Tessa E. Buchanan

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Est-ce vraiment si surprenant ? De sa part ? Comment peut-il, après tout ce temps, croire qu'elle a un instinct de survie fonctionnel ? Se jeter près d'une arme à feu n'est clairement pas la première expérience suicidaire à laquelle il assiste de sa part. Elle penche la tête sur le côté, recevant la gifle sans tressaillir.

» À toi de me le dire, c'est ton idée.

Essayer de l'aider... Elle ne comprend pas beaucoup plus pourquoi aujourd'hui qu'à l'époque. Enfin si, elle a une petite idée. Tu devrais avoir mal, songe-t-elle en faisant face à son reflet, les cheveux serrés dans son poing. Elle ne ressent pourtant rien de spécial. Un sourire amer étire le coin de ses lèvres, tandis qu'il continue son discours. Oui, il lui avait donné un an. Et ensuite, il l'avait embrassée. Et il ose prétendre qu'il aurait été capable de la tuer ? Non, ils savent tous les deux que c'est faux. Si sa vie avait si peu d'importance à ses yeux, il ne serait pas en train de s'énerver à ce point.

» Regarde-moi dans les yeux et ose prétendre que tu serais capable de me ficher une balle dans le crâne. Stop les faux semblants, hein ? Tu m'as donné un an pour trouver qui je suis vraiment, mais il n'y avait rien à trouver. lâche-moi, ou déboîte-moi l'épaule, mais choisis.

Elle tente sèchement de se dégager avec un claquement de langue agacé. Ils tournent en rond. Elle voulait juste une soirée tranquille, pas se retrouver menacée par un tireur d'élite.

» C'est marrant, parce que je me souviens avoir pointé ton arme sur ma tempe parce que tu n'étais pas capable de le faire toi-même. Tu veux qu'on rejoue la scène ?

Un bref mouvement de tête, et elle rapproche son visage du sien, près de ses lèvres.

» Tu veux que je te rappelle comment j'ai pu la prendre si facilement ?

Il est en colère parce qu'elle aurait pu mourir, et il pense que c'est elle qui a fui ? Elle qui n'a pas voulu que ça en arrive là ? Et c'est elle qu'on accuse de délirer ? Il a préféré l'embrasser que lui tirer dessus, quand il a compris qu'elle n'avait pas de "vraie elle" à montrer. Et ils se sont reparlé assez entre temps pour qu'elle sache ce qu'il ressent quand il n'est pas au bord de l'explosion.

» Je ne t'ai pas menti une seule fois depuis qu'on a passé ce marché. Ce n'est pas ma faute si tu n'apprécies pas le résultat.

Ils ne vont pas se réparer pour si peu, hein ? Tous les couples se disputent, même si c'est intense, ça arrive, tout ira bien.

Tessa E. Buchanan

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Tu parles; Ne pas faire comme si elle le connaissait bien ? Elle le connaît. Mieux que personne, mieux qu'il ne se connaît lui-même. Il a hésité, elle l'a entendu, pas difficile de savoir pourquoi. Peut-être qu'il a fait pire, mais c'était sans émotion, sans attache. Tuer quelqu'un qu'il aime ? Il n'en est pas capable. il y a une marge, un gouffre, entre la violence gratuite et s'attaquer à quelqu'un à qui on s'est attaché.

» Pas particulièrement.

Pense-t-il vraiment qu'elle apprécie leurs disputes ? Si elle avait le choix, elle préférerait qu'ils n'aient jamais à en arriver là. Mais elle ne peut pas prendre cette décision alors qu'il passe son temps à lui reprocher des choses qui n'ont aucun sens.
Le choc la ramena en partie à la réalité. Pas assez d'alcool pour ignorer totalement la douleur. Peut-être qu'elle aurait dû boire avant de venir. Pas assez de dissociation non plus pour détacher totalement son esprit des événements. Elle sursauta malgré elle au premier coup de feu, puis soupira en serrant les dents. Pourquoi ça finit toujours comme ça ?

» Un jeu ? Tu penses que ça m'amuse ? j'aime pas quand on s'engueule, mais ça a l'air d'être la seule chose que tu comprends.

Toujours, toujours pareil. il s'énervait, mais il ne faisait jamais les choses jusqu'au bout. Une éraflure au bras. Elle a vu pire, bien pire.

» Tu sais quoi ? Tu es hypocrite. Hypocrite et cruel. C'est toi qui voulait voir derrière les masques et les faux-semblants, toi qui voulait que je sois moi-même en me disant que les gens ne pourraient m'aimer que si j'étais naturelle. Et tu rejettes la faute sur moi parce que mon "naturel" n'est pas exactement celle que tu voulais voir ? Tch.

Elle se redresse en arrangeant vaguement sa manche pour cacher la déchirure du tissu. Elle gérera le bras plus tard.

» Désolée de ne pas être la demoiselle en détresse que tu cherches pour laver ta conscience. ne fais pas comme si c'était moi, que tu voulais aider. Tu veux juste te sentir mieux par rapport à toutes les saloperies que tu as faites dans ta vie pour être digne de ta prochaine princesse à sauver. Tu pense que je connais pas ça ? La pseudo-rédemption, la tentative de laver le sang sur ses mains en essayant d'avoir l'air de quelqu'un de bien ? Tu penses vraiment qu'on est différents ?

Elle avance d'un pas. Qu'il tire encore, s'il en a envie, elle n'est plus à ça près.

» Tu ne vaux pas mieux que moi juste parce que ton déguisement consiste à faire semblant d'aider les gens. Mais vas-y, joue les héros. Aide les autres à aller "mieux". Tu ne seras jamais normal, jamais "assez pur". Parce que la vérité, c'est que si tu l'étais, tu ne serais pas autant attiré par moi.

Il ne l'aurait pas embrassée, il n'aurait pas passé tout ce temps à lui tourner autour et à lutter pour la garder en vie, la comprendre, la découvrir, il n'aurait pas passé autant de soirées à jouer avec elle et à lui parler sous couvert d'anonymat, il ne serait pas venu ce soir en réponse à son invitation. Il ne serait pas avec elle, tout simplement. Mais il l'est, et il l'aime ; elle sait qu'elle a visé juste avec ses paroles.

» C'est toi qui joues. C'est toi qui affrontes des forces qui te dépassent juste pour te prouver que tu es quelqu'un de bien, ou mourir en essayant.

Elle fait deux pas de plus, s'arrête, relève la tête.

» Qu'y a-t-il derrière ton miroir à toi, hm ?

C'est juste une dispute, c'est juste une dispute, il ne va pas la quitter pour si peu, pas vrai ? Peut-être qu'elle aurait dû faire plus d'efforts pour lui convenir, au moins ce soir. Mais elle sait qu'il n'aime pas les mensonges, alors elle a décidé de rester naturelle. Pour ce qu'elle y a gagné... Si c'était pour que ça finisse comme ça, peut-être qu'elle aurait dû jouer un rôle avec lui aussi... Non, c'est juste une dispute, leur couple y survivra. Tous les couples se disputent, son psy lui a dit que l'absence de conflits même mineurs dans une relation n'était pas toujours signe qu'elle allait durer. Elle n'a pas de raison de s'inquiéter.

Tessa E. Buchanan

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Bien sûr, qu'elle sait de quoi elle parle. C'est lui qui ne comprend pas. Mais ce n'est pas nouveau, personne n'a jamais compris. Ni son père qui a décidé de lui "laisser de l'indépendance", ni Campbell qui a préféré sa stabilité et sa carrière plutôt qu'elle, ni ses amies qui pensaient qu'elle détesterait sa belle-mère par principe alors que l'idée qu'on remplace sa mère avait été la seule bonne nouvelle de sa vie, ni Becky qui était revenue dans sa vie pour en redisparaître. Personne ne l'a jamais comprise et ça ne changera pas. Ce n'est pas pour rien qu'elle a fait semblant aussi longtemps.

» Je ne mens pas, je m'adapte. Et si je m'adaptais à toi, je ne serai pas comme ça, et tu le sais très bien.

Elle était très différente la première fois qu'ils se sont rencontrés. Très différente quand elle était sous l'influence de l'alcool, aussi. C'est presque ironique, qu'il ne fasse pas la différence. C'est lui qui lui a dit d'ôter le masque, mais qui n'est pas capable de se rendre compte quand elle le fait ? à quoi bon, alors ?

» Je n'ai pas dit "depuis ta naissance". J'ai dit que je connaissais ça, pas le reste. je me fiche du reste. Je te parle de cette tentative pathétique d'être le gentil de l'histoire et de sauver tout le monde.

Alors il s'énerve. Et encore une fois, il n'a pas compris. Serrant les dents plus par souvenir des morceaux de verre qui s'étaient plantés dans son dos pendant l'ouragan que par véritable sensibilité à la douleur, elle le fixe avec un regard vide et désabusé.

» Je ne parle pas de ça.

Elle soupire. Pourquoi faut-il toujours qu'il s'emporte aussi facilement ? Ce n'est pourtant pas compliqué de discuter sans se battre. Élever la voix est une chose, mais il fait toujours dans l'excès, depuis le début. Enfin… ça fait partie des défauts auxquels elle s'est habituée.

» Je n'ai jamais parlé des gens qui veulent te tuer. Ils sont très loin d'être des forces qui te dépassent. Tu veux savoir ce que c'est, qui te dépasse ?

Alors qu'il la lâche, elle croise les bras en s'adossant contre le miroir brisé sans vraiment s'en soucier., puis elle tapote son index replié contre sa tempe.

» C'est ça, qui te dépasse. Tu t'es attaqué à mes problèmes comme si tu pouvais les résoudre et pourquoi ? Parce que tu avais envie d'être un héros ? Tu aurais juste pu me laisser me tirer une balle au lieu de me donner une arme déchargée, mais tu avais trop peur que je le fasse vraiment. Tu avais trop peur de ce que tu ne comprends pas.

Alors elle ricane. Vraiment, il n'y a rien de tout ça derrière son miroir ? Tu parles. Elle lui a déjà dit, et elle le pense toujours, il est bien plus humain qu'elle, parce que son passé et sa vie n'ont pas réussi à lui ôter l'empathie que sont censée ressentir tous leurs semblables et qu'elle n'a fait que feindre tout au long de son existence.

» Tu veux que je te dise, ce que je sais ? Tu ne comprends pas qu'on puisse vraiment vouloir mourir, parce que tu t'es battu, toute ta vie, pour survivre, pour arracher quelques minutes de vie et de liberté à ceux qui voulaient ta peau. Tu te retrouves confrontés à des esprits brisés comme le mien, et tu es perdu. Alors ta seule solution, c'est de croire que je mens, que je fais semblant de vouloir mourir mais qu'en vérité je me bats pour l'inverse. Qu'il y a une manipulation, une fausse raison derrière tout ça, qu'il y a une "étincelle d'espoir" que tu pourras raviver pour trouver la part de moi qui s'accrochera à la vie et qui a disparu depuis longtemps.

Elle secoue la tête, réarrange ses cheveux par réflexe.

» Tu veux savoir pourquoi j'ai retiré l'arme de ma tempe, quand tu me l'as donnée ? Pas parce que j'hésitais, mais pour être sûre de ne pas faire la même erreur deux fois. C'est en me tirant dans la tempe que j'ai survécu. Dans la bouche, on ne survit pas. Et c'était l'intention. Je n'aurais pas survécu si tu l'avais chargée. Mais ça, tu ne peux pas comprendre. Parce que tout assassin que tu es, c'est la vie qui te pousse en avant. Tu tues pour survivre. Tu t'accroches à ta "lumière" pour survivre, tu essayes d'aider les autres pour survivre ou pour laver le sang sur tes mains. La méthode importe peu, le but reste le même : protéger ta vie et celle des autres, de ceux que tu t'estimes capable de sauver. Mais moi, ce n'est pas la survie qui me guide. Et ça, tu es incapable de le comprendre.

Parce qu'un assassin estime connaître la valeur de la vie à peu mieux à chacune de celles qu'il éteint, sans doute. C'est tout à fait logique, au fond.

» Et si je t'énerve autant et aussi facilement, c'est pour ça. Parce que tu t'en es pris à quelque chose qui te dépasse. L'érotomanie est imbattable, même par toi, tu ne peux pas juste tirer dessus pour t'en débarrasser. Je le sais, j'ai essayé. La mort sera toujours plus attirante que la vie pour moi et tu es impuissant face à ça. Lily est plus facile, parce qu'elle veut vivre. Parce qu'elle va s'accrocher à toi si elle est en danger pour que tu la protèges, parce que ce qu'elle a pu vivre n'a pas laissé les mêmes marques indélébiles dans sa tête.

Plus elle parle, plus elle se rend compte qu'elle déteste cette fille. Cette fille à la vie trop facile, capable de profiter de quelque chose sans être rongée de l'intérieur à chaque seconde et chaque parole. Cette fille qu'il peut qualifier de lumière, de partie non-souillée de sa vie. Elle est de trop, dans sa vie. Il s'y accroche comme un papillon de nuit à la lune, mais il se contente de courir après une illusion. Il se porterait nettement mieux sans elle…

» Et ça, pour toi, c'est bien plus simple à comprendre. Parce que tu n'as jamais renoncé à te battre. Tu ne sais pas l'effet que ça fait. Et honnêtement, tu ne le sauras probablement que le jour où tu seras mort.

Il n'est pas de ceux qui abandonnent le combat. Ça se voit dans son attitude. Même dans cinq, dix, quinze ans, il continuera de s'accrocher à la vie comme s'il y avait quoi que ce soit qui en valait la peine.

» Vas-y, dis-moi que je me trompe.

Mais non, il ne serait pas là s'il avait renoncé à se battre. Il aurait fini comme elle, planté devant un sniper par lassitude, à mettre sa vie dans la balance à pile ou face pour passer à autre chose, au lieu de trouver une vraie solution pour avoir une chance raisonnable de survivre.

Tessa E. Buchanan

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Non, effectivement, elle ne sait rien de ce que Lily a pu vivre. Est-ce que c'est important ? Non. Elle est encore debout, encore accrochée à la vie, encore capable de se lever le matin et de trouver une raison de sourire, de se faire des amis, de s'attacher aux autres sans se dire que c'est peine perdue. Comme tout le reste, l'amitié s'étiole, elle part en fumée dès que quelque chose de mieux se présente. un garçon, une fille, un rêve, une carte bancaire plus remplie. Le monde se leurre s'il pense que l'être humain est un animal social. L'être humain est un animal solitaire, qui se nourrit des autres jusqu'à ce qu'ils n'aient plus rien à lui donner, puis qui passe à autre chose. Les autres êtres humains sont bien la dernière considération de chacun d'entre eux. Mais on leur fait miroiter le contraire pour que les gens s'accrochent toute leur vie à des buts invisibles. C'est presque cruel. Ou pathétique. Sans doute les deux.

» Non, et je m'en fiche.

Que lui importe ce qu'elle a vécu ? Le résultat est le même : elle n'est pas aussi brisée qu'elle, donc elle est plus facile à gérer. Le reste n'a pas d'importance. Mais s'il tient vraiment à voir ce qui les sépare, toutes les deux, elle peut bien lui donner un aperçu. Ou réduire le gouffre, peut-être. Quand décidera-t-il de fuir si Lily aussi devient trop compliquée ? Un sourire se dessine sur ses lèvres. Il ne veut, ne peut pas le croire ? Evidemment. Tout comme elle a du mal à croire qu'il existe des gens qui puissent tenir à ce point à leur existence, comme si c'était la seule chose importante. Comme si quoi que ce soit avait de l'importance.

» Sauver une personne ne lavera pas le sang des autres que tu as sur les mains. Tu peux essayer autant que tu veux, il restera là, avec la culpabilité et le dégoût qui vont avec.

C'est pour ça, qu'il joue les héros, non ? Parce que l'idée d'arracher la vie le répugne, mais qu'il estime ne savoir faire que ça. Il lui a dit, après tout. Il lui a dit comment on l'a entraîné à tuer depuis sa naissance. Alors comment pourrait-il en être autrement ? Quelqu'un qui tue sans haine finit toujours par vouloir rééquilibrer la balance.

Il n'y a rien, après la mort. Elle ne peut s'empêcher de sourire, pose sa main contre ses lèvres pour retenir un petit rire. Encore heureux, qu'il n'y a rien ! Seuls les fous et les naïfs rêvent de vivre éternellement. Elle l'écoute parler, exposer sa dernière tentative désespérée de lui donner goût à la vie, de lui faire peur, peut-être, de lui faire comprendre que ce monde est peut-être bon à jeter, mais qu'il est le seul qu'elle aura. C'est presque amusant de le voir s'échiner ainsi à expliquer. Profiter un peu plus ? De quoi ? Son monde est déjà un néant de gris et de vide. À quoi bon vivre dedans ?

» Tu as tué des gens. C'étaient des gens qui voulaient vivre, des gens qui avaient peur de mourir, des gens qui ont vu défiler devant leurs yeux toutes les choses qu'ils ne feraient jamais, tous les rêves qu'ils voulaient accomplir, peut-être toutes les personnes qu'ils ne voulaient pas perdre. Aucune des morts auxquelles tu as assisté n'étaient exemptes de peur, car ce sont ceux qui manipulent le plus la mort qui ont le plus peur de la croiser. La détournent sur les autres pour y échapper un jour de plus. C'est pour ça que tu es encore là, non ?

Elle inspire. Il y a une si grande différence entre mourir sous les coups d'un autre et mourir de soi-même. N'a-t-il donc jamais vu tous ces visages paisibles chez ceux qui ont vécu une vie complète et s'éteignent sans regrets ? Non, bien sûr que non. Les seules morts qu'il a vues étaient brutales, soudaines, brisaient des existences qui n'avaient pas encore atteint leur but final.

» Je sais qu'il n'y a rien après. Tu veux que je te dise ? J'espère qu'il n'y a rien après. C'est le but. C'est le principe. Tout doit avoir une fin. Plus de son, plus d'image, plus d'émotions ni personne autour. Tu ne sais pas ce que c'est, la mort. Tu ne l'as pas côtoyée, tu l'as donnée, et c'est très différent. Il y a une différence entre être le maître qui lui ordonne de s'abattre sur quelqu'un, et tomber face à face sur un pied d'égalité. Je l'ai vue de près, peut-être de plus près que toi. J'ai vu l'obscurité, le silence, le noir complet. Aucune lumière pour percer à travers tes paupières, aucun son qui n'arrive jusqu'à toi. Tu ne peux pas savoir ce que ça fait. L'apaisement que ça apporte, quand tu laisses tes pensées s'éteindre.

Elle pose doucement la main sur sa joue, efface la larme qu'il a laissé couler. À quoi bon tenter de lui expliquer ça ? La mort n'a jamais été que le résultat de la violence et de la peur, chez lui. Elle... Elle, elle l'a vue comme une solution. Pour protéger Cam du monstre qui grandissait dans sa tête, elle n'a pas hésité à presser la détente. Et elle a souri quand elle s'est effondrée.

» J'aurais pu le tuer, tu sais. Cam. J'ai pointé l'arme sur lui, au début. Parce que j'avais mal, parce que je ne comprenais pas, parce qu'une illusion qui se brise est un plaie bien plus béante que tu ne l'imagines. J'ai voulu le tuer pour me sentir mieux, pour apaiser la douleur. Mon premier réflexe, quand j'ai mal, ce n'est pas de vouloir mourir.

Son premier réflexe, c'était de hurler, de détruire, de tout arracher aux autres. C'était ce qu'elle avait fait avec Becky. C'était ce qu'elle avait fait avec Willow quand elles s'étaient revues. C'est en brisant les autres qu'elle tentait de se réparer.

» Si c'est sur ma tempe que j'ai pointé l'arme, c'est parce qu'il m'a dit que c'était dans ma tête. Parce que j'ai compris, compris que le problème ne venait pas de lui, et j'ai préféré le sauver plutôt que d'essayer d'aller mieux. Mais ça, tu le sais déjà.

Elle lui a déjà dit. De façon nettement plus erratique parce qu'elle avait une arme dans les mains et qu'elle s'était contentée de rejouer la scène, mais elle lui a déjà dit. Ça lui parait déjà si loin, maintenant.

» Je n'irais jamais mieux. Ce n'est pas la solution à mes problèmes, si mon cerveau cesse d'alimenter mes peurs et mes illusions. Peut-être que tu as raison. Peut-être que ça ne me libérera de rien du tout. Mais il n'y aura plus personne autour, plus personne qui m'abandonnera et plus personne qui risquerait d'en subir les conséquences. Ça fera déjà un truc en moins, pour moi comme pour les autres. Comment je pourrais souffrir s'il n'y a plus personne autour ? C'est eux, la source de mes problèmes. Et si ce n'est pas eux, c'est moi. Dans les deux cas, le problème est résolu.

La main toujours posée sur sa joue elle plonge son regard dans le sien.

» J'ai cessé d'avoir peur de la mort le jour où je l'ai vue de près. Plus près que tu ne la verras jamais, peu importe combien de personnes tu envoies la rejoindre.

Il ne saura jamais l'effet que ça fait, d'être enveloppé dans cette obscurité absolue et paisible. Parce qu'il n'a pas envie de mourir, et qu'elle n'est douce que pour ceux qui l'acceptent.

Tessa E. Buchanan

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Vraiment, elle ne sait pas de quoi elle parle ? Et lui, alors ? Lui qui juge sa personnalité, lui qui croit pouvoir décider qui est responsable de ce qu'elle a fait, de ce qu'elle a vécu, pensé, vu ? Lui qui pense lui faire peur en prétendant que toutes les personnes qu'il a tuées étaient terrifiées par la mort ? Comme si c'était surprenant.

» Tu crois vraiment que la mort ressemble à une cave anonyme ? Non, c'est un silence. Je suis restée deux semaine dans le coma, et le monde n'avait jamais été aussi paisible.

Ce ne sont pas les mêmes ténèbres. Ce qu'il lui décrit, c'est une raison de plus de ne pas vouloir vivre. C'est la vie, qui est cruelle, folle, destructrice. La vie qui essaye de détruire ton âme et ton esprit. La mort se contente de t'accueillir après tout ça et de te dire que maintenant, tout ira bien. Tu peux dormir, les monstres sont partis. Elle ricane légèrement en voyant sa cicatrice.

» Non, tu n'as pas vu la mort comme moi. Parce que ça, c'est quelqu'un qui a essayé de te tuer. Tu t'es débattu contre elle. Ce n'est pas pareil.

C'est le jour et la nuit, même. Cependant, ses paroles finissent par lui ôter son sourire et elle fronce les sourcils, une étincelle de colère brillant dans son regard. Qui est-il pour prétendre savoir ? Prétendre juger ce qu'elle a ressenti le jour où elle a posé cette arme sur sa tempe ? Qui est-il pour oser prétendre que Cam ne comptait pas à ses yeux ? C'était la seule personne qui comptait. La seule chose qui lui importait. Elle l'a aimé plus qu'elle n'a jamais aimé personne, quand bien même c'était une illusion. Il ne sait pas ce que c'est, ça non plus. Il ne connait rien de la vie, sinon il ne lutterait pas autant pour la garder.

» Pour qui tu te prends, hein ?! Qu'est-ce que tu crois savoir des émotions, des sentiments et des motivations qui ont guidé mes gestes, toi qui n'a eu pour seule famille qu'une éprouvette dans un laboratoire et des armes vivante à qui ont a oublié de greffer un cœur ?!

Depuis combien de temps n'a-t-elle pas ressenti une émotion aussi violente ? [i C'est toi qui m'a couru après ! Toi ! C'est toi qui m'a invitée, qui a flirté avec moi, qui m'as dit que... Et maintenant tu dis que c'est de la comédie ?! Que ça ne représentait rien pour toi ?! Tu me quittes parce qu'on nous a découvert ?! Quel genre de monstre tu es ?![/i] Elle serre les poings comme si elle pouvait encore sentir le poing de l'arme dans sa main. Je ne veux pas savoir ! Je ne veux pas entendre ! Vous avez tous une bonne raison, toujours une bonne raison ! Toi aussi, tu vas me dire que c'est dans ma tête ?! Ils disent tous ça. Ils disent tous ça mais il le font quand même ! Beth, Willow, Cam, et toi aussi ! Tu vas faire comme tout le monde !

» Tu crois que tu comprends quelque chose parce que tu as passé quelques années hors de la cave tordue qui t'a donné naissance ?! Alors dis-moi, toi qui sait si bien tout sur tout, toi qui pense savoir pourquoi cette balle a atterri dans ma tête, toi dont les ennemis sont des gens, des vrais, des choses matérielles que tu peux éliminer, tuer, sur lesquelles tu peux déchaîner ta peur et ta colère avec l'espoir qu'un jour, peut-être, tu viendras à bout du dernier. Dis-moi, si à cause de toi, une seule de ces machines à tuer mettait la main sur elle, qu'est-ce que tu ferais ? Hm ? Si l'ennemi contre lequel tu t'es battu toute ta vie s'en prenait à la personne qui compte le plus à tes yeux ? S'il lui arrivait quelque chose par ta faute, et uniquement ta faute, si tu étais le seul responsable de la destruction de son existence ? Sur qui pointerais-tu l'arme que tu serres si fort dans ton poing ?

Elle grimace sentant qu'elle s'enfonce les ongles dans la peau.

» J'avais détruit sa vie. Sa carrière, sa réputation, son existence ! Tu sais ce qui arrive à un professeur qui se fait accuser d'avoir eu une relation avec une adolescente ? Il perd tout. Son métier, sa famille, sa vie. Peu importe qu'il soit coupable ou non, les rumeurs font le reste. Au moins, ils ont pu savoir que quelque chose n'allait pas dans ma tête. Il va bien, maintenant. Un petit traumatisme peut-être mais au moins, il est heureux. Avec sa copine, une vraie, pas une qui le suit chez lui, pas une qui ne l'est que dans sa tête. Dis-moi encore en quoi je ne l'ai pas sorti des problèmes que je lui ai causés. Dis-moi encore que j'ai fait ça pour moi. Contrairement à toi, je n'ai jamais eu la prétention d'être une héroïne. J'ai fait ça par amour. Pas par désespoir, pas par colère, mais par amour. Pour réparer mes erreurs.

Erreurs dont elle n'était pas entièrement responsable, quoi qu'il puisse en penser.

» Parce que sur le coup, je m'en foutais de savoir ce qui allait m'arriver. Mourir ? Vivre ? Ça ne me venait pas à l'esprit. C'était une décision aussi rationnelle que celle que tu prends quand tu tires sur quelqu'un qui te pointe avec un flingue ! C'est facile de juger, quand il te suffit de presser la détente pour te débarrasser de tes ennemis ! Eh bien devine quoi ? J'ai fait exactement la même chose. Sauf que mes ennemis à moi, ils ont décidé de se loger dans ma tête. Tu crois vraiment que j'ai choisi ? Tu crois que c'est moi qui ait décidé de planter ça sous mon crâne ? Tu crois que du jour au lendemain j'ai pris la décision que j'allais cesser d'être un être humain pour devenir un miroir vivant ? Je l'ai autant choisi que toi, tu as choisi de naître avec une arme dans les mains. Ça s'est fait avant que je m'en rende compte. Un instinct de survie qui m'a poussée en avant comme le tiens. J'ai tué tout ce que j'étais comme tu tues tous ceux qui te poursuivent, pour survivre, pour tenir le coup. Ce n'est pas parce que ça se passe dans ma tête que c'est moins réel !

La colère la fait trembler. Elle sent la tension dans ses bras, dans tous ses nerfs. Si elle estimait avoir une chance, elle lui aurait probablement sauté à la gorge.

» Tu ne me connais pas. Tu connais des rapports, des faits divers, des commentaires. Tu n'as pas la moindre idée de ce qui se passe dans ma tête. Enfant gâtée, tu dis ? Par qui ? Par ma mère dont je ne me souviens même plus du visage parce qu'elle m'a estimée si insignifiante qu'elle n'a jamais daigné exister dans mon existence ? Par mon père qui considère que le meilleur moyen de prendre soin d'un enfant, c'est de le laisser se débrouiller seul ? Pitié. On ne devient pas comme moi, ni comme toi, en ayant une famille.

Son regard brille comme il n'a plus brillé depuis longtemps. Elle a envie de hurler. De hurler, d'arracher un morceau de verre du miroir et de lui planter dans la gorge.

» Si j'avais voulu une porte de sortie, comme tu dis, j'aurais tiré sur lui. Pas sur moi, non. C'est beaucoup plus simple de se débarrasser de lui. S'il disparaissait, je n'avais plus à affronter la douleur. S'il n'avait rien dit, je l'aurais fait. Il ne me fallait pas grand chose. Mais il a parlé. Et il a réussi à passer à travers la colère, la rage et la douleur pour que je comprenne la vérité. Et la vérité, c'était que j'avais détruit toute son existence. Tu sais ce qu'on fait aux gens qui détruisent l'existence des autres, aux États-Unis ?

D'un geste des doigts, elle imite la forme d'une arme sur la tempe. La vérité, c'est que même si elle avait tiré, elle aurait fini au même endroit. Parce que son érotomanie aurait été décelée d'une façon ou d'une autre et qu'on aurait quand même tenté de la mettre sous contrôle. Puis on l'aurait enfermée, à vie si nécessaire. Probablement.

» Quand Lily perdra tout autour de toi, et seulement à ce moment-là, tu pourras juger ce que j'ai fait pour Cam. Quand ils la trouveront, parce qu'ils la trouveront, n'est-ce pas ? C'est ça la peur qui te ronge les entrailles. Qu'ils la trouvent, qu'ils nous trouvent. Et quand ils la trouveront, là tu comprendras ce que c'est. Tu comprendras ce que ça fait, de comprendre, de savoir que c'est ta faute si quelqu'un à qui tu tiens plus que tout a tout perdu. Que c'est ta faute si sa vie ne sera plus jamais pareille. Que sans toi, si tu n'avais pas existé dans sa vie, tout irait bien pour elle !

Elle inspire difficilement, un sourire amer sur les lèvres. Elle parle trop vite, elle ne sais même pas combien de temps elle a mis avant de respirer. Son sang bat à ses tempes, elle a le souffle court, la voix au bord de l'implosion.

» Tu crois que je ne sais pas, que c'est de ma faute ?! Pourquoi tu crois que je suis tellement prête à presser la détente, hein ?! Tu crois que c'est pour quoi, que j'ai caché autant de choses ? Que j'ai détruit mon esprit pièce par pièce ? Parce que j'ai vu sa vie s'étioler à cause de moi et tu n'as aucun putain de droit de me juger tant que tu n'auras pas vu la personne à qui tu tiens le plus tout perdre à cause de toi ! Tu n'as même pas...

De famille. D'émotions. De liens. D'humanité. Elle ne sait plus ce qu'elle allait dire. Sa tête lui fait mal, ses poumon aussi. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas eu d'air ? Elle se souvient avoir inspiré... mais c'est tout. Elle serre les mains sur le bord du lavabo alors qu'elle sent ses forces lui échapper.

» Tu... ne comprends... rien...

Respire. Respire, bordel, ce n'est pas le moment de faire une crise d'angoisse comme une gamine ! Mais elle n'y arrive pas. L'air lui échappe en même temps que les émotions qu'elle a laissées exploser. Elle serre un poing tremblant contre sa poitrine comme s'il pouvait lui permettre de retrouver son souffle. Voilà ce qu'elle gagne. Voilà ce qu'elle gagne, à se rapprocher des gens. Plus d'angoisses et plus de cauchemars.

Tessa E. Buchanan

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Il ne comprend pas. Encore une fois, il ne comprend pas. Pourquoi s'échine-t-elle à tenter de lui expliquer ? Il ne voit que ce qu'il a envie de voir. Comme tous les autres, comme tout le monde, il s'est forgé une image d'elle et peu importe ce qu'il affirme, il se fiche bien de savoir si elle est vraie ou non.? Il a décidé qu'elle était comme ça, c'est tout. Mais elle ne peut pas s'empêcher d'essayer d'expliquer. Encore et encore, peu importe à quel point il peut l'accuser de mentir. L'ironie, dans tout ça, c'est qu'il ne réalise pas les similitudes. Il ne comprend pas qu'ils font la même chose. Tirer pour tuer et pour la venger de ceux qui lui ont fait du mal, effacer les traces. ne comprend-il pas que c'est exactement ce qu'elle a fait ? Est-ce sa faute si pour tuer ce qui avait fait du mal à Cam, il fallait qu'elle retourne l'arme contre elle ?

» C'est exactement ce que j'ai fait ! C'est ça, que j'ai fait ! Tuer les responsables ! Mais tu n'arrives pas à l'assimiler parce que c'était moi la responsable et que c'est trop compliqué pour ton petit cerveau artificiel  !

Malgré la brûlure dans ses poumons et la colère qui lui serre la gorge, elle parvint à émettre un rire amer.

» Notre faute ? Notre ? Cam n'a rien fait ! Rien ! Jamais ! Tu n'as pas encore compris ? Rien ! C'est toi qui pense que je veux être une héroïne ! C'est toi qui rêve. Tu n'entends que ce que tu veux entendre !

Il n'entend pas ce qui est important. Il n'écoute pas ce qu'elle dit. Il n'entends que les rapports, les choses qu'on a dit sur elle, l'image qu'il a d'elle, et son "ce n'est pas tout à fait vrai" lui tire un rictus déformé autant par la colère que par la douleur. Bien sûr que si, c'est vrai. Il ne comprend même pas ce qu'elle lui a expliqué des dizaines de fois. Parce qu'il voit les choses à travers son prisme à lui. Il la voit comme celle qu'il a rencontrée et il applique ça à ce qu'elle était avant, comme si la douleur à laquelle il a assisté avait toujours été son état. Il ne vaut pas mieux que les autres. Ils sont tous pareil.

» C'est toi qui pense ça. Pour toi, tirer sur lui ne m'aurait rien apporté du tout. Pour moi, ça aurait tout simplifié. Ça aurait été tellement plus facile.

Elle était passé si près. Peut-être que si elle avait tiré sur lui et pas sur elle-même, les gens auraient compris. Peut-être qu'on ne se fatiguerait pas autant à essayer de la sauver, au lieu de sauver les autres d'elle. Elle devrait se calmer, mais elle en est incapable. Elle ne le supporte plus. Combien de fois va-t-il lui demander de dire la vérité et ne pas la croire quand elle le fait ? Pourquoi est-il incapable de comprendre ? L'avait-il seulement déjà écoutée, une seule fois ?

Sa respiration lui échappe mais son esprit reste bercé dans les émotions qui ont toujours menacé de la briser. Celles qui ont réussi. Un rire triste s'échappe de ses lèvres en même temps qu'un sanglot à mesure qu'elle essaye de reprendre son souffle. Ça ne sert à rien. Même son corps est assez idiot pour essayer de la garder en vie.

» Non. Ça ne va pas aller... Tu ne m'écoute pas. Tu m'entends mais tu ne m'écoute pas...

Sa main remonte lentement pour s'accrocher à son col. Elle a juste envie qu'il se taise. Qu'il se taise et qu'il l'écoute, un bonne fois pour toutes. Alors elle le repousse, lui prend la tête entre les mains en les plaquant sur ses tempes, plante son regard dans le sien pendant qu'elle reprend maladroitement le contrôle. Garder le contrôle. C'est la seule chose qui la définit, alors garde le contrôle.

» Écoute-moi. Vraiment. Tais-toi et écoute ce que je te dis. Depuis tout à l'heure, je ne fais que te dire la vérité, mais tu refuses de la voir. Tu refuses de la voir parce que l'image que tu as de moi est déformée. Parce que tu peux répéter autant de fois que tu veux que tu cherches la "vraie" Tessa, tu l'as toujours eue devant toi mais tu ne l'écoutes pas. Alors tais-toi. Si tu dis le moindre mot, je te jure que je t'étrangle jusqu'à ce que tu te décides à vraiment m'écouter. Sans interpréter. Sans apposer ta vision du monde, sans y voir de sens caché. Tu écoutes les mots que je dis, juste ceux que je dis, et par pitié tu arrêtes d'en rajouter entre les lignes.

Même si son souffle peine à suivre le rythme, sa voix est calme. Elle en a assez qu'on ne l'écoute qu'à moitié. Elle en a assez qu'il l'interrompe pour lui envoyer son interprétation de ses paroles à la figure en n'ayant pas saisi l'essentiel.

» Ce que j'ai fait, ce n'est pas chercher à être une héroïne. Retire-toi cette idée de la tête. Il n'y a rien d'héroïque à rattraper quelqu'un après l'avoir poussé dans le vide. Je n'ai jamais cherché à avoir le beau rôle. Tu comprends ? C'est bon, je peux passer à l'étape suivante sans que tu me hurles au visage que je n'assume pas mes responsabilités ?

Elle ne veut pas qu'il parle. Hocher la tête suffira. Son regard brille d'un sérieux plus glacial encore que lorsqu'elle se détache de ses émotions. Tant pis s'il pense qu'elle le prend de haut. Il n'y a rien de prétentieux ni de méprisant dans sa voix, mais les gens pensent toujours ce qu'ils veulent, elle s'en fiche, elle veut juste qu'on l'écoute vraiment, pour changer, au lieu de mettre dans sa bouche des mots qu'elle n'a pas prononcés.

» Mon analogie était mauvaise, je vais reformuler. Oublions tes assassins une minute. Tu veux une comparaison équitable ? Imaginons que dans une crise quelconque, un instant de folie, tu lui tires une balle dans le ventre. Jusqu'où tu seras prêt à aller pour rattraper ton erreur ? Ne réponds pas. Réfléchis. Ancre-toi cette idée dans ta tête. Et maintenant, mets-toi vraiment à ma place, au lieu de juger à travers tes yeux et tes opinions. Imagine. Elle est blessée. Elle est blessée parce que tu lui as tiré dessus, et tu ne t'en es même pas rendu compte avant qu'il ne soit trop tard. C'est bon, tu as l'image en tête ? Voilà, tu es moi, il y a cinq ans.

C'était ça, l'émotion qu'elle avait ressenti. Le moment où son univers entier s'était effondré. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle replonge dans le souvenir sans sentir son coeur s'arracher totalement. Elle ne sourit pas. Son visage s'est vidé de toute autre émotion que le sérieux calme de celle qui a quelque chose à dire et qui ne tolérera pas qu'on l'interrompe.

» Il n'a rien fait. Il ne s'est jamais rien passé, entre Cam et moi. Il n'a fait que m'encourager pour que j'essaye d'avoir des meilleures notes. Tu comprends ? Un sourire, un commentaire positif, c'est tout ce qu'il a fallu. Ça a suffi pour que je détruise entièrement sa vie. À partir de là, tout était faux. Des mois et des mois d'illusions, de messages à sens unique, d'histoire à sens unique qui n'existait que dans ma tête. Puis j'en ai parlé à la mauvaise personne. Elle nous a dénoncé, et j'ai tout raconté à la directrice du lycée. Tout ce qui n'a jamais existé. Mais c'est moi qu'on aurait crue. Et même moi, je me croyais. C'est ça que tu ne comprends pas. L'érotomanie, et ce que j'ai fait à Cam, ce n'était pas ma décision. Pour moi, tout allait bien. On était ensemble, et on se cachait pour des raisons évidentes. Mais rien n'était vrai. Mon cerveau m'a menti. Le monstre qui est logé dans ma tête a réécrit la réalité et je ne m'en suis rendue compte que lorsque j'ai pointé une arme sur lui. Je me suis retrouvée face à lui, face à celui qui, dans ma tête, m'avait abandonnée, celui qui me quittait juste parce qu'on avait été découverts. Je ne comprenais pas. À quoi bon, alors qu'il allait être renvoyé qu'on soit ensemble ou non ? C'était trop tard, alors autant rester tous les deux. Et puis il a prononcé quelques mots. Les seuls qui ont réussi, l'espace d'un instant, à percer la folie pour vraiment m'atteindre. "C'est dans ta tête".

Elle resserre les mains sur ses tempes pour s'assurer qu'il la regarde. Il n'a pas le droit de détourner les yeux, pas le droit de l'interrompre, pas le droit de faire quoi que ce soit d'autre que de l'écouter.

» Alors j'ai compris. J'ai vu, j'ai eu cet instant de lucidité que tu as quand tu vois soudainement le sang sur tes mains. J'ai compris qu'il y avait quelque chose dans ma tête, quelque chose de dangereux, de mauvais, d'infiniment démoniaque qui avait failli me faire tirer sur un homme innocent. Quelque chose qu'il fallait que j'élimine à tout prix si je voulais une petite chance de réparer tous les torts que j'avais causé. Je ne voulais pas mourir. Tu me connais telle que je suis maintenant, mais je vais te le dire une dernière fois et tu vas t'ancrer ça dans la tête au lieu de me voir par le prisme de la moi actuelle : je ne voulais pas mourir. Je n'y ai pas pensé. Ça ne m'est pas venu à l'esprit. Tout ce que je voulais, c'était détruire la chose qui s'était logée sous mon crâne. Pour que tout le monde sache qu'il n'avait rien fait. Que tout était de la faute de ce qui se passe là-dedans.

Inspire. Expire. Sa respiration a pris un tour nettement plus stable. Elle se force à se calmer. Le regarder dans les yeux est sa manière de s'ancrer dans la réalité.

» Mais je te l'ai dit : ça n'a pas suffi. La lucidité n'a pas duré. Je ne suis pas ici parce que je me suis tiré une balle. On n'interne pas quelqu'un aussi longtemps pour une tentative de suicide sans antécédent. Si je suis là, c'est parce que la première chose que j'ai dite en me réveillant, c'est demander quand est-ce que Cam viendrait me voir. Parce que j'étais intimement persuadée qu'il avait menti, qu'il n'avait dit que c'était dans ma tête que parce qu'on pouvait nous entendre. Tu comprends, maintenant ? Les quelques secondes qu'il m'a fallu pour presser la détente sont les seules où j'étais parfaitement moi-même et parfaitement consciente de mes actes. Pas parce que je voulais mourir, mais parce que j'avais aperçu véritablement le degré de ma folie. Mais ça a disparu aussi vite. Quelques coups de gomme et à nouveau, Cam m'aimait, et moi aussi, et nous étions ensemble depuis des mois à l'insu de tous. Alors on m'a envoyé à Indarë. Mais aucun psy n'a jamais pu m'atteindre comme il l'a fait, parce qu'il n'y a que lui qui en était capable.

C'est étrange, de détailler sa vie ainsi. Elle a l'impression de parler de quelqu'un d'autre. Elle a détruit tant de parts d'elle dans sa tentative de contrôler sa maladie qu'il ne reste plus rien de l'adolescente qu'elle était à l'époque.

» Un an. Pendant un an, j'étais persuadée de jouer la comédie. De plaider la folie pour qu'il puisse garder son travail. Je me disais que c'était juste quelques temps à Indarë où je jouerai le jeu et qu'ensuite, quand je serai libre, on pourrait reprendre où on s'était arrêté. Tu veux que je te dise, ce qui se serait passé ? J'aurais continué. Je serai rentrée à New York et j'aurais continué de le suivre, de croire qu'on était ensemble, et j'aurais vécu dans mon illusion d'histoire parfaite, prisonnière d'un rêve qui transforme la vie d'un autre en cauchemar. Il n'aurait jamais pu se débarrasser de moi. Je sais comment fonctionne l'érotomanie. Je l'ai étudiée. Ça ne s'arrête pas. Je serai restée dans son sillage jusqu'à ce qu'il fasse à nouveau quelque chose que mon illusion n'aurait pas toléré. Et je l'aurais tué, cette fois, probablement.

Elle n'en doutait pas vraiment. Si elle avait été capable de pointer une arme sur lui une fois, elle pouvait le faire une deuxième. Plongée dans la folie, elle pouvait faire bien pire que ça.

» Mais j'ai vu une photo. De lui et d'une femme, ici, à Londres. Ça n'a pas suffi à briser l'illusion, mais ça a créé ce que tu penses que j'ai toujours eu. Le vrai désespoir, la vrai douleur qui m'a conduit dans un bar pour la première fois. Avant ça ? Non, avant ça je n'avais jamais ressenti ça. Mais je venais de le voir avec une autre, sur une photo exposée à la vue de tous. Une femme qu'il aimait, qu'il aimait vraiment ; je pouvais le voir dans chaque fossette de son visage, chaque éclat de son regard. Une très bonne qualité, cette photo, j'aurais presque cru y être.

Elle esquisse un sourire amer. Même après ça, l'illusion avait pris si longtemps à se briser...

» Il m'a fallu encore des mois pour que la coquille se fissure. Pour que les psys parviennent à me faire comprendre que oui, c'était vraiment dans ma tête, que tout ça n'avait jamais existé et que Cam ne m'avait jamais attendu en Amérique parce que pour lui, j'étais juste une élève qui était devenue folle du jour au lendemain et qui avait raconté des rumeurs, avant de le menacer d'un flingue puis de se tirer une balle devant lui. Rien d'autre, jamais. Et même si je le sais, les souvenirs sont toujours là, et il y a tellement de jours où j'ai du mal à y croire. Tout ça serait faux ? Pourtant je me souviens encore... mais non. Aucun de ces souvenirs n'est réel. Comment pourrais-je faire confiance à quoi que ce soit dans ce monde, si la moitié de ma mémoire est composée d'illusions ? De rêves éveillés pendant lesquels je détruisais peu à peu la vie d'un homme que je prétendais aimer ?

Elle lui laisse le temps de réfléchir, d'assimiler un peu. Il n'a jamais saisi pleinement la portée de l'érotomanie, ça se voit. Ça se sent dans la façon de traiter ça comme si elle était un minimum consciente de ses actes. Oui, elle avait détruit la vie de Cam, mais est-ce qu'elle l'avait choisi ? Non. Non, parce que quand elle l'avait fait, elle n'en était même pas consciente. Ce n'était pas elle, c'était le monstre logé dans sa tête qu'elle avait tant de fois essayé de détruire.

» Tu veux que je te dise ? Si je lui avais tiré dessus, les gens auraient compris. Ils auraient compris à quel point je suis dangereuse, ils auraient compris qu'il ne fallait pas me laisser en liberté. Un sourire et un commentaire. Un sourire et un commentaire et je réduis une vie en fumée. Mais j'ai tiré sur moi-même. On m'a mise en Potion, on a voulu me soigner, comme si le problème était que j'allais mal, alors que le vrai problème, c'est que je suis un poison. Un poison que tu ne vois pas venir, que même moi je ne vois pas venir, et qui ronge tout jusqu'à ce qu'il ne reste que le néant.

Même elle, elle y avait succombé. Elle avait détruit son esprit avec le reste, peut-être par auto-châtiment ou parce qu'elle avait conscience que plus longtemps elle serait en vie, plus elle ferait de mal autour d'elle.

» Est-ce que tu m'as vraiment écoutée, cette fois ? Tu penses toujours que ça va aller ? Tu vas encore me dire que je rêve et que j'ai fait ça par lâcheté ? Pour être la gentille de l'histoire ? Ou tu comprends vraiment ? Je n'étais pas triste, pas à cette époque. Je ne cherchais pas à mourir et je n'en avais pas l'intention. On m'a pointé un problème et j'ai tenté de le détruire. Mais je n'ai pas réussi. Et depuis, tout le monde se fatigue à essayer de me sauver sans même se rendre compte qu'ils entretiennent un cancer au lieu de l'éradiquer.

S'ils avaient un semblant de jugeotte, ils ne la laisseraient pas en liberté. Mais c'est la nature humaine, celle qui lui manque terriblement, cette insistance à vouloir sauver les autres. Personne ne devrait tenter de la sauver. Mais ils ne comprennent pas. Et elle doute que lui comprenne un jour. Il a trop de révérence pour la vie pour comprendre qu'elle est morte depuis bien longtemps et qu'il n'y a plus rien à sauver. Elle ferme les yeux, retire ses mains pour croiser les bras sur sa poitrine. Rouvre les yeux pour le regarder avec une lassitude extrême.

» C'est bon, tu peux parler.

Est-ce qu'il va encore s'énerver ? Elle n'a plus la force de l'écouter crier. Il lui faudrait quoi, quelques pas, pour sortir ? Oui. Si ses jambes ont la décence de la porter, et s'il s'énerve encore, elle sortira. Peut-être que le sniper est encore là. Peu importe la motivation, il ne tirerait sûrement pas pour de bonnes raisons, mais c'est le résultat qui compte, non ?

Tessa E. Buchanan

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Il ne dit rien. C'est donc ça, la limite de ce qu'il est capable d'assimiler ? Hm. Tout ce temps, il a insisté pour comprendre, mais il ne voyait que ce qu'il voulait voir. Il regardait par la fenêtre en essayant de la briser, et elle s'est contentée d'ouvrir la porte. Plus simple, plus rapide, plus direct. Nettement plus destructeur, aussi. Au fond, il est comme tous les autres, et ça ne l'étonne pas vraiment : personne n'arrive jamais vraiment à saisir l'ampleur du gouffre qui s'est ouvert dans son esprit. Même elle n'en est pas capable. Même elle n'arrive qu'à percevoir la surface de sa folie, quand elle ne se laisse pas entraîner purement et simplement, alors comment pourrait-elle demander à quelqu'un d'extérieur de l'appréhender ? Chacun voit la part qu'il veut. L'alcoolisme, ou la phobie de l'abandon, ou l'érotomanie, la colère, la dissociation, la cicatrice sur sa tempe. Au fond, quand elle passe d'un masque à l'autre, elle ne fait que la moitié du chemin ; ce sont les autres, qui lui donnent des couleurs. Il semble que le seul masque que plus personne n'arrive à prendre au sérieux est celui de son sourire. Rien de bien surprenant à ça non plus.

Elle n'a plus rien à dire. Pour une fois, elle a vraiment l'impression qu'il a pris conscience de ses paroles, mais ça ne veut pas dire qu'il va tout retenir, ni qu'il ne va pas faire remonter les arguments la prochaine fois. C'est l'inconvénient des gens occupés, ou des gens moins analytiques qu'elle : ils oublient. Elle ne peut pas se le permettre. L'oubli, c'est le risque de faire tomber son masque, alors elle se souvient de tout ce qu'elle peut. Les réactions de chaque personne, leurs mimiques, leur attitude, tout ce qu'ils ont pu lui dire. C'est sûrement une malédiction parmi les autres, ou une terrible ironie, pour quelqu'un dont les souvenirs sont capables de se réécrire sous le coup de la folie.

» Je t'ai déjà dit tout ça. Plusieurs fois. Mais tu n'as jamais vraiment écouté. Je ne sais pas ce que tu cherchais de plus, mais ça fait bien longtemps que le masque est tombé entre nous. Tu n'avais juste pas envie de croire que ce que tu voyais était réel.

Elle soupire. Elle est épuisée. Les gens peuvent dire ce qu'ils veulent, parfois faire semblant est moins fatiguant. Les émotions sont épuisantes, les souvenirs aussi, les conflits qui impliquent les deux, encore plus. Mais elle a laissé ses illusions de côté depuis longtemps. La vérité, c'est que les gens ne l'apprécieront jamais vraiment et qu'il faut simplement qu'elle s'y fasse. Alors à quoi bon essayer d'être ce qu'ils veulent ? Autant attendre que quelqu'un d'aussi déglingué qu'elle finisse par mettre un pied dans sa vie. Enfin, ça c'est la théorie, en pratique elle est tout bonnement incapable de s'arrêter. C'est tout ce qu'il reste de sa personnalité.

» Je rentre chez moi. Tu sais où me trouver, de toute façon.

Elle n'a plus envie de se battre. Alors elle se redresse maladroitement pour se diriger vers la porte. Le confort de sa chambre et de la solitude lui feront le plus grand bien.

Tessa E. Buchanan

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"Non". Voilà, sa réponse, la certitude qu'elle a depuis bien plus longtemps qu'il ne l'imagine et qu'il a si longtemps préféré ne pas admettre. Combien de fois lui a-t-elle dit qu'il n'en était pas capable ? Même avant qu'ils se retrouvent au bord de la piscine, elle le savais déjà. Elle le sait depuis l'ouragan, peut-être même avant, elle le sait depuis qu'elle l'a vu par la fenêtre de l'hôpital. Un pâle sourire se dessine sur ses lèvres. Amer. Résigné. Ironique, pour quelqu'un qui cherche temps à laver le sang sur ses mains, de ne pas vouloir qu'il lui arrive quelque chose. Pourtant ça ne serait pas lui qui presserait la détente. Il aurait juste eu à la laisser partir. Mais ça non plus, il n'en est pas capable. Comme les autres, il se laisse manipuler et il la sauvera malgré elle, malgré lui, malgré ceux qui souffriront de son passage.

» Tu es un idiot.

Le monde entier est composé d'idiots. De naïfs plein d'espoir qui pensent que tout problème a une solution. Est-ce qu'il s'imagine encore qu'il y a quelque chose à sauver chez elle ? Ou bien est-ce qu'il est juste trop loin dans sa propre folie que la simple idée de la voir mourir le blesserait ? Ah... L'humanité est terriblement prévisible... C'est sa faute, aussi. Elle n'aurait pas dû venir ce soir-là à la piscine en sachant très bien qu'il ne presserait pas la détente. Elle n'aurait pas dû garder le contact. Si elle avait simplement disparu, les choses ne seraient pas allées aussi loin. Qui voudra tenter de la convaincre que tout ça n'existe que dans sa tête ? La différence est tellement écrasante qu'elle se demanderait presque comment elle a pu croire un seul instant à son histoire avec Cam.

» C'est toi qu'ils veulent, non ? À moins qu'il ne veuille ta mort par culpabilité, je vois pas à quoi me tuer pourrait bien leur servir.

Malgré tout, elle hausse les épaules et attend tranquillement qu'il le lâche pour aller s'asseoir dans un coin, les genoux ramenés contre elle.

» Tu aurais pu trouver une cachette moins miteuse.

Quitte à être seule avec lui, elle aurait préféré que ce soit dans un endroit plus agréable. Mais bon, vu qu'il n'a pas l'air décidé à la laisser sortir, elle s'en contentera. C'est la buanderie de sa résidence qui en subira les conséquences.

» On parle d'un sniper avec tout le temps du monde, comment tu vas savoir s'il est là ou pas ?

À la base, elle voulait juste profiter tranquillement du marché de noël. Pourquoi faut-il toujours que les choses dégénèrent comme ça ?