Dormir dans une chambre peuplée d'autant d'autres personnes n'est pas forcément son idée d'une nuit reposante, à supposer qu'il connaisse ce genre de nuits. Tant de monde, ça veut dire autant de gens qui peuvent le voir dans une situation qu'il ne tient pas forcément à rendre publique. Évidemment, dans le contexte actuel, il n'a aucun de ses pseudo-somnifères habituels pour s'assommer pour la nuit. Au final, c'est l'action providentielle d'un petit élève de deuxième année qui lui épargne d'avoir à réfléchir au sujet trop longtemps. Il semble que quelqu'un ici a regardé trop d'anime ou de séries américaines et a décidé d'inviter les filles dans la chambre pour la soirée. Tant mieux pour celles qui ne veulent pas participer, elles peuvent rester chez elle. Dommage pour les mecs qui ne voudront pas participer, ils sont coincés dans l'événement lui-même. Au moins, il n'est pas obligé d'essayer de dormir tout de suite.

Comme il s'y attendait de la part de lycéens sages comme ceux que comprend Indarë, le premier petit jeu qu'ils lancent est cruellement gentillet. Des petits défis de collégiens. Cela dit, il y a aussi des collégiens dans le voyage, paraît-il. Dangereux, comme combinaison. Mais les collégiens sont en théorie, au moins pour une partie d'entre eux, aussi dangereux sur certains points de vue.

Enfin, d'accord, pour le début de la soirée, il veut bien se prêter au jeu. Mais si ça reste dans cette ambiance colonie de vacances paisible sur une plage de galets, il va vite s'ennuyer et décider de changer un peu l'ambiance. Ça n'est pas bien compliqué, de corser un peu les défis à mesure que les choses avancent. Et le mieux dans tout ça, c'est que si c'est fait progressivement, les gens ne s'en rendent pas compte. Jusqu'à ce que le défi dépasse leurs limites personnelles, bien entendu.

Pour le premier tirage au sort, ce n'est pas lui qui est sélectionné, mais deux personnes qui semblent avoir grand maximum l'âge d'être en première année. Est-ce que les ados de quatorze ans lui ont toujours semblé aussi ennuyeux ? Ils n'ont que quelques années d'écart, mais c'est comme s'ils avaient tout un monde de décalage. Ça ne lui plaît pas. Par agacement, il propose un défi un peu trop direct qui n'est pas accepté. Au lieu de ça, les deux doivent se tenir la main jusqu'à ce que deux autres défis soient passés. D'accord, peut-être qu'il va attendre que les petits soient couchés avant de vraiment pouvoir s'amuser. Mais quand même. Il était nettement moins rasoir à leur âge !

Un voyage à l'étranger, une chose possible uniquement parce que Jun en a tout spécialement fait la demande auprès de ses parents. Enfin, surtout auprès de sa mère qui est bien plus régulièrement à la maison ainsi que disponible que son père. Ce dernier étant presque éternellement en voyage d'affaires. En y repensant, il se souvient du trac qui s'est emparé de son petit être face à l'immense charisme naturel et à l'autorité ferme d'une figure maternelle se voulant pourtant présente pour son seul et unique enfant.

- Tu voudrais voyager avec ton école ?! Mais enfin, Jun chéri, quelle idée saugrenue. Toi qui, il y a encore quelques semaines de cela, tu te plaignais déjà de loger sur place ne serait-ce que cinq jours sur sept. Et voilà que maintenant tu souhaites aller à l'étranger avec ces mêmes personnes, je t'avoue que je ne te comprends plus.

Quoi que pouvait être la discussion, elle détenait toujours le dernier mot et avait, quoi qu'il arrive, de toute façon, toujours quelque chose à dire. La situation inverse se serait présentée et elle aurait eu vent de ce voyage scolaire, elle se serait fait un malin plaisir à exprimer son incompréhension quant au refus de son fils de voyager. Autant dire que le garçon en question avait été préparé à ce qu'il y ait une confrontation avant que l'accès ou le refus de sa requête soit prononcé. D'ailleurs, alors même qu'il s'apprêtait à défendre sa cause, il se voit se faire interrompre dans son élan par la continuité du monologue de celle qui établit les règles.

- Si c'est déjà insurmontable pour toi de quitter tes beaux draps de soie pour une durée aussi ridicule que cinq jours, en sachant que la maison est à peine à quelques minutes de ton école, une heure tout au plus, comment pourrais tu désirer te rendre à l'étranger avec ces gens ?! La Grèce, ce n'est pas la porte à côté, tu sais ?! Au revoir les habitudes, bye-bye le confort luxueux dans lequel tu es né et puis bonjour la camaraderie avec des personnes qui, qu'on se le dise trésor, n'ont absolument rien à faire avec une personne comme toi. Ils sont si... ennuyeux... banals et... sans intérêt.

Un rire moqueur vient momentanément clôturer la prise de parole de la femme s'admirant dans le miroir de sa coiffeuse, à la recherche des imperfections possiblement présentes.

- Tous ne le sont pas !

Un ton un peu trop déterminé, l'étincelle attendue par celle ayant volontairement piqué là où il ne fallait pas, titillant un tantinet trop aisément les points sensibles d'une personne qu'elle connaît par cœur. Satisfaite, elle sourit avant de se retourner.

- Ah oui ? Pourtant, les termes que je viens d'employer, ce sont tes propres mots. Qu'aurait-il pu bien se produire pour que tu changes aussi drastiquement d'avis ? Un jour tu les détestes et le lendemain tu les défends, c'est ça ?! Ton indécision, la faiblesse de tes convictions font de toi ce que tu es aujourd'hui, Jun. Un indécis doublé d'un prétentieux qui ne doit tout ce qu'il a qu'à ses parents. Moi, je ne doute jamais.

La respiration coupée par la brutalité des propos lâchés avec une telle facilité, le blond s'interdit de craquer face à elle bien que ses pupilles s'humidifient et que la déglutition se veut difficile. Il ne parvient pas à comprendre comment on peut être aussi cruel avec son propre enfant pour une simple question de divergence tandis que sa mère retourne à ses occupations comme si rien ne venait de se produire, comme si tout était normal.

Il ne répond pas. Il ne répond rien. Il n'en a pas la force. Et le silence qui s'installe comme une évidence se veut annonciateur de la gravité de la situation. Pesant et tranchant comme un morceau de verre, il embaume la pièce dans laquelle tous deux se trouvent.

- Ne me dis pas... que tu éprouves de la compassion pour ces gens ?!

Autrement dit, réduire ces personnes à des choses qui n'ont ni âme, ni conscience, ni sentiments, ni besoins, dont il faut se détourner en toute circonstance, ne pas émettre le moindre doute sur l'éducation inculquée, ne pas se laisser prendre au piège de l'amitié et des connaissances.

Ne pas donner de réponse serait synonyme d'aveu alors le jeune homme s'empresse de ravaler sa fierté, ses idéaux et ses émotions pour froncer les sourcils, enfiler le masque qu'on lui a donné et rétorquer les mots attendus par celle qui, désormais, le dévisage.

- Pas du tout ! Je me moque de ce qui peut bien leur arriver, ils ne m'intéressent absolument pas. C'est justement pour leur montrer ce que c'est d'être distingué en permanence et non pas d'agir comme ils le font.

Elle sourit.

- Soit, si tu désires tant que ça d'y participer, bien entendu je ne t'en empêcherai pas. Je ne suis pas un monstre. Mes gardes du corps te déposeront à l'aéroport à l'heure convenue.

Maintenant qu'il se retrouve mélangé aux garçons faisant partie du voyage, la discussion avec sa mère lui revient en pleine figure, ressassant précisément ce qu'il s'est produit et ne pouvant s'empêcher d'imaginer ce qu'elle penserait de lui en comprenant que, dans le fond, il ne se sent pas si mal que ça avec eux. Certes, certaines habitudes ne changent pas et il n'est pas encore tout à fait à l'aise avec la masse, mais il doit bien avouer qu'entre une vie de princesse enfermée au sommet de sa tour, plongée dans la solitude ainsi que l'indifférence et une existence faite de rencontres et d'échanges, le choix est vite fait.

Pourtant, cela demeure toujours plus facile à dire qu'à faire puisqu'on ne tire pas un trait sur 17 ans d'idées pré faites comme ça. Le temps étant la clé de tout. C'est pour cela qu'il conserve la même personnalité et se veut distant par rapport aux autres, ne sachant sur quel pied danser, indécis sur le comportement à adopter et puisque les apparences ont toujours priorisées concernant son éducation, il préfère dans un premier temps conserver les mauvaises habitudes au risque de se ridiculiser en essayant de les modifier de façon trop brutale et non préparée.  

Alors, lors de l'organisation de cette soirée clandestine où filles et garçons se retrouvent tous au sein du même dortoir, il demeure dubitatif quant à l'attitude à adopter. La distance se voulant maîtresse dans la situation en laissant néanmoins une porte légèrement ouverte sur ce qu'il se passe. Une personne totalement fermée aurait été trouver les professeurs ou se serait isolée du reste du groupe, ce qui n'est pas son cas. Assis en tailleur sur son lit, il observe de loin celles et ceux qui s'accueillent, discutent, rigolent, se taquinent, s'assoient ensemble et participent à un jeu dont les règles semblent plutôt simples. Deux personnes sont tirées au hasard et elles reçoivent un défi à effectuer.

Il ne connaît pas grand monde si ce n'est Damen Irridval qui lui a laissé un plutôt mauvais souvenir, alors il ne voit pas vraiment pourquoi, ni comment s'intégrer au jeu. Pour l'instant, il préfère observer et tenter de comprendre les paroles de l'autre blond qui lui reviennent elles aussi en plein visage après avoir posé son regard sur la personne concernée. Lui aussi fait partie du voyage... pour le meilleur comme pour le pire ?

Ah, certaines choses ne changent jamais. Petit sourire aux lèvres, Damen regarde le Prez' et sa moue de premier de la classe outré au moment où il lance un défi en l'air. Toujours à tout prendre au sérieux, celui-là.

» Et toi, tu ne peux pas t'empêcher de t'offusquer dès que je parle, chacun son truc.

Sa voix est plus porteuse de sarcasme que d'agressivité et il se désintéresse bien vite de lui. Le but de ce soir est de s'amuser, pas de se battre, quoique les deux ne sont pas toujours incompatible. Non, l'avantage de ce genre de jeu, c'est qu'il peut se servir du jeu en lui-même pour pourrir la vie de l'autre sans qu'on ne puisse l'accuser de quoi que ce soit. Pourquoi s'embêter à se lancer des piques quand il peut juste le mettre en mauvaise posture et le regarder galérer ?

Regardant ailleurs pendant qu'un autre défi se met en place, il repère sa petite partenaire de plage un peu plus loin dans le cercle. Elle n'a pas trop l'air de savoir à quoi s'attendre. Première fois, donc ? À vrai dire, il ne s'attendait pas à la voir ici. Elle a plus l'air du genre à suivre les règles qu'à les enfreindre, alors s'incruster dans une soirée dans le dortoir des garçons sans sourciller ? Surprenant. Mais c'est ce qui rend les gens comme elle intéressants. Plus humains. Les gens prévisibles sont ceux qui ont préféré substituer leur image à leur personnalité. Ceux qui sont capables de surprendre sont ceux qui disposent encore d'une étincelle, quelque part, pour ne pas s'enfermer dans une case.

Ailleurs dans le groupe, il repère aussi son voisin. Un frisson désagréable lui court sur la nuque. Leur dernière confrontation ne lui a pas franchement laissé un bon souvenir. Il est conscient d'avoir brisé quelque chose mais, surtout, il n'a pas aimé l'effet de miroir que lui renvoie ce garçon. Il n'aime toujours pas ça. Tu es ce que j'aurais dû devenir. Il détourne le regard avant que l'idée ne revienne le hanter. Visiblement, ses paroles ont eu un petit effet, s'il est là avec eux au lieu d'être enfermé dans sa chambre de soie et de paillettes, mais sa présence le met quand même mal à l'aise.

La petite détective, en venant s'asseoir près de lui, fournit une distraction bienvenue. Il sourit en lui laissant un peu d'espace, ne résiste pas à l'envie de lui ébouriffer un peu les cheveux.

» Je participe toujours. Toi, par contre, ça me surprend.

Elle qui n'est pas venue à Halloween et qui a préféré passer la soirée en question avec sa pote à regarder des films, qui se pointe dans une soirée comme celle-là, c'est inattendu. Décidément, tout le monde est plein de surprises ce soir. C'est l'ambiance vacances, qui change les gens comme ça ? Il suit le regard de la jeune fille avant de hausser les épaules.

» Nan, lui il nous fait la morale. Il y a quelqu'un à la fenêtre, non ?

C'est la fille qui était assise à côté de lui dans le bus. Elle est venue par la fenêtre ? Original. Comme si sa remarque avait été une formule magique, quelqu'un se lève pour aller lui ouvrir et la laisser entrer. Il commence à y avoir pas mal de monde, mine de rien. Reste à voir où tout ça va mener.