe. S'il est persuadé qu'elle a tiré parce qu'elle voulait mourir, elle ne le fera pas changer d'avis. S'il est persuadé qu'elle se noie dans la tristesse qu'elle a cessé de ressentir depuis longtemps, elle ne le fera pas changer d'avis. Les gens ne changent jamais d'avis, ni d'opinion sur les autres. Ils se font une image, et ils déforment ensuite tout pour s'y accorder. C'est pour ça qu'ils sont si facile à tromper et à manipuler. Un miroir qui leur renvoie ce qu'ils veulent voir. Tout le monde n'est qu'un miroir, à quel moment a-t-elle été l'exception ? Peut-être quand elle a parlé en étant persuadée qu'il l'écoutait. Mais elle se trompait, comme d'habitude.
Elle le regarde sans le voir. Elle ne sent même pas la pression sur ses poignets, détachée de son corps comme du reste. C'est comme l'observer de l'extérieur, regarder un film, assister à une scène. Une seule phrase parvient à franchir la brume de son esprit. Assez pour lui tirer un sourire un peu trop large, et une voix vide de vie, d'émotions ou de réalité.
» Non. Tu ne veux pas m'aider.
Rien de plus. Elle replonge dans sa catatonie, incapable de réintégrer sa conscience. L'aider ? Non. Il veut juste avoir raison. Il veut juste qu'elle s'accorde à la vision qu'il a d'elle. Il croit qu'elle a besoin d'aide, il croit qu'elle veut de l'aide et rien que là, il ne pouvait être plus loin de la vérité. Elle n'a plus envie d'essayer de lui prouver qu'il a tort. À quoi bon ? Ça fait tellement longtemps qu'elle essaye et tout ce qu'elle a eu, c'est de l'énerver. Ça ne sert à rien. Il a décidé qu'il était impossible de communiquer avec elle, décidé qu'elle mentait, décidé que ça ou ça ou ça et rien de ce qu'il a décidé ne peut être plus loin de la vérité. Il la connait encore moins que ceux à qui elle avait menti toute sa vie. Si l'amour rend aveugle, peut-être en est-il la preuve vivante. Mais elle ne veut pas de ce genre de preuve.
Le regard vague, la respiration à peine perceptible, elle pourrait être morte que la différence serait infirme. Son esprit s'est complètement enfermé, loin, dans la bulle qu'il a créée il y a des années de ça. C'est en regardant les choses de l'extérieur qu'on cesse d'être affecté. Elle n'a même plus envie de rentrer. Ni de rester. Ni de rien. Tout son être s'est emmuré pour regarder la scène comme un film. Un film en noir et blanc, sans enjeu ni émotion. Depuis combien de temps ne s'est-elle pas sentie arrachée à son corps, détachée de tout ce qui l'entoure ? Si longtemps… Tellement longtemps qu'elle ne se souvient même pas qu'un psy l'ait déjà mentionné. Si, peut-être une fois. Quand était-ce ? Après le bal ? Dissociation, dépersonnalisation, quelque chose comme ça. Réaction instinctive à un traumatisme. Un seul ? Vraiment... Peut-être que c'est toujours le même, au final. Le même scénario, la même émotion, qui finit par l'arracher à la réalité sans qu'elle puisse le contrôler. À quoi bon, de toute manière ? Autant continuer d'observer, peut-être que son corps fera quelque chose de plus intelligent sans elle.
Tester l'autre en le poussant à l'aide de provocations était une des méthodes préférées du Corbeau. Malheureusement, cette fois ci, il commit l'erreur de pousser Tessa trop loin. Il n'avait pas pris en compte à quel point elle pouvait être instable, et le pire se produisit. Elle se lança dans un long, très long discours dont il devait reconnaître que certains arguments étaient pertinents. Mais lorsqu'il tenta de l'interrompre, elle haussa la voix et poursuivit. Cette fois, il ne la couperait pas, ne l'empêcherait pas. Cette fois, elle en avait marre. Il avait atteint les frontières de sa patience. Pour le pire... - ...Faisons comme ça. Je vais être celle que tu veux que je sois...
Le regard de Chris s'étrécît d'horreur en comprenant ce qu'elle voulait dire: - Non, arrête ! Ce n'est pas ce que... Aucune importance. Elle poursuivit jusqu'au bout ce qu'elle avait à lui dire. Jusqu'à ce que son expression change à nouveau. Elle avait l'air loin, tellement loin. - Ce n'est pas ce que j'ai voulu ! Putain mais regarde autour de toi ! Je n'ai aucune raison d'avoir fait tout ce que j'ai fait si ce n'était pas pour t'aider ! - Non. Tu ne veux pas m'aider.
Les mâchoires du brun se serrèrent, et il l'attrapa au bras, de chaque côté, pour la secouer un peu: - Ah non ?! Alors qu'est ce que j'ai fait dans ce cas, ces dernières années ?! Qui t'a sauvé la vie ? Qui t'a poussé à reprendre contact avec Becky ? Qui a essayé de te comprendre à de nombreuses reprises ?! Tu crois que j'ai fait ça pour l'amour de la psychologie ou quoi ?!
C'est alors qu'il la nota: son expression. Elle ne réagissait plus, ou presque plus. Doucement, il relâcha son étreinte et recula de quelques pas. Elle avait l'air... bizarre. - Tessa ? Réponds moi, au moins ?! Trop tard. Elle semblait plongée dans un état catatonique. Il ne lui restait plus que deux atouts dans sa manche, et il aimerait autant ne pas avoir à les utiliser...
Il se remémora plusieurs passages de leur longue conversation alors qu'un silence terrifiant s'était installé dans la pièce. Jusqu'à ce qu'il se rappelle l'une des phrases qui avait déclenché tout ça: "Parce que c'était prévu..? T'as pas vu mon message ?" - Son message... murmura t'il pour lui même, d'une voix à peine audible, comme s'il était désormais seul dans la pièce. Il tira son portable de sa poche arrière et se rendit compte qu'il était sur vibreur. Mais aussi et surtout qu'il avait un message d'un numéro inconnu. De plus en plus nerveux, il ouvrit le sms et se rendit compte que c'était un message de Tessa... lui donnant rendez vous au marché de noël comme si c'était parfaitement normal. - Ohhh, non... Murmura t'il pour lui même.
Lentement, le Corbeau remit son téléphone dans sa poche. Son cerveau était littéralement en ébullition. Si elle lui donnait ce genre de rendez vous, il n'était pas difficile d'imaginer la suite. Il l'observa sans rien dire. De toute façon, si ça se trouve, elle n'était peut être même plus en état de ressentir sa présence dans la pièce. Chapeau bas, Chris, t'as geré, encore une fois... Si comme il le craignait, elle était tombée dans un état catatonique, une de ses cartes ne lui servait plus à rien, et potentiellement, l'autre non plus, d'ailleurs.
Doucement, il s'approcha en face d'elle, et tenta de lui parler d'une voix calme: - S'il te plaît, ne me force pas à faire ça. J'ai dit ça pour te tester, je sais très bien depuis que tu m'as raconté l'histoire de ta tentative de suicide, que tu n'es pas toujours égoïste. Je me rappelle, je sais que tu t'es tirée une balle dans la tête pour essayer de le sauver. Il n'avait pas l'impression qu'elle soit en état de l'entendre. - J'aimerais pouvoir t'aider en te libérant de ton mal. Quand je t'ai proposé ce pacte, j'étais sincère, tu sais. Mais je ne peux pas. Je croyais pouvoir, vraiment. Mais je ne peux pas. Il prit ses mains dans les siennes en ayant l'impression que quoi qu'il fasse, de toute façon, cela n'aiderait pas. Il se sentait dépassé. - Je ne suis pas ton petit ami, Tessa, lui glissa t'il d'une voix douce. Je peux essayer de te comprendre, je peux essayer de t'aider, mais je ne peux pas faire davantage.
Il prit son inspiration, afin de garder son calme face à cette situation inattendue et des plus critiques: - Je t'ai écoutée, chaque fois que tu m'as parlé. Mais tu as une personnalité dure, complexe... Il fallait que je m'assure que tu ne mentais pas. Je sais que j'ai commis des erreurs, avec toi. Je ne suis pas parfait, et je ne suis pas psy non plus. Je navigue à vue à chaque fois que je dois t'aider. Et dès que je ne vais pas dans ton sens, tu te braques. Il m'est arrivé d'avoir des gestes dont je ne suis vraiment pas fier avec toi, mais encore une fois, c'est parce que je n'avais pas d'autre choix. Ou, en tout cas, je ne voyais pas d'autre choix. Il eût l'impression qu'il s'adressait à un cadavre. Que tout était déja fini, qu'il avait simplement échoué. Et sans qu'il s'en rende compte, des larmes dévalèrent lentement ses joues alors qu'il posait doucement la tête de la jeune fille sur son épaule. De toute façon, peu importe les gestes qu'elle pourrait réinterpréter. Elle n'interprèterait peut être plus jamais quoi que ce soit, à présent. Pourquoi, après tout ce qui s'était passé entre eux, était il si attiré par cette fille capable de lui faire peur par son simple potentiel ? Pourquoi une part de lui s'entêtait elle à vouloir la sauver ? Pourquoi... ne pouvait il pas simplement presser la détente, en fin de compte ?
Il n'avait pas de réponse à cette question. Il désirait l'aider de tout son coeur, de toute son âme. Mais rares avaient été les fois où il avait eu la sensation d'avoir agi positivement pour elle. Quelle était la clé ? Quelle était la solution ? Frustré, un peu paniqué, il plongea son nez dans les cheveux de la jeune femme en essayant de se calmer: - Je suis désolé, Tessa... J'ai essayé... de tout mon coeur... Mais je n'arrive pas à t'aider... A nouveau, un flash de l'étudiante apparut dans sa tête: "Quelles conséquences pour moi ? Ce n'est pas moi que l'érotomanie affecte." Bien sûr que si ! Sans arrêt, elle t'affecte. Tu n'es simplement pas capable de comprendre quand et comment. La Tessa normale n'aurait pas envoyé un message pour se donner rendez vous au marché de noël. La Tessa normale n'aurait pas utilisé le pendentif de Lily comme catalyseur. Elle ne se serait pas non plus sentie attirée par quelqu'un comme le Corbeau. A tout instant, la maladie creusait lentement mais sûrement ses galeries en elle, et elle n'était plus capable de séparer le réel de l'irréel. Si bien qu'en fin de compte, elle préférait tout détruire, plutôt que de continuer à vivre ça.
Le brun relâcha Tessa soudainement, et dégaina son arme qu'il pointa droit sur la tête de la jeune Buchanan. Sa main armée se mit à trembler de plus en plus fort alors que ses mâchoires étaient serrées. Une expression de violente douleur déforma les traits de l'assassin alors qu'on sentait qu'il essayait d'appuyer, qu'il y mettait d'énormes efforts. Des cillons de larmes coulaient le long de ses joues tandis que sa main tremblait toujours. Et soudain, son doigt pressa la gâchette, mais au dernier instant, il détourna l'arme. Un bruit puissant détonna une nouvelle fois dans les toilettes où ils se trouvaient, et la balle frôla l'épaule de Tessa. L'assassin tomba à genoux, devant elle, et il expira puis inspira profondément alors que ses yeux fixaient désormais le sol de la pièce. - Pardonne moi... Mais je n'y arrive pas...
"La vraie Tessa". C'est comme ça qu'il essayait de lui parler, avant. De l'atteindre. Essayer de parler à une version d'elle qui n'existe pas et qui cesse d'exister de plus en plus à mesure que les années passent. Elle ne l'écoute pas. Non : elle ne l'entend pas. Son esprit s'est complètement déconnecté et la réalité lui est aussi étrangère qu'un film avec le son coupé. Il peut dire ce qu'il veut. Prétendre l'aider, dans les faits, il ne s'aide même pas lui-même. Il veut juste avoir raison, se donner la sensation qu'il a réussi à percer à jour un masque qui n'est pas là. Quelques mots semblent quand même percer la brume. Sauver la vie. Elle ne lui a rien demandé. Elle lui a même littéralement demandé l'inverse. Considère-t-il ça comme de l'aide ? Ou a-t-il juste dit qu'il essayait de lui sauver la vie ? Elle n'en sait rien. Elle n'a entendu que ces mots, sans contexte, sans explication, sans logique. Juste sauver. Comme s'il en était capable. Et puis un autre mot. Becky.
Une ombre s'abat sur ce qui restait de sa conscience. Si elle ne l'entendait déjà qu'en partie, ça a suffit à fermer le reste. Sa vision, sa réflexion, ses sens. Elle ne lève pas les yeux. Elle pourrait être dans l'obscurité totale qu'il n'y aurait aucune différence. Becky. Pourquoi a-t-il parlé d'elle ? Pourquoi ce nom est-il apparu dans cette conversation, quelle qu'elle soit ? Elle sait que sa mémoire ne l'aidera pas à répondre à cette question. Becky, Becky, Becky. Sa première amie à Indarë. Sa première erreur, aussi. Donner une seconde chance à quelqu'un est une erreur impardonnable.
Elle ne sait même pas où elle est. Elle ne sent rien, ne voit rien, n'entend rien et ne ressent rien. Juste le vide. Ça ne durera pas, elle le sait. Combien de temps ? Jusqu'à ce que l'émotion qui l'a plongée dans cette état se calme ? Elle n'a jamais pris la peine d'enquêter sur ce sujet. C'est une réaction traumatique, c'est tout ce qu'elle sait. Comme trembler, fuir, pleurer. L'extrême quand aucun des trois ne semble suffisant à son esprit.
Il continue de parler. Peut-être. Elle entend un genre de bourdonnement, ça doit être lui. Elle ne voit pas grand-chose, juste du flou, du gris sur noir sur blanc sur gris, un amas incolore et informe. Elle pourrait deviner des choses si elle était capable de se concentrer, mais ce n'est pas le cas. Elle attend. Son esprit attend que la scène se termine. Avec juste un mot qui tourne en boucle, un seul qui ne résonne que dans sa tête, et le seul qui résonne dans sa tête. Becky, Becky, Becky. Pourquoi a-t-il parlé de Becky ? Quelle rapport avec lui, avec eux ? Avec la situation ? Pourquoi ce nom ? Pourquoi n'a-t-elle pas entendu le reste de sa phrase ?
Ses yeux n'étaient pas fermés, mais elle a l'impression de les rouvrir. Elle regarde le tissu déchiré à son épaule comme si ça ne la concernait pas. Elle ne sent rien. Elle ne sait même pas si ce qui a causé ça l'a touchée. C'était quoi ? Une balle ? Il aurait tiré dans sa direction, lui ? Non. Il n'en est pas capable. Il n'en a jamais été capable et il n'en sera jamais capable. Elle baisse les yeux vers lui. Vide et indifférente. Ça finira par revenir. La dissociation ne dure jamais longtemps. Mais pour l'instant, elle se contente de faire un pas de côté, de passer près de lui comme s'il n'était pas là. Pose la main sur la poignée de la porte. Becky, Becky, Becky. Une répétition. La seule chose qu'elle a entendue, la seule chose quelle a retenue. Elle s'arrête dans son mouvement.
» Becky est partie.
Elle n'a que ça à dire. D'une voix blanche, vide de toute émotion ou de toute intonation. Un fait, froid et pragmatique. Une réponse à la seule chose qu'elle a entendue, quand bien même elle n'a ni information ni contexte sur les raisons pour lesquelles il a dit ces mots. Peut-être qu'il le sait. Peut-être qu'il l'ignore. Elle pourrai ajouter quelque chose. Mais son cœur lui est aussi inaccessible que le reste de ses sens. Peut-être que ça répondra à une de ses questions. De toute façon, comme pour le reste, il y verra ce qu'il a envie d'y voir. Elle ouvre la porte. Sort. Se dégage sèchement s'il essaye de la rattraper, mais toujours sans émotions. Il pleut toujours, mais le froid qui devrait traverser ses vêtements ne l'atteint pas vraiment. Pas plus que le reste. Ça finira par passer. Ça finira par s'arrêter. Comme tout le reste. En attendant, elle veut juste rentrer chez elle. Boire quelque chose. Reprendre ses esprits. Noël n'a jamais été sa fête préférée, de toute façon.