Mes désirs sont des ordres. À moins que ce ne soit l'inverse. L'un ou l'autre, de toute manière, ça ne changera rien, puisqu'il arrive un stade dans le contact humain où les désirs des uns et des autres se croisent et ses ressemblent tant que la frontière n'est plus qu'une chimère du passé. Il n'avait aucune raison objective de sortir de sa chambre ce soir. L'île où ils se trouvent ne fait pas partie de son terrain de jeu, qu'il a laissé à l'autre bout de l'Europe pour quelques jours. Il ne connait pas les clubs, les bars et les boîtes de la ville, à vrai dire il ne sait même pas s'il y en a. On est loin de la capitale anglaise et des grandes villes. Le silence qui règne à Santorin est assourdissant et angoissant au possible. Et de toute façon, depuis qu'ils sont arrivés, il n'arrive pas à dormir. Il n'est pas fait pour passer la nuit avec d'autres personnes si les lits sont séparés.

Tu pourrais un jour l'enfiler, cagoulé, pénétrer chez moi ou dans ma chambre au lycée et... faire ce que tu veux de moi et de mon corps. Après tout, pourquoi pas. Dans les faits, il n'a pas de tenue de ce genre, et il n'a eu le temps de faire un crochet dans les quartiers moins bien fréquentés d'Athènes pour essayer de s'en trouver une, mais peu importe. Il a des vêtements suffisant pour s'infiltrer de nuit dans une chambre qui n'est pas la sienne, c'est toujours mieux que rien et quitte à ne pas trouver le sommeil, autant avoir une raison qui n'accentuera pas sa dépression.

Habillé tout en noir, invisible tant qu'on n'allume pas la lumière du couloir, il parcourt le plan de chambres du regard. Quelle bonne idée, d'avoir fourni une liste à tout le monde. Ça permet à chacun de trouver sa chambre et, surtout, ça lui permet à lui de trouver la chambre qu'il cherche. Ça lui a prit beaucoup d'aller-retours entre le site de l'école et cette fichue liste, pour avoir une tête à mettre sur les noms, mais il a fini par dénicher ce qu'il cherchait.

Frapper, c'est surfait. Comme les mauvaises habitudes ont la vie dure, il a piqué une carte magnétique de l'hôtel à quelqu'un qu'il a croisé peu après leur arrivée et qui a sûrement passé un long moment à se demander où était passé sa clé universelle. Ce qui compte, c'est qu'il peut s'en servir comme il veut. Par exemple, pour entrer dans le silence le plus complet, en dehors du petit bip de l'ouverture, dans une chambre qui n'est pas la sienne. Reste à ne pas se tromper de personne. Contrairement aux noms qu'il retient mal, il n'oublie jamais totalement un visage. Même dans l'obscurité à laquelle ses yeux se sont lentement habitué depuis qu'il a quitté sa chambre, il repère facilement celui qu'il est venu trouver, se faufile dans son lit, avant d'approcher ses lèvres de son oreille.

» Réveille-toi.

C'est un murmure, accompagné d'un souffle dans ses cheveux au cas où la présence près de lui n'aurait pas suffit à le tirer du sommeil, et d'une main qui vient se plaquer sur sa bouche pour l'empêcher de crier ou de sursauter.

» Ne fais pas de bruit, ça serait dommage de réveiller toute la chambre.

Un hoquet de surprise ou l'inspiration angoissée qui accompagne un réveil soudain gâcherait tout l'intérêt de la chose.

La domination n'est pas une question de force physique, mais plutôt de la puissance d'une persuasion, celle de l'esprit qui parviendrait à faire flancher n'importe quelle personne auprès de qui on désire extraire quelque chose. Des aveux, des actes, des pensées ou des paroles qui sont pourtant éloignées de la réalité, ou plutôt d'une réalité. S'immiscer dans l'intimité de l'autre et prendre les commandes de son corps comme un marionnettiste aux commandes de son spectacle et des quelques jouets ficelés à ses doigts. Maître dans l'absolution de son art au même titre que le couturier décide ce qu'il advient de ses morceaux de tissu, de la forme qu'ils prendront, où sera plantée l'aiguille et par où elle sortira.

Dans le cas de Timaé, c'est plus complexe. Se sentir soumis à l'autre réside sans doute dans l'arc le plus jouissif de son large éventail de fantasmes, mais pas seulement. Là où certaines femmes et certains hommes iraient prendre leur pied en se voyant forcer à s'agenouiller en toute impuissance, l'artiste y ajoute ses précisions maladives faisant des siens des boutons ornés uniques dans le monde. Du moins, dans le sien. Une soumission n'est pas l'autre. Chaque situation est différente, en fonction du lieu, du partenaire, de la matière, de la position, ça en devient un défilé bien orchestré qui menace de s'effondrer à la moindre incartade. Du latex n'est pas du cuir, un noir charbonneux n'est pas un noir de jais, des gants ne sont pas des mitaines, une combinaison n'est pas un ensemble, des bottes ne sont pas des bottines, une veste n'est pas un manteau, agenouillé n'est pas synonyme d'accroupi et ces nuances forment la précision chirurgicale entre son fantasme et son plaisir... entre sa soumission et sa domination.

Tout contrôler est plus qu'un besoin, c'est une nécessité. Tout est calculé sans l'être, mais il s'assure continuellement à ce que ses désirs voient le jour et se matérialisent sans que cela n'ait été dicté par ses soins. Pousser quelqu'un à l'embrasser pour qu'au final cela soit devenu une initiative de l'autre n'est pas la même chose que forcer ladite personne à le faire. Les sensations sont à l'opposé l'une de l'autre et le challenge ne se pose pas dans le second comme il se posait dans le premier. Souffler ses envies les plus profondes aux oreilles de ses proies avec comme unique volonté de voir s'ils le feront d'eux-mêmes ou n'y penseront même pas. Et pourtant, sexuellement parlant, il ne s'est jamais vu comme étant celui menant la danse, brisant instantanément les mythes autour des relations homosexuelles masculines avec les rôles stupidement prédéfinis entre un "dominant" et un "soumis" qui n'en ne sont pas. Pas selon ses goûts. Un peu égoïste dans l'âme, il préfère être la cible des caresses et des actes selon ses préférences plutôt que de les offrir à l'autre puisqu'il reste persuadé que ce qu'il a à offrir en échange est bien plus précieux que quelques mouvements de poignet qui personnellement le rendent fou.

C'est ainsi que son réveil en sursaut, avec une personne tout habillée dans son lit et une main sur la bouche, lui permis de rapidement prendre conscience qu'il semblait avoir frappé à la bonne porte. Un faible instant de panique le temps de reprendre ses esprits ainsi qu'une vision claire suivi d'un soulagement rapidement rejoint par une montée d'adrénaline autre que la peur. A l'entente de cette voix chuchotée et à la suite de la connexion faite entre l'instant présent et l'écho de ses paroles prononcées avant d'embarquer dans l'avion, il parvient à comprendre qu'il s'agit de Damen, bien que dans l'état peu de choses peuvent le prouver. Après un cri étouffé dans le creux de cette paume nue plaquée contre ses lèvres, il soupire fortement par le nez, se redressant légèrement, la couverture glissant le long de son torse légèrement musclé, dénudé et désormais complètement sans protection. Il faut dire qu'il a l'habitude de dormir nu et un voyage scolaire n'y changera rien. Les intrus nocturnes n'étant pas réellement habituels.

Nerveusement, il esquisse un rire dont le son est toujours étouffé par sa camisole vivante et possiblement mouvante, cherchant dans un réflexe perfectionniste d'admirer la tenue dans laquelle se trouve son partenaire. Dans le noir complet, c'est assez délicat de réellement prendre conscience de l'entièreté, surtout si la plus grande partie de son corps se cache aussi sous sa couverture. Il chercherait bien à lui poser des questions, mais dans l'état actuel cela ne ressemblerait à rien. Quoi qu'il en soit, l'effet de surprise est un franc succès, il avoue avoir été complètement pris au dépourvu et non pas dans le mauvais sens du terme. D'ailleurs, son corps ne tarde pas à réagir, malgré le fait d'avoir été si précipitamment éveillé, par quelques frissons, un durcissement de ses tétons et une petite montée de sa masculinité. Après tout, il n'a jamais cherché à cacher sa sensibilité.

Délicatement, il pose une main sur l'avant-bras du blondinet, ne sachant pas s'il s'agit d'une veste, d'un pull, d'un manteau ou d'un t-shirt à longues manches, mais dans un désir de lui montrer qu'il peut désormais retirer sa main sans risquer un quelconque cri d'effroi qui réveillerait toute la chambrée. Ça serait ballot de gâcher une si belle entrée en matière.

Il y a bien des choses à constater, en quelques secondes de contact. En dehors du fait qu'il l'a très clairement réveillé, vu le sursaut qu'il obtient en réaction à sa présence, il y a le souffle contre sa paume dont le bruit s'étouffe comme s'il n'avait jamais existé, la légère panique perceptible qui disparait dès que la situation devient claire, les mouvements, le petit rire nerveux qui se noie dans le silence forcé, et sa tenue. Ou plutôt, son absence. Ça ne le surprend pas vraiment. Avec un caractère comme celui qui transparaît dans sa façon de s'exprimer, aucun doute qu'il se fiche d'être accompagné ou non pour dormir nu. Tant mieux, ça évite quelques étapes bruyantes dans la liste ; en tout cas, pas les bruits les plus intéressants.

La surprise passée, une petite tension s'installe dans l'air. Pas de bruit, pas de mouvement jusqu'à ce qu'une main vienne doucement se poser sur le bras de Damen, sans doute pour lui faire signe qu'il ne criera pas. Considération intéressante, mais les lèvres du blondinet s'étirent en un sourire.

» Qui te dit que j'ai envie que tu parles ?

Parler trop risquerait à terme d'attirer l'attention, mais parfois, les mots contiennent autant de potentiel que les actes. Faire trembler quelqu'un d'anticipation en quelques paroles reste un art, et l'imagination une arme qu'il serait dommage de ne pas exploiter. Le petit artiste voulait être à sa merci, autant lui donner ce qu'il a réclamé. Malgré tout, Damen écarte un tout petit peu sa paume, juste assez pour lui donner l'opportunité de placer quelques mots sans retirer la pression de son contact. Un juste milieu comme un autre.

Autre chose facile à constater même dans l'obscurité, ou peut-être justement parce qu'il s'est habitué à l'obscurité, les petits frissons qu'il a déjà fait naître sur sa peau. Eh bien, il faut croire qu'il ne faisait pas que fanfaronner, à l'aéroport. Il y a bien des choses qui se passent dans cette tête, et qui ne sont pas là juste pour faire joli. Elles prennent de la place, de l'importance, et alimentent quelque chose de bien réel. De physique. La variété des fantasmes humains a quelque chose de fascinant.
Reste à savoir ce qu'il va faire de cet inconscient qui s'est si facilement jeté entre ses mains.

Le prendre là sur ce lit serait trop simple. Il veut le faire languir, le voir tenter de résister vainement aux pulsions dans ses veines, l'entendre lutter contre la voix qui veut remonter dans sa gorge, le sentir trembler et craquer un peu plus entre ses doigts jusqu'à ce qu'il perde le contrôle dont il se plait tant à se vanter.. N'est-ce pas lui qui lui a dit de faire ce qu'il veut de son corps ? En tester les limites est parfois un jeu plus amusant. Sans retirer sa main de ses lèvres, d'une petite pression derrière son épaule, il le pousse à se tourner sur le côté, simplement pour pouvoir se glisser sous la couverture et se rapprocher de lui, torse contre son dos. Une petite seconde de parole, avant qu'il passe son bras sous sa tête pour pouvoir de nouveau bloquer ses lèvres ; et l'attirer un peu plus contre lui. Un bras bloqué contre le matelas, l'autre libre de ses mouvements.

Si la loi du silence est une règle d'or s'il veut pouvoir s'amuser jusqu'au bout, ça ne l'empêche pas de venir souffler contre son oreille, caressant sa nuque dans le picotement d'une respiration tandis que sa main libre vient se glisser contre ses hanches, savourant les petits frissons qu'elle sent sur sa peau. Les gens sensibles qui savent le compenser par un comportement audacieux ont un côté intéressant difficile à nier. Petit sourire au coin des lèvres, qui s'entend dans son souffle plus qu'il ne se voit dans la situation actuelle, Damen laisse sa main glisser un peu. Effleurer son ventre, s'inviter un peu plus bas, constater que son entrée en scène a eu plus d'effets que quelques frissons.

Est-ce brûler les étapes que de s'y attarder plus longtemps ? Sans doute, mais la tentation de le voir lutter pour ne pas gémir à son contact est trop grande. Alors ses doigts restent, dans des caresses encore discrètes qui cherchent à tester la sensibilité que le petit artiste ne s'est jamais embarrassé de cacher. Par prudence, il renforce la prise de sa paume sur ses lèvres, ramenant le dos de sa tête contre son épaule. Tester ses limites, d'accord, mais pas au point de tout gâcher alors qu'il a à peine commencé.
Si tu es sage, tu pourras y accéder sans pantalon plus tard dans le séjour. Hm. Ironique, il faut croire qu'il a été sage. Une fois de temps en temps, ça ne coûte rien.

Une entrée en matière défiant toute concurrence, à la hauteur de ses attentes ainsi que de ses rêves les plus fous avec comme seul défaut l'absence de cette combinaison intégrale sur laquelle il fait une fixation depuis être tombé là-dessus par hasard en matant une série probablement pas destinée à un public de son âge. Il faut dire qu'il fonctionne comme ça, tel un prédateur à la recherche d'activités le faisant vibrer, lui permettant de se sentir vivant, trouvant un sens à son existence on ne peut plus banale. A la place de rêver de son futur métier -qu'il maîtrise déjà avec son maniement de l'aiguille- ou du confort matériel dont il pourrait jouir à l'avenir, il place une importance colossale aux petits extras lui offrant des expériences capables de toucher des parcelles de son être difficiles à atteindre en temps normal. Braver les interdits, contourner les règles, se frotter au danger est sa raison de vivre, l'essence même de sa personnalité et le moteur lui donnant la force nécessaire pour sortir de son lit une fois sa nuit achevée. Il se fixe des objectifs, des cases à remplir qu'il se doit de valider avant une date butoir bien précise, trop souvent marquée par un âge tout aussi spécifique.

A déjà 16 ans, Timaé rescelle d'idées et d'envies un peu trop poussées, certaines personnes le jugeant de pervers, là où lui y voit l'opportunité de ne pas être ringard, une forme d'art passant par son adoration déjà prononcée par les plaisirs de la chair. Et pourtant, jusqu'à présent, peu de possibilités se sont réellement présentées à lui, soit parce que les gens ont peur, soit parce que certains n'assument pas d'avoir succombé au charme d'un garçon. Il est l'incarnation du cliché qui n'en regroupe aucun. Comment peut-il apprécier la mode -et par extension logique être homosexuel- sans avoir des traits féminins développés à outrance ? Anomalie dans son genre, il n'est rien d'autre que l'exception pas si exceptionnelle à la règle. Ses moindres faits et gestes, son style vestimentaire, sa façon de s'exprimer et ses goûts sont faits et soigneusement sélectionnés pour brouiller les pistes, induire en erreur, s'extirper de la masse du prévisible tout en le restant à sa manière. Après tout, pourquoi être ennuyeux lorsque l'on peut-être fabuleux ? Avec ce genre d'attitude, il brise les codes et provoque des réactions aussi vives que les siennes. L'impossibilité nette d'être dans la demi-mesure tandis qu'il se veut maître de la situation, partout et tout le temps.

Ce n'est qu'en arrivant au sexe que les choses se compliquent, se désordonnent pour finalement trouver un sens auprès des rares dotés d'un semblant de jugeote. L'abandon et la perte dans le plaisir pourtant tous deux initiés par ses soins. Et la situation actuelle n'en est que la preuve la plus évidente. Une proposition. Non, un ordre soufflé aux oreilles de la cible il y a de cela plusieurs jours, le temps que ça mijote, que cela soit pris en considération, tourné dans tous les sens et ce jusqu'à ce que ladite personne n'y prête plus attention où qu'elle s'abandonne à la frustration en ne lui laissant plus d'autre choix que le passage à l'action. C'est ainsi qu'il pénètre dans sa chambre, le réveille par surprise et cède à ses caprices déjantés. A ce moment précis, tout a été suivi à la lettre à une exception vestimentaire près, amenant avec elle une légère déception. Cependant, l'excitation est là, il serait incapable d'ouvertement contredire son corps. Et c'est maintenant que l'avancée dans l'inconnu commence.

Les yeux encore légèrement écarquillés par l'effet de surprise, il se saisit de la mince ouverture afin de glisser quelques mots à peine. Ceux que son bourreau accepte de lui céder.

- Mec, tu l'as vraiment fait. Tu es fou.

Des mots évidemment chuchotés pour coller parfaitement avec le code de discrétion qui est de mise afin d'éviter d'éveiller des soupçons auprès des autres camarades. Il n'est pas là question de gêne auprès de potentiels spectateurs, mais il avoue préférer garder en suspens la possibilité d'en attirer sans prédire à l'avance si cela se produira. Et puis, c'est dans la thème de l'infiltration... dans tous les sens du terme.

Comprenant dès lors que la main du blond ne quittera pas sa place, il retire la sienne de son avant-bras tout en se plaçant sur le côté, comme indiqué par la pression faite sur son épaule. Les choses intéressantes se mettent en place et il peut sentir une forme d'impatience et de passion nourrir les battements de son cœur ainsi que le rythme de sa respiration. Munis de légers mouvements, leurs corps se positionnent sous la couverture afin de former un emboitement presque parfait, son dos en contact avec le torse vêtu du garçon suffisamment fou pour se plier à ses désirs. Il doit avouer que la présence de la couverture joue un double rôle dans la situation présente ; celui du camouflage rendant ça un peu plus secret et celui de la barrière l'empêchant de potentiellement pouvoir voir ce qu'il se passe, bien que l'obscurité de la pièce l'empêche déjà d'en être pleinement conscient.

Perfectionniste à toute épreuve et sensible au visuel, le plongeon dans le noir le plus complet interfère avec ses sens et en particulier avec celui qui se veut le plus actif dans ce genre de moments. Mais que peut-il y faire, ainsi condamné au mutisme ? Tenter de l'exprimer serait voué à l'échec et s'il y a bien une chose qu'il craint actuellement, c'est de mettre un terme précipité à l'authenticité de leur action avec pour cause son besoin maladif de tout contrôler dans les moindres détails en se fiant avec précision au schéma qu'il s'était construit dans son esprit.

Néanmoins, la torture des méninges n'est que de courte durée puisque la main libre ne faisant pas partie des siennes s'amuse déjà à tâter le terrain, prendre ses marques en venant d'abord caresser ses hanches, s'imprégner de la sensation de sa peau, ce que Timaé fait aussi de son côté. Imaginer la scène dans sa tête par besoin de s'accrocher à une image aussi proche que possible de la réalité, de doigts suivant la courbe de ces dernières en étant allongé sur le côté, soupirant très doucement à cette entrée en matière, son corps envoyant une seconde vague de frissons sur cette peau chaude de sensations.

Pourtant, l'accoutumance ne se fait que de courte durée puisque les doigts malins avec lesquels il tente de se familiariser se précipitent sur ses parties les plus intimes dont une en particulier, y élisant domicile, au moins pour un petit bout de temps, provocant auprès de l'artiste une réaction vive et instantanée, gorgée d'un raidissement de ses muscles et de son corps avec en accompagnement l'inspiration violente désignant l'atteinte d'une sensibilité inavouée.

Si seulement ce n'était que le geste. Non, c'est un tout. Sans cette intrusion dans sa chambre, sans les vêtements sombres gardés sur lui, sans cet air détaché et pourtant intéressé du complice, les sensations ne seraient pas aussi vives. Et encore, il ne s'agit là que d'une simple mise en bouche proposée par l'hôte de la soirée, quelques caresses à peine. Quelles seraient les sensations d'une poigne entière faite sur son intimité tendue par sa présence ainsi que par le jeu auquel ils participent ? Que se passerait-il si Damen se met à commenter, joueur comme il est, ce qu'il constate ? Comment Timaé perdrait il sons sang froid en assistant visuellement à ce qui se cache sous ces draps, à un mouvement de poignet rapide, régulier et maîtrisé, de quoi faire sourire en coin celui qu'il a appelé au secours à l'aéroport pour précisément se retrouver dans cette situation ?

Des idées fantasques qui hantent ses pensées et le poussent toujours plus à réagir, ne tardant pas à déployer contre cette paume fermement scellée sa toute première bribe de gémissements.

Fou ? Toujours. C'est sa marque de fabrique, sa signature, sa personnalité. Fragmentée à l'excès jusqu'à ce qu'aucun morceau ne colle plus ensemble, sans morale, sans logique, sans schéma compréhensible. C'est sans doute pour ça qu'il déroute autant les gens autour de lui. Alors oui, sans doute que fou lui correspond bien, dans tous les sens du terme. Il ricane doucement.

» Oh, allez. Tu savais très bien que je le ferais, ne fais pas comme si tu avais choisi ta cible au hasard.

Bruits de mouvement dans les lits voisins. Ont-ils trop parlé ? Sûrement. Dommage, il aime bien susurrer des choses à l'oreille des gens, mais s'il en fait trop, il risque de réveiller quelqu'un, et ça gâcherait tout l'instant. Alors le silence est la seule solution. À partir de maintenant, plus un mot, plus une parole qui pourrait tirer les camarades de chambre du sommeil. Glissé sous la couverture, contre le corps de celui qui a cru bon de l'inviter indirectement, Damen s'installe comme s'il avait fait ça toute sa vie. Les gestes lui viennent facilement, seconde nature ou force de l'habitude. Jouer avec un corps n'est pas plus difficile que de jouer avec un esprit, il suffit de trouver les points sensibles.

L'avantage, c'est qu'à défaut de connaître précisément ceux de l'autres, certains points sensibles étaient les mêmes pour tout le monde. Sans gêne ou sans patience, sans doute les deux, la main de Damen se perd sur le corps qui cherche à la plier à sa volonté, s'invite sur ses hanches, se faufile entre ses jambes. Il n'a pas la moindre idée de ce qui peut bien se passer dans la tête de l'adolescent qui l'a entraîné ici. Il ne fait que répondre à une invitation, invitation plus que tentante. Une invitation qu'il peut sentir sous ses doigts, portée par un désir évident, sans vêtement pour le dissimuler. Désir perceptible, qu'il s'amuse à taquiner sans aller trop loin pour l'instant.

L'inspiration qui meurt au creux de sa main lui tire un sourire dissimulé par l'obscurité, par leur posture, un sourire qu'il exprime en collant un peu plus son corps contre le sien. Ne pas parler, finalement, représente un exercice plus difficile pour lui. Il aimerait pouvoir le taquiner un peu. À défaut, il vient simplement mordiller la peau de son cou, un peu en-dessus de sa mâchoire, continuant ses caresses, bloquant autant qu'il le peut sa paume contre ses lèvres. La douce limite entre l'envie de l'entendre gémir et la certitude qu'il faut garder le silence. C'est ce genre de petite frustration qui donne du sel à la vie. Il ne l'entend pas, mais il sent l'air s'écraser contre sa main. Trop tentant.

» Toujours aussi sensible.

Dit-il comme s'il le connaissant par coeur, alors qu'il ne l'a jamais vu ni dans cette tenue, ni dans cet état. Évidemment, que quelqu'un capable de se faire emporter par son imagination au point de se laisser envoûter à la simple idée de ses mains sur sa peau serait sensible en les sentant vraiment s'y inviter. Reste une petite question, curiosité intéressante : combien de mains s'y sont invitées avant la sienne ? Combien ont pu faire naître ces frissons et cette excitation dans son corps, provoquer les gémissements qui se perde contre le barrage appliqué sur sa bouche ? Et combien ont franchi l'étape suivante ?

En guise d'étape suivante, Damen laisse sa main prendre des libertés, se faire plus entreprenante, inquisitrice, comme si elle cherchait à révéler entièrement les fantasmes qui s'agitent sous le crâne ténébreux du petit artiste. Elle s'empare de ce point sensible, y prend tout pouvoir dans des gestes portés par la force de l'habitude. Intenses plus que rapides, assez pour le rendre fou sans risquer de précipiter les choses. Aller vite n'est pas toujours la meilleure manière de faire perdre la tête à quelqu'un. Parfois, approcher petite étape par petite étape du point de rupture est plus satisfaisant que de simplement jouer du poignet. L'avantage d'avoir un caractère comme le sien, c'est qu'on y gagne de la patience. C'est avec cette patience qu'il serre ses doigts autour de l'intimité qui ne réclame que sa présence. Chaque petit mouvement calculé, à la limite entre la recherche de l'excitation et celle de son résultat. Quitte à être le jouet de ses fantasmes, autant faire durer le plaisir.