Je me demande comment cela se fait que je n’ai pas eu l’idée de m’inscrire dans le club d’écriture avant de repartir en France. C’était pourtant logique… Bon, vous me direz, j’ai aussi été assez bête pour prendre japonais en LV1 alors que j’aurais pu prendre le français qui est ma langue maternelle… J’ai sauté une classe, mais il faut croire que je suis pas si futé que ça… Comme quoi, l’intelligence n’est pas forcément liée à la scolarité ! C’est pas parce que tu as de bonnes notes que tu es une lumière !
À cette pensée, je ne peux pas m’empêcher de sourire. C’est comme le sport ! J’étais dispensé à cause de ma santé fragile alors que maintenant que j’en fais, en plus de mon régime alimentaire bien plus sain, il m’arrive moins souvent de tomber malade ! C’est fou comme on agit pour éviter certaines choses alors qu’il faut faire l’inverse pour régler le problème ! Je ne dis pas que c’est systématique, mais en tout cas, c’était le cas pour moi ! Et je trouve ça très cocasse !
Je marche tranquillement dans les couloirs en direction du lieu de réunion du club, qui change apparemment régulièrement. On m’a dit que c’est souvent dans des salles de classes mais que cette semaine, c’est dans la bibliothèque. Ça me va ! J’ai toujours apprécié l’ambiance de la bibliothèque et j’y allais souvent pour faire mes devoirs d’écriture. Il faut dire que, bosser sur ses devoirs dans la chambre avec Luka qui joue de sa guitare et parle comme s’il était sur scène… ce n’est pas très évident ! Avec Jesse, ça va, il est calme, mais Luka… c’est une pile électrique. Et il ne sait pas baisser le ton.
En tout cas, je me demande ce qu’on va faire dans le club. C’est la première fois que j’y vais et je suis un peu nerveux ! Est-ce qu’on va écrire un texte, avec un scénario prédéfini ? Ou alors, un jeu ? Genre… écris un texte sans utiliser la lettre E ? C’est super dur… Ou… écrire un dialogue ? Un poème ? J’avoue, j’ai hâte ! J’aime tellement écrire…
J’approche de la grande porte de la bibliothèque et entre dans ce lieu de silence et de connaissances… Maintenant que j’y pense… on pourrait presque comparer les bibliothèques aux lieux de cultes ! Sans perdre mon sourire, je m’avance parmi les rangées de livres, jusqu’à atteindre les personnes attablées au centre de la salle. Je pose mon sac en silence, et sors ma trousse et des feuilles, puis attends sagement tout le monde arrive et que le président du club nous parle de l’exercice de la journée.
Tu sors de cours le sourire aux lèvres, car aujourd'hui, c'est club d'écriture. Toi qui es dans plusieurs clubs, tu as souvent le sourire en fin de journée finalement. Parfois, car c'est simplement la fin de cours, synonyme de liberté, de tranquillité. Mais souvent grâce aux clubs justement, qui te permettent de te sentir bien autour d'autrui, sans avoir à faire d'énormes efforts. C'est le moment où tu brilles le plus de sociabilité, bien que le taux soit encore faible. En bref, ce sont de bons moments. Aujourd'hui, le club d'écriture se passe dans la bibliothèque. Tu n'y vas pas souvent, ou plutôt, tu y vas souvent en coup de vent, mais tu n'y restes jamais. C'était une bonne occasion de t'imprégner des lieux. Il faut dire qu'elle était magnifique. Elle te donnait cette impression d'être une étudiante dans l'une des plus grandes écoles qui existe, tant elle te paraissait grande, si impressionnante. Mais ça, c'est surtout car tu n'en as pas l'habitude finalement. Il ne faut pas oublier que tu as tant loupé les cours, que toute l'enceinte académique était presque nouvelle pour toi lors de ton arrivée ici. Il a fallu que tu redécouvres ce que c'était que de travailler, de réviser, de se lever à des heures fixes et d'être en salle de classe des heures durant. Sans qu'il n'y est de la musique à un volume indécent, sans que la pièce ne sente l'alcool ou la drogue. Un rien pouvait t'impressionner finalement, tant tu avais peu vue de ton vivant.
Une fois arrivée à la bibliothèque, tu avances d'un pas silencieux jusqu'au point de rendez-vous. Tu t'assois et sors de quoi écrire, la pièce est dans le silence absolu, attendant que tout le monde arrive. Celui qui s'occupe du club attend encore une dizaine de minutes, personne ne vient. Il se racle alors la gorge, et se présente à tout le monde comme il le fait chaque semaine. Tu t'es toujours dit qu'il faisait ça au cas où il y est des nouveaux. Pourtant, c'était rarement le cas. Mais soit. Aujourd'hui, c'est un exercice en duo. Chacun doit travailler avec son voisin. Tu tournes la tête et ta voisine de gauche est déjà prise par son autre voisine, tu vas donc être avec l'autre personne à côté de toi. Tu te tournes alors tout sourire de l'autre côté. Oh tiens, il ne me dit rien. Pour une fois qu'il y a un nouveau ! Le président s'explique, vous allez tous devoir écrire un poème sur votre coéquipier, sans vous poser de questions au préalable. Vous pouvez parler de ce que vous voulez, ce que la personne vous inspire aux premiers abords, ce que vous pensez de son physique, ce que vous pensez que sont ses passions, mais le tout joliment écrit et avec des rimes. Tu scrutes la personne en face de toi un moment, essayes de lui donner un prénom dans ta tête et de lui trouver des qualités sans pourtant le connaître puis, quelques dizaines de secondes plus tard, le bruit des crayons retentit.
Une fille s’installe à côté de moi et je baisse les yeux sur ma trousse pour en sortir tous les crayons et stylos qui pourraient m’être utile. Le président du club prend alors la parole, et nous informe de l’exercice du jour. Ecrire un poème sur un partenaire qu’on ne connait pas… J’en vois certain qui se sont rapidement mis ensemble, trichant en se mettant avec un ami et je regarde autour de moi. La fille me tourne le dos, avant de finalement planter son regard dans le mien et me faire un sourire auquel je réponds. Bon… C’est parti alors. On se regarde… Silencieux… S’analysant… Essayant de comprendre qui est l’autre sans même dire un mot.
Puis tous le monde se met à écrire, et la bibliothèque pourtant déjà silencieuse, s’emplit d’une tension provoquée par notre concentration.
Je dois bien l’avouer, je ne suis pas très fort en poème… Je trouve rarement l’inspiration nécessaire. Et là, devoir écrire sur une fille que je ne connais pas… ? C’est plutôt coton. J’ai peur d’écrire quelque chose qui pourrait la vexer. Je pourrais écrire sur ce que je vois… sur son physique, mais j’ai horreur d’écrire quelque chose d’aussi superficiel… Un petit soupir s’échappe de mes lèvres avant que je n’attrape le bout de mon crayon entre mes dents pour le mordiller, mes yeux se posant de nouveau sur elle pour l’observer écrire. Son visage s’est légèrement fermé par la concentration… le regard fixé sur sa feuille pendant que sa main s’active sur le papier… Sa mèche de cheveux tombe devant son visage comme un rideau qu’on tire en recherche d’intimité.
Puis je me lance, inspiré par ce que je vois, inspiré par ce qu’elle dégage et par ce qu’on fait. M’y reprenant à plusieurs fois pour trouver les bonnes formulations de phrases, cherchant mes mots pour trouver des rimes intelligentes, je construis progressivement mon poème.
Le temps passe, certains grommellent, perturbés par le manque d’inspiration, d’autres restent concentrés le nez dans leurs feuilles, et je m’étire après m’être relu, satisfait par ce que j’ai écrit. Je lève les yeux, et tourne la tête vers la fenêtre, patientant sagement que tout le monde ait terminé pour le moment du reveal. Puis c’est l’heure, et le président nous invite à échanger nos feuilles pour faire découvrir à l’autre nos écrits, avant de potentiellement les lire à voix haute pour tout le monde. J’avoue que je suis un peu embarrassé… Je n’ai jamais écrit de poème sur une fille… Alors j’espère que ça va lui plaire… Je me réinstalle pour lui faire face, et lui tend la feuille, n’osant pas vraiment la regarder dans les yeux.
- Euh… Voilà. Je me suis principalement basé sur ce que tu dégageais quand tu écrivais… J’espère que ça te plaira.
« Ses cheveux d’ébène cachent son regard profond, Ces deux émeraudes fixées sur sa feuille quadrillée, Alors que sa main vive s’active sur le papier, Et que des mots se forment via ses doigts vagabonds.
L’expression des maux Dans le reflet de son regard, L’expression des mots Qu’on lit dans ses yeux hagards.
Incertaine, elle note tout ce qui vient à son esprit. L’émeraude brillant soudain d’une lueur savante, Quand, tel un éclair, l’inspiration frappe, triomphante. Et Les mots s’enchaînent alors, formant un infini.
Le génie transformant son visage À travers ses cheveux faits par la nuit ; Ce fin et doux voilage Qui interpelle mon esprit. »
