Evan est un garçon très scolaire. Il n’a aucun souci à comprendre les exercices qu’on lui donne, et sa manière de pensée est très méthodologique. Donc oui, pendant les cours, ça le sert beaucoup. Mais ce n’est pas vraiment le cas dans la vie quotidienne. Une réflexion logique ne sert pas toujours à quelque chose dans ces moments, et c’est sûrement pour cette raison qu’il n’arrive pas à s’adapter aux personnes qu’il rencontre. Et c’est sûrement pour ça que jusqu’à maintenant, il n’a pas réussi à se faire de véritables amis. Cependant, et il en est plutôt fier, il a l’impression de réellement s’améliorer, et de s’entourer des meilleures personnes pour qu’il grandisse dans les meilleures conditions. Damen, Jesse, Luka… et Isaac. Ses amis, ses conseillers, et… Isaac. Avec Isaac c’est différent depuis le bal. C’est même différent depuis qu’il lui a fait visiter l’école. Il n’a pas de problèmes à lui parler, pas de problèmes à tenir une conversation normale, sans vraiment de but. Il aime bien être avec lui, il se sent bien, et quand il lui parle c’est différent d’avec ses colocataires. Il se sent à la fois nerveux et bien, à la fois léger et décontenancé, il craint ses réactions tout en s’en languissant. C’est un sentiment très complexe et contradictoire qui le fait réfléchir beaucoup.
Mais ce qui le perturbe le plus, ce sont les propos de ses amis… et leurs actions. Jesse les avait inscrit pour être Roi et Roi du Bal… Il était perturbé, c’est certain, mais au fond, tout au fond de lui, ça lui a fait plaisir ! Et il n’arrivait pas vraiment à se l’expliquer… Et quand ils ont continué à le taquiner à propos de l’américain, il était à la fois gêné et flatté, espérant silencieusement que ce qu’ils disent soit vrai. C’est là qu’il s’est rendu compte que c’était étrange. Et c’est là qu’il n’a plus rien compris. Il ne peut pas être amoureux… Ce n’est pas possible. Un couple, c’est un homme et une femme, non ? Comment pourrait-il être amoureux d’un autre garçon ? Ou…peut-être que ce n’est pas de l’amour, que c’est un tout autre sentiment qu’il n’avait jamais ressenti ? Peut-être que c’était ce qu’on ressentait envers un meilleur ami ?
Il avait besoin de réponse. Il avait besoin qu’on lui en apprenne plus sur le côté… sentimental. Et, si vraiment son premier instinct était bon, et qu’il est véritablement amoureux d’Isaac… Alors il a besoin de comprendre comment c’est possible, et pour ce genre de conseil… C’est à Damen qu’il veut le demander. Il aurait pu le demander à Jesse… Mais il ne voulait pas vraiment l’embêter avec ça, et il avait le sentiment que Damen saurait lui répondre. C’est son mentor après tout, il a confiance en ses conseils. Alors il lui avait envoyé un sms, lui demandant si c’était possible de venir le voir pour des conseils. Depuis la fête, il sait où il habite et il se doutait bien qu’il allait le rencontrer là, et rapidement, il a eu la confirmation avec la date et l’heure.
Alors le voilà devant l’immense portail de la Résidence Irridval,un peu mal à l’aise de voir le lieu dans une toute autre ambiance que la dernière fois. Lors de la fête, cela semblait moins intimidant comme lieu… Mais il est là, et il a besoin de comprendre si c’est vraiment possible entre garçons… Alors se souvenant des conseils de son mentor, prenant confiance et n’hésitant pas plus, il sonne.
Ton père n'est pas là ce soir, il travaille. Damen fixe le plafond, ses jambes battant sous la table. Sa mère est encore restée dans sa chambre ce soir, Natasha est sûrement cloîtrée à l'hôtel de ville avec son abruti de père - ce qui l'arrange autant que ça l'enrage - et les plats qu'on lui a laissés ne l'intéressent pas franchement. Il baisse la tête en la penchant sur le côté pour observer le plat qui trône sur son siège actuel, et se lève avec un grognement agacé. Franchement, il serait aussi bien avec un sandwich, tant qu'il a à boire pour aller avec. Rattrapé par l'ennui, il pousse sa nourriture d'une pichenette pour observer le mouvement du petit bout de viande qui vient rebondir sur le coin du plat puis sur la nappe immaculée.
» Tss.
Tu ne mérites aucun respect Damen. Un sourire amer étire le coin de ses lèvres. Peut-être bien. Il ne cherche plus à en avoir depuis longtemps. Avec un soupir, il abandonne le plat sur la table, retournant à la cuisine pour forcer le meuble contenant l'alcool de son père. Ça fait bien longtemps qu'il sait comment ouvrir ces portes, qu'il a repéré la faille entre les panneaux. Ses doigts se referment sur le goulot d'une bouteille de whisky qu'il ouvre en balançant la tête au rythme d'une musique imaginaire. Evan est censé venir ce soir. Besoin de lui pour des conseils. L'amertume toujours marquée sur ses traits, Damen ouvre la bouteille et la lève pour porter un toast.
» À mes leçon de vie, alors.
L'alcool lui brûle la gorge, mais il en a l'habitude, à force. Seul dans sa cuisine, il monte en équilibre sur le plan de travail pour ouvrir les placards plus en hauteur. Que c'est agaçant, d'être aussi petit. Avec un grognement, il attrape deux verres sur l'étagère la plus haute. Les plus précieux de son père, ceux qu'il ne lui pardonnerait jamais de casser. Enfin, peu importe. Maintenant qu'il a gagné ses stupides élections, ce qu'il pourra faire ne le gênera plus autant, du moins jusqu'à la prochaine campagne. Et pour une fois, il n'est pas dans cet état d'esprit. C'est pour Evan, tout simplement. Qu'il puisse boire à sa manière. Damen n'est pas fan des verres, lui. Ça ne se boit pas assez vite.
Vacillant sur le bord du meuble, il se force malgré tout à descendre prudemment en s'asseyant sur la surface pour poser les pieds à terre. Son petit agneau ne mérite pas de le retrouver avec la nuque brisée en arrivant. Parlant de ça... il entend sonner l'interphone et appuie sur le bouton d'ouverture des portes au passage avant de longer la piscine, sa bouteille et son verre à la main, pour arriver au portail avant qu'il ne soit entièrement ouvert.
» Coucou, petit agneau. Je te manquais ?
Evan a-t-il toujours été aussi... flou, ou bien a-t-il bu plus vite qu'il ne l'imaginait ? Il a une descente nettement supérieure depuis quelques temps, ce qui n'est pas négligeable vu sa vitesse habituelle.
Le portail s’ouvre et Evan se faufile rapidement, essayant de ne pas perdre son assurance. C’est Damen, il n’a pas grand-chose à craindre ! C’est son ami ! Il est venu pour des conseils, et il sait qu’il les aura. Il a confiance. Les mots de Damen l’ont toujours aidé étrangement. Et s’il ne demande pas à Jesse et Luka, c’est parce qu’il sait qu’ils vont le charrier, et il ne veut pas perdre de temps. Il a besoin de savoir si c’est normal qu’il ressente ce genre de chose pour Isaac… alors que c’est aussi un garçon… Ça le perturbe beaucoup trop… Il commence à marcher dans la résidence et quand il voit Damen, s’approcher de lui, longeant la piscine, ses yeux se plissent. Est-ce qu’il est… ivre ? La bouteille et le verre à la main… Ouais… Il n’y a pas de doute… Il est bourré. Et ça n’étonne pas tant que ça le français. Il finit par pousser un soupir en souriant, et vient à sa rencontre.
- Coucou, petit agneau. Je te manquais ?
Il lève les yeux au ciel et sourit plus largement. Petit agneau ? C’est comme ça qu’il le voit ? Certes… il n’a pas totalement tort mais il aurait aimé que ça change au fur et à mesure… Un jour, il ne l’appellera plus comme ça ! Il se le promet !
- Je ne dirais pas ça… Mais j’aurais besoin de tes conseils… Je…
Il hésite… Il ne devrait pas mais… Il n’est pas à l’aise à l’extérieur. Les voisins pourrait entendre… Et il va quand même lui dire qu’il a des sentiments pour un garçon alors… C’est pas vraiment quelque chose d’habituel… Détournant le regard et les joues rougissant doucement, il ajoute.
- On pourrait plutôt rentrer ? Je n’ai pas vraiment envie que d’autres puissent entendre… Juste au cas où…
Il le regarde encore et sourit en coin, un peu gêné. C’est sûr, il n’a pas l’assurance dont lui parlait Damen il y a quelques mois, mais cette fois est différente. Il n’arrive pas à l’avoir. Car il vient en tant que lui… Evan… Breton… Et ancien harcelé… Même si le blond devant lui n’est pas au courant. Il ne vient pas seulement voir le mentor, il ne vient pas seulement voir son conseiller, il vient aussi voir son ami…
"Je ne dirais pas ça". Merveilleuse réponse, ça, qui tire à Damen un sourire à mi-chemin entre la lassitude, la fierté et l'amusement. Il est presque surpris qu'Evan ait eu la franchise de lui dire ça directement. L'aurait-il fait quand il l'a rencontré ? Probablement pas. Il n'aurait pas osé dire ouvertement quelque chose qui a ce risque de blesser. Mais à force, il le connait. Et Damen est parfaitement conscient de ne manquer à personne, de toute manière. Passant le dos de sa main sur son front, il observe son petit agneau. Il a l'air hésitant malgré tout, aujourd'hui. Pas sûr de lui, comme s'il craignait quelque chose. Peut-être que Damen aurait dû boire un peu moins avant de lui ouvrir. Mais il ne s'en est pas vraiment rendu compte.
Sa question l'étonne un peu. De quoi a-t-il peur ? Cet endroit a toujours été le lieu le plus vide de cette fichue planète. Ils sont seuls, dans une bulle de silence que personne ne franchit jamais, comme s'ils étaient dans un monde à part. Mais a-t-il vraiment une raison de lui refuser d'aller à l'intérieur ? D'une certaine façon, ça réduira les risques qu'il chute dans la piscine avec un pas de travers, et ceux qu'Evan décide de partir soudainement. À l'intérieur, il sera plus loin du portail, il mettra plus de temps à s'en aller. Et là, il n'a pas envie qu'il s'en aille.
» D'accord.
Sa voix est étonnamment claire et stable, pour l'état de sa vision. Est-ce que son sens de l'équilibre est tout aussi catastrophique ? Il a la sensation de marcher à peu près droit, mais c'est peut-être juste la force de l'habitude. Il essaye de suivre le mouvement de ses pieds nus le long des lignes du carrelage. Non, il marche encore droit. Tant mieux. Ou tant pis, selon le point de vue.
Précédant son petit agneau, il se dirige vers la maison, l'emmenant naturellement vers la cuisine pour se rasseoir sur la table, à côté de l'assiette qui traîne encore sur la table et à laquelle il n'adresse qu'un regard dédaigneux. Puis il pose les verres et la bouteille à côté de lui. Il y a aussi une bouteille d'eau près de son repas ; vain espoir de sa famille de lui faire boire autre chose que les réserves de son père. Par provocation, comme s'il pouvait le voir, il prend une gorgée supplémentaire avant de poser ses pieds sur une chaine, gardant la bouteille en main alors qu'il appuie ses avant-bras sur ses cuisses.
» Alors dis-moi... qu'est-ce qui t'arrive ?
Il observe un peu la table et ce qui y traine avant d'ajouter d'une voix atone comme s'il ne faisait qu'énoncer des formalités.
» Ah... si tu as faim ou soif tu peux te servir.
C'est l'heure du dîner, après tout, il paraît. Ce plat porte trop la marque de son père et de son assistante pour que Damen ait seulement envie d'y toucher.
Il ne sait pas vraiment comment aborder le sujet… Il a l’impression que c’est bizarre. Il n’a jamais ressenti ça et il aimerait vraiment son avis, mais il y a toujours cette appréhension qu’il se fasse juger et qu’il se moque de lui. Mais… Damen est ouvert d’esprit, non ? Il l’a vu draguer des filles, et même des hommes alors… Enfin, Jesse aussi mais… Il ne sait pas… Peut-être qu’il n’avait pas envie de risquer d’être charrié… Intimidé, il demande si c’est possible d’aller à l’intérieur. Il n’est pas à l’aise avec ce qu’il va demander, alors il préfère être sûr que seul Damen l’entendra, et il sait qu’il est souvent seul ici. Evan avance donc vers la porte, suivi de son ami ivre. Il doit avouer qu’il aurait préféré qu’il soit sobre pour lui répondre, mais il n’est pas tant étonné de le retrouver dans cet état. Damen est connu pour avoir une bonne descente… Mais il mentirait en disant que ça ne l’inquiète pas le moins du monde, après tout, ils n'ont pas beaucoup d'écart.
Ils se retrouvent rapidement dans la cuisine et Evan l’observe s’installer sur la table à côté de ce qui semble être son repas… intouché. Plus ça va, plus il s’inquiète ouais, surtout quand il voit le regard qu’il lance à cette pauvre assiette qui n’a rien demandé. Est-ce qu’il n’aime pas les aliments ? C’est possible. Peut-être qu’ils devraient préparer autre chose ? Evan se met à réfléchir malgré lui, se désespérant mentalement de ne savoir faire que des pâtes…
- Alors dis-moi... qu'est-ce qui t'arrive ?
Le français sursaute à sa voix et rapidement, le rouge lui monte aux joues. Ce qu’il lui arrive ? C’est… Enfin… Comment dire ça… Embarrassé, il se met à se gratter la joue, un petit sourire en coin sur le visage, tout en restant droit devant lui.
- Ah... si tu as faim ou soif tu peux te servir.
Une proposition qui le sauve ! Content de changer de sujet, pas encore prêt à en parler, ce qui est bête quand la seule raison de sa présence ici est d’en parler…, son expression s’illumine alors qu’il lui pose une nouvelle question qui n’a rien à voir.
- Tu ne manges pas ? Tu n’aimes pas peut-être. On peut préparer autre chose si tu veux ! J’avoue que j’ai pas trop envie de manger seul… On pourrait se faire des pâtes ! C’est… C’est tout ce que je sais faire…
Lui lançant un regard désolé, il finit par se taire. Il se rend compte que c’est bête comme distraction et que, pour Damen, c’est certainement incompréhensible. Il l’embête un soir pour lui parler d’un truc important, pour finalement rien dire et faire des pâtes… C’est complètement ridicule. Rapidement, il détourne le regard, cherchant ses mots.
- Mmh… Désolé… Je…
Vas-y Evan ! Mets les pieds dans le plat ! Tu peux le faire ! Repense à ce qu’il t’a dit sur la confiance en soi ! Il inspire profondément et finit par se lancer.
- En fait… Il y a un truc que je me demandais… Parce que il arrive que je te vois draguer… des mecs et… C’est… C’est possible d’avoir des sentiments pour un autre mec quand on en est un soi-même ? Je veux dire… C’est pas censé être un mec et une fille ?
La maison du maire est une véritable ode au silence et à la solitude. Atteint par l'alcool malgré l'habitude, Damen se balance doucement de droite à gauche en observant le visage rougissant de son petit agneau. Allons bon, de quoi peut-il bien vouloir parler pour se mettre dans cet état ? pour vouloir se tenir à l'écart des oreilles indiscrètes ? Certainement pas de pâtes et de nourriture. Non, ça a tout l'air d'être une façon d'éviter le sujet, et Damen esquisse un sourire en coin. C'est mignon, ce petit malaise. Pourquoi donc est-il aussi gêné ? Bah, tant que ce n'est pas une question pour savoir ce qui s'est passé entre le Prez' et une quelconque de ses conquêtes, tout devrait bien se passer. Distraitement, il secoue la tête, ce qui ne fait que brouiller sa vision davantage.
» T'en fais pas pour moi. J'ai déjà tout ce qu'il me faut.
En l'occurrence, la bouteille qu'il tient toujours en main et qui se vide un peu trop vide à son goût. Quand inventeront-ils des bouteilles éternelles, ou qui se remplissent seules ? Il soupire un peu, la repose sur la table sans passer par ses lèvres, ce qui tient presque de l'exploit, à ce stade. Si ça ne tenait qu'à lui, il aurait probablement sifflé tout ce qui reste de whisky et enchaîné avec autre chose. Mais il y a Evan, il n'a pas envie de rester seul, et il ne peut pas aller voir sa mère dans cet état.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que la question le surprend. Surpris, il fixe un moment le garçon avec des yeux ronds, puis un rire finit par franchir ses lèvres. Pas pour se moquer, mais il n'a pas assez d'inhibition actuellement pour le retenir. Il passe un bras autour de ses épaules.
» Ah, Evan, mais qui te dit ce genre de choses ?
Ses parents, probablement. Certainement pas son entourage, en tout cas : quoiqu'il puisse penser de ses deux camarades du conseil, ils ont a priori tous les deux été vus autant avec des mecs qu'avec des filles, donc ils ne seraient pas allés lui mettre de telles idées simplistes en tête.
» Tout le monde peut avoir des sentiments pour tout le monde, ou de l'attirance pour tout le monde. Ça dépend d'un truc qui s'appelle l'orientation sexuelle.
Ils ne sont pas censés apprendre ça à l'école ? Il le saurait sûrement s'il allait en cours, mais Indarë n'est pas son endroit préféré en ce moment. Nulle part n'est son endroit préféré en ce moment, pour être vraiment exact.
» Donc, donc les bases c'est...
Il prend un petit instant de réflexion pour faire remonter le vocabulaire à son esprit, louche à nouveau sur la bouteille, toussote pour chasser l'envie grandissante, relâche son ami en se mettant debout sur la table, quitte à risquer de marcher dans cette assiette qui n'intéresse de toute façon personne à part les mouches qui voleront autour quand il aura fini à la poubelle.
» On va dire qu'il y en a trois... quatre principales. Les hétéros comme... euh...
Mince, qui connaît-il qui le soit ? Il n'a pas la moindre idée de ce que sont ses parents. Ah, si.
» ... Emily ?
Oui, de mémoire, Emily l'est. De tute façon, ce n'est pas le plus important.
» ... qui sont attirés par les personnes de sexe opposé. Fille + garçon, tout ça.
La "base" des comédies romantiques et de la grande majorité des histoires à l'eau de rose.
» Après il y a l'inverse. L'inverse ? Ouais, on va dire ça. Ceux qui sont attirés par les gens de même sexe, qui sont homos. Garçon + garçon, ou fille + fille.
Pour ça, il n'a pas d'exemple, du moins pas qui lui vienne d'office. il faut dire qu'il ne se soucie que très peu de ce genre de détails chez les autres, tant qu'ils sont attirés par lui.
» Ensuite il y a les bis comme ce cher Prez' et ton autre coloc, qui sont attirés par les deux.
Un instant, il se demande à quelle catégorie appartient Evan. Seulement les hommes ? Hommes et femmes ? Seulement les femmes ? Non, si c'était seulement les femmes, il ne lui aurait pas posé cette question. Pour qu'il soit aussi mal à l'aise, c'est bien qu'il parlait de lui.
» Et après il y a les gens comme moi. Garçon, fille ou n'importe quoi autour ou entre les deux, ça change rien tant que l'autre est sexy.
Il s'accroupit près de son petit agneau en faisant glisser son doigt sur le goulot de la bouteille pour calmer une nouvelle pulsion alcoolique.
» Suffit de rajouter "romantique" pour les sentiments ou "sexuel" pour l'attirance physique et pouf, t'as les mots complets qui définissent tout.
Comment se retrouve-t-il à donner ce genre de cours ? Il est très loin d'être un expert en la matière, il est même à peu près sûr d'en avoir oublié tout un tas, même si l'ennui et les rencontres lui ont permis d'entendre plus de mots que la majorité des gens. Mais bon, si l'école et la famille ne font pas leur travail - ce qui ne l'étonne pas vraiment - autant le faire à leur place, au moins ça retient un peu Evan ici.
Comment c’est possible d’être aussi mal à l’aise… Mais je suis complètement perdu par ces sentiments, et j’ai vraiment besoin que quelqu’un me rassure… M’explique que c’est normal. Qu’il n’y a pas de mal à aimer d’autres mecs, même quand on en est un soi-même. Damen drague bien d’autres garçons ! Mais je ne sais pas… Venant de lui, ça parait normal ! Alors que venant de moi… C’est vraiment différent… C’est perturbant. Bon. Visiblement, ma gêne et ma tentative de changer de sujet le fait simplement sourire et ne semble pas l’agacer. Plus ça va, et plus j’ai l’impression qu’il est super patient avec moi… C’est qui est étonnant d’un gars comme lui… Enfin, je ne sais pas… Pourquoi perdrait-il son temps avec mes histoires quoi… ? Quand il me dit qu’il a tout ce qu’il lui faut et qu’il n’a donc pas besoin qu’on fasse des pâtes, j’avoue que je suis sceptique. Tout ce qu’il lui faut… Il parle très certainement de l’alcool… et si je peux me permettre… c’est justement, ce qu’il ne lui faut PAS. Enfin… Je n’ai pas envie d’être désagréable avec lui… Alors je fais mine de ne rien en penser et hoche la tête, avant de finalement lui parler de ce qui me trotte dans la tête depuis plusieurs jours… Si ce n’est plusieurs semaines… Et sa réaction me laisse perplexe. Il me fixe, surpris, les yeux écarquillés, et ma tête s’enfonce dans mes épaules, embarrassé. Il va se moquer ? Il va rire ? Me traiter de pd ? Ou de je-ne-sais quelle autre insulte… ? Est-ce que j’ai vraiment bien fait de lui en parler ? Peut-être que j’aurais dû voir ça avec Jesse au final… Damen éclate de rire, et je rougis violemment, ne sachant plus où me mettre, quand il passe son bras autour de mes épaules, j’avoue que je n’ai qu’une envie, c’est de creuser un trou pour m’y planquer.
- Ah, Evan, mais qui te dit ce genre de choses ?
… Qui me dit ça… ? Bah… La société entière ! Bon… au moins, il ne se moque pas vraiment du fait que je puisse avoir des sentiments pour un autre garçon, mais plutôt que je me prenne la tête avec ça.
- Tout le monde peut avoir des sentiments pour tout le monde, ou de l'attirance pour tout le monde. Ça dépend d'un truc qui s'appelle l'orientation sexuelle.
Ah. Oui… J’ai souvent entendu ça… Mais je ne sais pas… Pour moi c’était évident que je sois attiré par les filles… Mais… est-ce que c’est possible d’être attiré par les deux ? Parce que j’ai l’impression que c’est mon cas… Je crois que j’ai des sentiments pour Isaac… Mais… quand je regarde une jolie fille… je la trouve super belle et elle m’intimide ! Je reste silencieux, attendant sagement qu’il continue son explication.
- Donc, donc les bases c'est...
Un instant de réflexion plane entre nous avant qu’il ne me lâche pour se mettre debout sur la table, et je retiens un petit cri d’exclamation. C’est pas un peu dangereux ce qu’il fait là ?! Il est ivre et marche sur la table ! Et s’il tombait ?! Il pourrait se faire super mal !
- D-Damen ! Tu ferais mieux de descendre… ! - On va dire qu'il y en a trois... quatre principales. Les hétéros comme... euh... ... Emily ? ... qui sont attirés par les personnes de sexe opposé. Fille + garçon, tout ça.
Je finis par me taire quand il commence à m’expliquer, faisant tout de même attention où il marche pour être sûr de pouvoir le rattraper s’il tombait malencontreusement. Bon… En toute honnêteté, je pense que je tomberais avec lui… Mais au moins, sa chute serait amortie… Donc… les hétéros, c’est ceux qui sont attirés par le sexe opposé… C’est ceux qui sont acceptés par la société… D’accord…
- Après il y a l'inverse. L'inverse ? Ouais, on va dire ça. Ceux qui sont attirés par les gens de même sexe, qui sont homos. Garçon + garçon, ou fille + fille.
Je le fixe, fasciné par son explication, oubliant le danger imminent du rebord de la table.
- Ensuite il y a les bis comme ce cher Prez' et ton autre coloc, qui sont attirés par les deux.
Ah ! Mon regard s’illumine. C’est donc possible ! Attends… Jesse et Luka sont comme ça ?! Ils sont aussi attirés par les garçons ?! Enfin… Jesse, ça ne m’étonne pas… Mais Luka ?! Je croyais qu’il était amoureux de son amie d’enfance ?! Et puis, comment Damen le sait-il ?!
- Et après il y a les gens comme moi. Garçon, fille ou n'importe quoi autour ou entre les deux, ça change rien tant que l'autre est sexy.
Autour… ou entre les deux ? Euh… Là, j’avoue que je suis perdu… Il y a autre chose que les filles et les garçons ? C’est… c’est bizarre, non ? Mon regard dévie pour se perdre dans l’espace alors que mon esprit s’embrouille avec toutes ses informations… Et particulièrement la dernière. Je ne comprends juste pas ce qu’est Damen… enfin… ce qu’il aime… Et en même temps… Je n’ose pas vraiment poser la question…
- Suffit de rajouter "romantique" pour les sentiments ou "sexuel" pour l'attirance physique et pouf, t'as les mots complets qui définissent tout. - D-D’accord… Donc… c’est normal si j’ai de l’attirance pour les filles… mais aussi pour les garçons… Ok… ça me rassure…
Je me sens mieux, maintenant que j’ai eu cette explication, je me sens moins bizarre. La manière, si naturelle, qu’a eu Damen d’expliquer tout ça, est plutôt rassurante. C’est comme si tout ça avait toujours été une évidence et que c’est la société qui a fermé les yeux et les oreilles face à cette réalité. Je n’ai donc pas tort ! Je suis normal ! Je suis comme je suis. Un petit sourire étire mes lèvres et je relève les yeux vers mon ami.
- Merci.
Ça m’a vraiment fait du bien… Mais maintenant, c’est le fait d’aimer les garçons, les filles et ce qu’il y a autour et entre que je ne comprends pas… Me mordant la lèvre, je le vois tripoter le goulot de la bouteille d’alcool et je me retiens de la prendre pour l’éloigner de lui. Je ne dois pas m’en mêler… Même si j’en ai envie. Peut-être qu’il faudrait que je continue de lui parler pour détourner son attention ? Alors… même si ça m’embarrasse, je lui demande tout de même.
- Mmh… Par contre… J’ai pas vraiment compris ce que tu voulais dire par « n'importe quoi autour ou entre les deux »… Il y a autre chose que les garçons et les filles ?
Expliquer est plus facile qu'il ne l'aurait cru. En fait, tout est simple pour peu d'y accorder un semblant d'attention. D'ordinaire, ça ne l'intéresse pas vraiment, il se soucie généralement juste de savoir si la personne en face de lui le trouve à son goût, et dans le cas contraire il passe à autre chose - la plupart du temps. Alors se soucier de détails comme l'orientation sexuelle n'est pas vraiment son problème. Mais il peut faire une exception pour sortir son petit agneau de ses questionnements. pas pour l'écouter quand il lui conseille de descendre de la table mais en même temps, ça, c'est une chose sur laquelle il n'écoute personne. La prudence. Ça fait bien longtemps qu'il l'a laissée de côté et il n'est pas bien parti pour la retrouver.
» D-D’accord… Donc… c’est normal si j’ai de l’attirance pour les filles… mais aussi pour les garçons… Ok… ça me rassure… » Bien sûr que c'est normal.
De toute façon, la normalité est un concept ennuyeux. Pourquoi être "normal" quand on peut être vrai ? Les gens normaux sont névrosés. Bon, s'il se prenait lui-même en exemple, il dirait que les gens anormaux sont tout aussi instables mentalement, mais à quel stade l'instabilité prend-elle le titre de normalité ? Dans une école comme la leur, c'est une considération inutile. Pour les IRS, la normalité n'est pas stable, après tout. Quittant sa position accroupie, Damen s'assoit sur le rebord de la table en balançant les jambes pour répondre à sa question suivante.
» Ah, c'est plus compliqué, je suis pas sûr d'être la meilleure personne pour t'expliquer ça.
La société, les cases et tout ce qui est autour lui passe au-dessus de la tête. Comme l'orientation sexuelle, au final, il ne se soucie pas vraiment de ce genre de détail tant que l'attirance est de la partie. Ou l'intérêt. Il cherche ses mots en jouant avec sa bouteille sans la boire. Au moins, ça le détourne de ce qu'il y a à l'intérieur.
» D'un point de vue strictement biologique, il existe quelques exceptions qui ne sont pas vraiment des hommes ou des femmes à proprement parler. J'ai plus le mot. Cela dit, c'est rare, il y a de grandes chances que tu ne croises jamais quelqu'un comme ça dans ta vie.
Et il a encore moins de chances de sortir avec quelqu'un comme ça dans sa vie. Les raretés biologiques n'ont pas vraiment la côte dans une société où il faut suivre le mouvement pour avoir le droit d'exister. Quant au reste...
» Et sinon il y a des gens qui se sentent étriqués par les cases "homme" et "femme" de la société et qui ont besoin de s'en détacher pour se sentir pleinement eux-mêmes. Enfin, j'imagine. Si tu veux mon avis, ils se mettent juste une nouvelle étiquette pour remplacer l'ancienne, je saurai pas te les lister toutes. Certains changent de sexe médicalement pour être plus raccord avec leur tête, d'autres ne se sentent ni l'un ni l'autre ou passent de l'un à l'autre. Enfin, tant qu'ils se sentent bien dans leur peau et dans la tête, c'est mieux que de se triturer le cerveau pour rentrer dans des cases.
Au fond, il a autant de difficulté que de facilité à comprendre. Se limiter à des cases toutes faites est fatiguant ; estimer que les mots homme et femme avaient un sens psychologique profond aussi. Il se laisse un peu basculer en arrière pour s'allonger en travers de la table, une main derrière la tête.
» Honnêtement, c'est compliqué. Te flambe pas les méninges là-dessus.
Le monde est déjà assez compliqué sans devoir réfléchir à des questions que les concernés sont de toute façon mieux placés pour expliquer. Un problème n'en est un que si on est en première ligne.
» Mais dis-moi...
Damen se redresse, petit sourire aux lèvres, pour se pencher vers lui.
» Cette conversation vient de nulle part où elle est là parce que tu as flashé sur quelqu'un, hm ?
J’avoue que cette histoire de « autour ou entre » garçon et fille, m’embrouille pas mal. Comment c’est possible d’être autre chose ? Alors quand il se réinstalle pour m’expliquer, j’ai le regard rivé sur lui en attendant, curieux et perplexe en même temps. Et apparemment, c’est aussi compliqué pour lui. Mmh… Est-ce que c’est pas une histoire un peu tiré par les cheveux du coup ? Il semble réfléchir à la manière de formuler sa réponse, triturant distraitement la bouteille d’alcool et je me retiens de la lui prendre des mains pour la poser ailleurs. Je n’aime pas quand il boit. Il lui arrive de faire des folies quand c’est le cas, et c’est jamais rassurant… Parfois même je me demande s’il n’est pas un peu suicidaire… mais va lui poser la question… C’est impossible.
- D'un point de vue strictement biologique, il existe quelques exceptions qui ne sont pas vraiment des hommes ou des femmes à proprement parler. J'ai plus le mot. Cela dit, c'est rare, il y a de grandes chances que tu ne croises jamais quelqu'un comme ça dans ta vie.
Mmh… Ah oui… Les asexués et les hermaphrodites je crois. L’un n’a rien. L’autre est les deux à la fois… mais c’est vrai que c’est extrêmement rare.
- Et sinon il y a des gens qui se sentent étriqués par les cases "homme" et "femme" de la société et qui ont besoin de s'en détacher pour se sentir pleinement eux-mêmes. Enfin, j'imagine.
Étriqués ? Aaaah ! Je crois que je commence à comprendre !
- Si tu veux mon avis, ils se mettent juste une nouvelle étiquette pour remplacer l'ancienne, je saurai pas te les lister toutes. Certains changent de sexe médicalement pour être plus raccord avec leur tête, d'autres ne se sentent ni l'un ni l'autre ou passent de l'un à l'autre. Enfin, tant qu'ils se sentent bien dans leur peau et dans la tête, c'est mieux que de se triturer le cerveau pour rentrer dans des cases.
Il bascule en arrière, s’allongeant sur la table et je reste dans mes réflexions…
- Donc… C’est juste qu’ils ne sont pas en accord avec ce que la société dit des hommes et des femmes ? Qu’ils ont une vision différente que ce qu’est un homme et une femme. Mais… pourquoi doivent-ils aller jusqu’à changer de sexe physiquement… ? Ils ne peuvent pas juste faire abstraction de la vision de la société et être eux-mêmes ? Sans modifier leur corps ?
J’avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi on irait jusqu’à mutilé son corps juste pour contredire la société… Surtout que… Ils ne contredisent pas réellement puisqu’ils font en sorte de devenir la vision de la société…, non ? Oula… Je m’embrouille…
- Honnêtement, c'est compliqué. Te flambe pas les méninges là-dessus. - O-ouais… ok.
J’avoue que je suis bien content de ne pas me retrouver perturbé dans mon corps. Ça n’a pas l’air d’être facile pour eux… Et c’est tellement prise de tête…
- Mais dis-moi... - Mmh ?
Je redresse la tête, et je tombe sur son visage souriant, alors qu’il se penche vers moi. Ah… J’aime pas ce regard… J’aime vraiment pas ça…
- Cette conversation vient de nulle part où elle est là parce que tu as flashé sur quelqu'un, hm ?
À cette phrase, mon visage devient écarlate et je me mets à balbutier. Je… que… qu’est-ce que je réponds à ça… ? Après… Je me suis un peu grillé tout à l’heure…. J’ai clairement dit que j’étais rassuré si c’était possible d’être aussi attiré par les garçons ! Aaaah ! Je suis bête ! J’aurais aussi très bien pu faire croire que c’était pour un ami !! Zut ! Maintenant, je n’ai plus le choix que d’assumer… Je détourne le regard, avant de me gratter l’arrière de la tête et marmonne.
- Je… O-oui… J’ai flashé… sur quelqu’un…
Et avant qu’il ne réagisse, je mets rapidement les points sur les « i ».
- Mais tu le dis à personne hein !! C’est même pas sûr que ce soit réciproque et puis… de toute façon… Je suis pas sûr non plus que ce soit une bonne idée qu’on sorte ensemble alors… J’étais juste perturbé d’avoir flashé sur un garçon, et je voulais avoir ton avis. C’est tout.
J’arrive pas à le regarder dans les yeux. D’une certaine manière, je sais comment il est en train de me regarder et ça m’embarrasse !!
Grande question, ça. Pourquoi. Pourquoi se transformer pour correspondre mieux à une vision, à une fonction. C'est difficile à dire, et il n'est pas vraiment le mieux placé pour répondre à cette question ni pour comprendre. Emily connaît mieux les méandres de l'esprit humain que lui, elle aurait sûrement tout un tas de théories psychologiques et d'explications à leur fournir, mais elle n'est pas là, et s'il doit se contenter de sa propre vision...
» J'imagine que c'est trop dur pour eux de supporter et qu'ils préfèrent changer.
Il doit bien y avoir de la douleur quelque part. Comme ceux qui ont recours à la chirurgie esthétique pour que le reflet dans le miroir corresponde plus à la vision qu'ils ont d'eux dans leur tête. De son côté, il préfère changer ce qui n'est pas permanent. Cheveux, attitude, vêtements. Tout ce qui lui permet de changer d'avis. C'est peut-être pour ça que, malgré tout ce qu'il a pu faire à son corps et à son cerveau depuis des années, il n'a jamais tenté les tatouages. Trop définitif, quand bien même il a du mal à s'imaginer vivre très longtemps. Ironique étant donné les dégâts permanents que les drogues ont sûrement déjà eu sur lui, mais la cohérence n'a jamais été son fort. Au final, il se contente de conclure que c'est compliqué et qu'il vaut mieux éviter de se prendre la tête sur le sujet, avant de revenir au centre de la conversation. À savoir, les raisons précises de la question de ce petit Evan.
» Je… O-oui… J’ai flashé… sur quelqu’un… Mais tu le dis à personne hein !!
Ah ! Ça, c'est intéressant. Au moins, il l'assume un minimum. Pas assez pour l'affirmer haut et fort, mais suffisamment pour ne pas tenter d'esquiver la question. Il est tellement mal à l'aise, c'est presque mignon.
» Oh, Evan, tu sais bien que ce n'est pas mon genre de raconter les secrets des autres.
Bon, un peu, mais c'est quand il essaye de les titiller et de les énerver, donc il y a quand même peu de chances que ça arrive dans ces circonstances. Intrigué malgré tout par les paroles de son petit agneau, il se redresse pour s'asseoir en tailleurs sur la table, posant à côté de lui la bouteille qu'il traîne depuis le début de la conversation.
» Tu n'as même pas envie de tenter un peu ta chance ? Sortir avec quelqu'un, ce n'est pas forcément la finalité.
Amusant, cette association directe entre "il me plaît" et l'idée de sortir ensemble. C'est à se demander comment ils ont fini par s'entendre, tous les deux, avec une différence aussi magistrale dans leur vision des rapports humains.
» Même si au final il n'y a pas de couple qui se forme, ça serait dommage de rater l'occasion de l'embrasser, quand même.
Il lui épargnera au-delà de ça. Vu comme il est mal à l'aise rien qu'à l'idée d'être attiré par quelqu'un, ce n'est clairement pas le moment de lui parler de toutes les autres petites choses sympas qui peuvent en découler.
Il y a encore pas mal de choses que je ne comprends pas bien mais ce n’est pas très grave. Si je me retrouve face à une personne qui se ressent comme ça, je n’aurais qu’à demander ce qu’il ou elle préfère et je le respecterai. En attendant, je vois bien que Damen a compris où je voulais en venir… Et je ne peux retenir le feu de me monter aux joues. Ça y est… on entre dans le vif du sujet… Enfin, à la base, je voulais juste savoir si c’était normal que je puisse ressentir de l’attirance pour un garçon, mais mon ami n’est pas bête… Il a de la jugeote, et c’est compliqué de lui faire croire que je demande ça juste par pure curiosité. Alors, je ne fais pas le compliqué et avoue en bégayant légèrement, n’oubliant pas de lui demander de garder ça secret.
- Oh, Evan, tu sais bien que ce n'est pas mon genre de raconter les secrets des autres.
Mouais… je suis pas totalement sûr de cette affirmation mais passons. Visiblement, Damen est très intéressé par ce que je viens de lui avouer. Il se redresse et s’installe en tailleur sur la table pour me regarder avec un peu plus d’intensité. Et j’avoue que je ne suis pas très à l’aise. J’ai l’impression qu’il va me faire vivre un véritable interrogatoire… Mon dieu… dans quoi je me suis embarqué ? Le joue de mes joues ne s’en va pas et je n’arrive tout simplement pas à soutenir le regard de mon mentor. Alors j’ajoute bien que je venais juste pour avoir son avis, et que je n’ai pas spécialement l’intention de chercher à sortir avec Isaac… Après tout, c’est certainement pas réciproque alors… Je ne vois pas trop l’intérêt de chercher ça pour finalement me faire rejeter violemment… Surtout que j’ai peur que ça s’ébruite et qu’on se mette à me traiter de pd…
- Tu n'as même pas envie de tenter un peu ta chance ? Sortir avec quelqu'un, ce n'est pas forcément la finalité.
Je secoue la tête. Non. Hors de question ! C’est trop risqué !
- Même si au final il n'y a pas de couple qui se forme, ça serait dommage de rater l'occasion de l'embrasser, quand même.
J’écarquille les yeux, surpris par ce qu’il me dit. Attends… Il y a quelque chose que je ne comprends pas là… Si je l’embrasse c’est parce que je serais en couple avec lui, non ? Pourquoi l’embrasser si on n’est pas en couple ? Ça me dépasse.
- Mais… Si je l’embrasse c’est parce qu’on serait en couple. Je vois pas pourquoi je l’embrasserai si ce n’était pas le cas.
J’avoue que je suis un peu perdu, mais en même temps… C’est vrai que j’ai souvent vu Damen embrasser des gens avec qui il n’est pas en couple… Je fronce légèrement les sourcils et détourne le regard pour réfléchir. L’embrasser… même si on ne finit pas en couple… Honnêtement, je ne pense pas avoir le courage de faire ça…
- En tout cas, je ne veux pas prendre le risque que ça s’ébruite et que je me fasse insulter ensuite…
J’ai eu ma dose de ça. Alors maintenant que je sais que c’est possible et normal d’être attiré par un mec, et que je ne suis pas juste fou, ou bizarre, je vais me contenter de ça.
Ce petit agneau est beaucoup trop innocent. Si je l'embrasse c'est qu'on est en couple, vraiment ? Comment peuvent-ils s'apprécier alors qu'ils sont si différent ? Et même sans prendre en compte leur lien à tous les deux, comment peut-il être ami avec le Prez', de toutes les personnes de cette école, s'il estime qu'un baiser veut forcément dire couple. Ou peut-être que c'est justement parce que l'autre s'amuse à mettre une petite étiquette de couple sur ses relations temporaires. Drôle d'idée, mais si ça l'aide à dormir la nuit, chacun son délire.
» Parce que c'est agréable ? Parfois il faut juste s'amuser dans la vie. Les couples, c'est quand tu veux être sérieux.
Oui et non. Dans les faits, pour lui, être en couple veut dire s'approprier quelqu'un, et il déteste ça. La possession, l'exclusivité, comme si on pouvait dicter à quelqu'un ce qu'il a le droit de faire, de désirer ou d'aimer sous prétexte qu'on a un sentiment en commun. Non. Au moins personne, parmi les gens qu'il fréquente, n'aura l'idée saugrenue de croire qu'il est intéressé par ce genre de choses. Quoique. Est-ce qu'Eri en aurait été capable ? Elle lui a bien demandé de venir la chercher au Japon. Perdue dans sa vision presque trop édulcorée du monde pour quelqu'un avec une vie comme la sienne, et habituée à être une poupée ou une marionnette entre les mains des autres, est-ce qu'elle aurait pu croire qu'il... Enfin, peu importe. C'est trop tard pour y penser, maintenant, vu qu'il ne la reverra jamais. Un instant, son regard louche sur la bouteille à côté de lui, mais la reprise de parole d'Evan le détourne de l'idée avant qu'elle n'ait le temps de germer dans sa tête.
» De te faire insulter ?
Ah, oui, c'est vrai. Certaines personnes pensent comme ça. Il passe tellement de temps à valser entre des gens qui se foutent royalement des concepts de ce genre qu'il lui arrive d'oublier que cette chose existe. Juger les autres pour ce qu'ils aiment ou ce qui les attirent. Encore une idée de gens qui devraient faire connaissance avec le caniveau et ne jamais mettre fin à cette incroyable alliance.
» Les gens trouveront toujours quelque chose à dire. Si tu t'empêches d'être toi-même par peur de leur avis, tu auras bien du mal à sortir de ta coquille, petit agneau.
C'est facile à dire pour lui, sans doute. Tout le monde le connaît comme un parangon du chaos qui a depuis longtemps cessé de se soucier de ce qui est normal ou non. Et puis, d'un point de vue très honnête envers lui-même, il sait qu'il n'a jamais fait partie du camp d'Evan, celui qui craint les jugements et les commentaires et qui baisse la tête quand il croise des personnes susceptibles de le regarder de travers ; pour la simple et bonne raison qu'il a passé plus de la moitié de sa vie à être une des personnes en questions. Diva populaire insupportable que les gens suivaient par attrait pour la popularité, avec un compliment et un commentaires désagréable sur les lèvres en permanence qui attendait le moindre geste pour choisir lequel des deux lancer. Entre tyran et victime, il a passé plus de temps sur la marche haute que sur la marche basse.
» Tant que tu ne montres à personne ce qui te blesse, tu...
Il s'interromp en entendant un bruit dans le hall, juste à côté des portes de la cuisine. Son père n'est pas rentré. Impossible : personne ne crie, et il n'a de toute façon pas entendu la voiture. Donc ça ne peut être que... Damen baisse les yeux vers la table, glisse la bouteille sur la chaise à ses pieds avant de la rabattre, puis de relever la tête vers sa mère quand elle entre dans la pièce.
Natalia Irridval est la même femme que depuis des années. Épuisée, son beau visage dévoré par l'anxieté et la dépression. Un petit sourire étire cependant ses lèvres quand elle remarque la présence du garçon aux côté de son fils ; le sourire d'une mère qui s'inquiète à l'idée que son enfant n'ait pas d'ami. Sourire qui disparaît quand son regard se pose sur l'assiette encore pleine.
» Tu n'as pas mangé ?
Un instant, l'esprit de Damen vacille entre deux choix. Dire la vérité, que rien de ce que son père ne lui offre n'a d'intérêt et qu'il préfère ne pas le manger ; qu'il n'a de toute façon pas faim, jamais faim, entre ces murs ; qu'il avait prévu de vider une bouteille d'alcool en guise de dîner. Ou mentir.
» On allait se faire des pâtes.
C'est ce qu'Evan a proposé, tout à l'heure. La proposition qu'il a déclinée en affirmant qu'il avait ce qu'il faut. Mais face à l'inquiétude dans les prunelles de sa mère, même lui peut faire preuve de faiblesse. Changer d'avis. Elle subit déjà assez au quotidien sans assister en direct à l'auto-destruction de son fils, quand bien même personne n'est capable de vraiment le réparer. Il espère juste qu'Evan ne va pas le reprendre pour dire la vérité.
» Pourquoi tu es levée ? Tu avais dit que tu allais dormir, non ? » J'ai entendu du bruit...
Il grimace un peu, puis se lève de la table pour s'approcher d'elle, la prendre dans ses bras un instant comme s'il avait peur qu'elle se brise, embrasser sa tempe avec une tendresse incongrue quand on le connaît de l'extérieur.
» Tout va bien. On va faire moins de bruit. Tu as l'air encore fatiguée...
Elle sourit comme si elle était dupe. Il n'est pas naïf, il sait que sa mère est parfaitement consciente de tout ce qui se passe, même si elle lutte déjà bien assez avec l'intérieur de sa tête pour se projeter à l'extérieur. Mais quand elle est là, en face de lui, il ne peut pas s'empêcher d'essayer de l'épargner, même un petit peu. Qu'elle puisse encore dissocier l'image des journaux avec celle en chair et en os. Avec un petit soupir épuisé, elle hoche la tête.
» Je vais me recoucher. Ne mettez pas le feu avec vos pâtes. » Pour qui tu me prends ?
Il rigole un peu, voit un petit éclat dans son regard. C'est déjà bien suffisant pour aujourd'hui. Une expression indéchiffrable sur les traits, il l'observe tandis qu'elle repart vers les étages pour se reposer. Comment a-t-elle pu entendre du bruit, de là-haut ? Peut-être qu'il parlait plus fort qu'il ne le croyait quand ils étaient encore dehors. Il passe une main sur son visage et se retourne vers Evan.
» On parlait de quoi ?
Le fil de la conversation lui a légèrement échappé. Quelque chose à propos du jugement des autres...
