Damen Irridval

Lycée |:| En vacances

Bonsoir Damen. Tu ne me connais pas, mais je gage que nous pouvons nous rendre mutuellement service. Si tu veux un aperçu de mes compétences, je préconise que tu te connectes sur le site du Times aujourd'hui à 8h précise, quand la Une du jour sera mise en ligne. Si tu es convaincu, je t'attendrai ce soir à 23h au Hide Park de Londres, sous le grand chêne près de la rive. Inutile de préciser que je t'attends seul.
Bien. Trois questions. Qui. Pourquoi. Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire.

Assis en tailleur au bord de son lit, balançant légèrement vers le vire, Damen observe l'étrange message sur son téléphone. À côté de lui, Emily regarde l'écran de l'ordinateur, peu rassurée. Elle s'inquiète toujours pour rien. Il est presque huit heures. Depuis qu'il l'a appelée ce matin, plus pour partager cette histoire étrange que pour avoir son avis, elle se ronge les ongles, au point qu'il regrette un peu de lui en avoir parlé. Heureusement, il ne lui a pas montré le message, donc s'il finit par décider de suivre la directive de cette mystérieuse personne, Emily ne saura pas où le trouver. Ni quand. C'est l'essentiel. Huit heures. Elle se lève avant lui pour aller actualiser la page. Cligne des yeux devant l'image qui s'affiche, et même Damen marque un temps d'arrêt. Cette photo...
Cette photo ne devrait pas être là.

Rangeant rapidement son téléphone dans sa poche, il rejoint son amie près du pc. Ce n'est ni un montage, ni un trucage. C'est une photo qu'il avait prise quand il avait réussi à faire rentrer quelques potes dans l'hôtel de ville, le bureau de son père. Rien d'exceptionnel, il n'avait pas fait de fête ou de grosse entrée en scène. Juste fumé quelques joints et tenté quelques lignes de coke qui l'avaient laissé mal en point le lendemain et lui avait causé un sévère saignement de nez sur le coup. C'est ça, que son pote avait pris en photo. On le voit assis comme un prince au bureau de son père, une poudre blanche clairement identifiable avec un peu d'imagination, le sang qui s'écoule de son nez et qui évapore les doutes. Et surtout, le décor trop reconnaissable de l'intérieur de l'hôtel de ville. Pourtant, son pote lui avait affirmé qu'il l'avait supprimée parce qu'il avait peur qu'on remonte jusqu'à lui. Compréhensible. Si Damen est le seul visible sur la photo, il y a sûrement moyen de remonter la trace de l'ami en question d'une manière ou d'une autre. Un reflet ou un identificateur s'il l'avait mis en ligne. Il ne s'y connait pas assez pour l'affirmer. En tout cas, ça a suffi à faire peur à ce type, et la photo a disparu.
Avait disparu.

Qui que soit la personne qui l'a fait ressortir, elle a fait du bon travail. C'est même un peu inquiétant ; inquiétude qu'Emily s'empresse d'ailleurs de lui exprimer. Il la calme d'un geste de la main.

» J'ai l'habitude d'être en une des magazines.
» Mais pas comme ça ! Cette photo n'existe plus, tu me l'as dit toi-même !
» L'informatique laisse toujours des traces.
» Et quelqu'un aurait pu la retrouver ? C'est louche. Et dangereux.
» Il faut que je sache qui c'est.

Il ne l'écoute déjà plus. La curiosité a toujours été plus forte que la raison chez lui, et encore plus maintenant. Si Any est une personne amusante avec ses petites rumeurs, le photographe qui se croit tout permis l'est moins. Et la fouine a refusé de l'aider à le retrouver, ce qui fait qu'il se retrouve dans une impasse.

» Dame, tu ne peux pas y aller. C'est sûrement un plan tordu pour te kidnapper. Ou te tuer. Ou...
» C'est en plein air, Emily. Personne ne va me kidnapper en plein jour et même si ça arrive, mon père a de quoi payer une rançon.
» Dis-moi au moins où c'est !
» Pour que tu te pointes avec mes gardes du corps ?

Il rit doucement, pose une main sur son épaule.

» Ça va aller. Je veux juste savoir qui c'est, je ne suivrai pas de mec louche avec un van qui me propose des bonbons.

Elle croise les bras avec un mimique agacée et il se contente de lui sourire.

» C'est pas drôle.
» Bon, tu sais quoi ? J'ouvrirai un message avec l'endroit où je suis en permanence. Si ça se passe mal, je te l'envoie et tu sauras où me trouver. Ça te va ?
» ... Ouais...

Il lui ébouriffe les cheveux, ce qui achève de l'énerver, et il rigole au coup de poing qu'elle lui balance dans l'épaule. Il va quand même falloir qu'il fasse gaffe, elle commence à avoir plus de force que lui, avec tout ça...

....................

23h. Hyde Park. Il a beau s'être vanté auprès d'Emily, il n'est pas si sûr que lui. Techniquement, il a déjà été en danger plus d'une fois, mais jamais par des gens qui avaient prouvé si vite un semblant de capacités. En informatique, certes, mais quand même. Quelqu'un qui veut le voir, lui, spécifiquement, au point de prendre ce risque. Non, c'est plus dangereux que ça n'en a l'air. Ça ne l'empêche pas de s'adosser nonchalamment à un lampadaire, les bras croisés, aussi visiblement serein qu'il est intérieurement empli de questions.
Questions qui, il n'en doute pas, trouveront leurs réponses.

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Une voix, dans l'ombre. Une voix indéniablement féminine, appartenant à une personne tout aussi indéniablement féminine. Même de là, sans détails, c'est facile de deviner les contours de sa silhouette, sans voir précisément ceux de son visage. Bien habillée, bien maquillée, bien foutue, bien son genre s'il n'avait pas d'autres soucis en tête. Pour l'instant, elle est surtout intriguante, mystérieuse, intéressante. Il la regarde avancer avec un petit sourire en coin. Elle sait clairement ce qu'elle fait. Le calme dans sa voix, l'éloignement, l'attitude, elle a l'habitude de l'obscurité comme il a l'habitude des projecteurs. C'est presque de la beauté cinématographique, qu'il soit sous le seul lampadaire alors qu'elle en reste assez loin pour être presque invisible.

» Qui sait, peut-être que je suis juste curieux.

Assez pour risquer sa vie dans un parc vide au milieu de la nuit. Ouais, ça ne sera pas la première fois qu'il met sa vie en danger sur un coup de tête. Il observe ce qu'il peut deviner dans l'ombre. La tenue assez sombre pour que sa silhouette ne soit que susurrée dans les ombres, le décolleté qu'il devine simplement par contraste avec sa peau clair, les yeux qui brillent comme des menaces ou des promesses. Il décroise les bras, se séparant par principe de la posture qu'elle aborde, pour placer une main repliée contre ses lèvres en soutenant son coude de l'autre. Intéressé, mais pas trop à sa merci pour qu'elle puisse le manipuler en lui faisant miroiter des choses.

» Collaborer, hein… Pas un proposition que j'ai l'habitude d'entendre, mais tu as l'air d'avoir un certain talent.

Il regarde un instant ses ongles, à moitié désintéressé comme à son habitude, mais finit par reporter son regard sur elle. Ce qu'il veut ? Des dizaines, des centaines, des milliers de choses qui se regroupent en une seule : exister. Oublier l'appel du vide qui lui ronge les entrailles.

» Avant ça… Par pitié, dis-moi que tu n'es pas la personne qui met toutes ces photos truquées ridicules aux quatre coins de l'école. Je serais triste d'avoir une dent contre une femme aussi sexy que toi.

Oui, bon, il ne peut pas éternellement s'en empêcher. C'est sa façon de parler, nappée d'arrogance et d'une séduction latente qu'il n'a pas forcément toujours envie d'exploiter mais qui reste, malgré tout, présente dans ses expressions quotidiennes. Il recroise les bras, s'adosse plus confortablement contre le lampadaire. Est-ce qu'il sera là longtemps ? Difficile à dire. Dans le doute, il peut bien s'installer un peu mieux. Profitant de son soutien, il croise les jambes, et son visage reprend son sérieux.

» C'est lui que je veux. Ou elle. Contrairement à ce que l'apparente incohérence de ma vie laisse penser, j'ai une image à maintenir et je n'aime pas l'influence qu'a cette personne sur le jeu que je joue.

À vrai dire, s'il n'avait pas eu l'intention de mettre la photo de l'hôtel de ville en ligne avant que son pote décide de la supprimer, il aurait probablement réservé le même discours sur les activités de la personne en face de lui. Même s'il se plonge dans l'anarchie et la débauche, il aime garder un semblant de contrôle sur ses plans. Elle avait eu la chance – ou la lucidité – de tomber sur la bonne image pour mettre sa petite invitation en place.

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La meilleure, hein ? Le sourire de Damen s'élargit. Teinté d'intérêt, d'une curiosité amusée, aussi. Il aime bien les gens qui savent ce qu'ils valent. La modestie est une arme fatiguante que trop de gens manie sans savoir s'en servir, et qui finit bien souvent par se retourner contre eux pour devenir de la dépréciation. Au moins, elle ne cache pas qu'elle est douée – le nier aurait été difficile, et elle aurait perdu quelques crans dans son estime si elle s'était mise à bafouiller qu'elle n'était "pas si douée que ça".

» La meilleure, d'accord.

Reste à s'assurer d'une chose. Ça serait assez peu probable, étant donné que la personne responsable des photomontages disséminés partout a sûrement mieux à faire que de s'inviter sur la une des journaux ou que de faire ami-ami avec lui après avoir balancé coup sur coup des images susceptibles de le mettre sur les nerfs, mais on ne sait jamais. Il s'attendait à ce qu'elle nie rapidement, mais elle se contente d'un silence que, faute de mieux, il qualifierait de confus.

Dans la vie, les humains ont souvent des réactions assez faciles à prévoir quand on commente leur apparence. De la gêne, un sourire flatté, de l'intérêt, de l'indignation ; selon la personnalité, selon l’émetteur du compliment, selon l'humeur du jour. L'espèce de silence qui se pose dans l'air après celui qu'il a nonchalamment lâché à la fin de sa phrase ne rentre dans aucune de ces catégories. Difficile de savoir si c'est ça qui l'a plongée dans le silence, peut-être est-ce juste qu'elle cherche à comprendre de quoi il parle et qu'elle n'a pas entendu parler des photos. Mais ça semblerait étrange, venant de quelqu'un qui a réussi à être aussi renseignée sur lui. Pas qu'il soit très mystérieux mais cette photo est la preuve qu'elle ne s'est pas contentée des magazines. Donc qu'elle a dû trouver d'autres choses sur lui. Est-ce donc au compliment qu'elle a tiqué ? Elle le fixe comme si elle ne le voyait qu'à moitié.

Il attend. Calme et patient, des traits qu'on ne lui attribue que rarement mais qu'il est, en définitive, bien plus capable que d'autres de mettre en avant. Abandonnant sa posture pour mettre les mains dans ses poches, il attend qu'elle se remette enfin à parler. Elle ne mentionne que sa questions. Pas la fin. Il plisse les yeux.

» J'ai dit quelque chose qui t'a déplu ?

Ou surprise. Ou quelque chose du genre. Il n'est pas idiot. Si cette fille est aussi douée qu'elle l'affirme, il faut mieux l'avoir avec lui contre lui, et il n'a pas envie de s'en faire une ennemie. Mieux vaut donc s'assurer d'abord qu'il ne dit pas de choses capables de la faire changer d'avis. Il a des ennemis, mais il les préfère inoffensifs.

» Ne t'en fais pas, je n'avais pas l'intention de te raconter ma vie.

"Tu fais ce que tu veux, ça ne m'intéresse pas", dit-elle alors qu'elle connaît sûrement tout ce qu'il y a à savoir sur sa vie. À commencer par son numéro de téléphone. Ce n'est pas l'information le concernant qui soit la plus facile à trouver, d'autant plus qu'elle a choisi son téléphone personnel, donc pas celui qu'il utilise pour ses plans dragues et plus si affinité. En gros : le téléphone que quasiment personne n'a, à part ses parents, Evan, Emily… et Eri. Et il voit mal quelqu'un de ce groupe s'amuser à communiquer avec une mystérieuse génie de l'informatique. Donc elle s'est renseignée. Donc elle connaît sûrement déjà tout ce qu'il y a à savoir. À part ses motivations, mais ça ne concerne que lui.

» Eh bien tant mieux, ça nous facilitera la tâche à tous les deux.

Facile… ouais, c'est aussi ce qu'il pensait avant de se retrouver coincé dans le poste de sécurité par Cordelia. Il pensait y arriver en cinq minutes, mettre la main sur ce type ou cette nana, lui faire regretter son action, passer à autre chose. Au final, tout ce qu'il y a récolté, c'est une discussion avec une prof qui s'inquiète un peu trop pour lui pour être normale, et une photo de plus, de lui avec Emily. Un montage qui lui a tiré des frissons de dégoût. Pas qu'il ne trouve pas Emily jolie mais… il avait l'impression de se voir en train d'embrasser sa sœur, ce qui était suffisant pour lui donner la nausée. Raison de plus pour mettre la main sur ce photographe du dimanche.

» Une carte magnétique ? Je peux t'en donner une, mais ils les réinitialisent à la rentrée, donc elle ne te sera utile que jusqu'à la reprise des cours. Le 5 septembre, précise-t-il quand même au cas où elle ne serait pas au courant des dates.

Lui, il les connaît presque un peu trop bien. Mine de rien, les vacances, ça devient vite ennuyeux quand il est obligé de croiser son père et l'autre pouffiasse au quotidien.

» Cela dit, j'en récupère régulièrement. Je n'aime pas trop qu'on limite mes accès. Donc si tu n'as pas fini d'ici-là, je pourrais t'en trouver une autre.

Voler une carte ou en voler deux, la différence est minime, surtout si elle peut en faire une copie ensuite. Il est quand même surpris que l'école ait eu la clairvoyance d’immuniser son système au piratage, ou qu'elle ait besoin de son aide pour récupérer une carte. Il était persuadé que faire une copie serait plus simple que de s'amuser à en voler une. Mais bon, il n'y connaît pas grand-chose en informatique.

» Et donc, tu as mentionné que tu voulais quelque chose en échange… ?

Personne n'aide jamais les autres gratuitement. C'est une loi centrale de l'humanité.

Damen Irridval

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Elle est perturbante. S'il est loin d'être un génie de l'humanité, la plupart du temps Damen peut tout de même se vanter de réussir à lire quelque chose dans l'expression, le regard, la posture, la voix des gens qui se tiennent face à lui. Pas elle. Son "non" est aussi vide d'émotion que si elle avait écrit ça sur un ordinateur à des kilomètres de lui. Il ne lui a pas déplu, c'est un bon point à retenir, mais il aurait aimé avoir un peu plus à apprendre d'elle. Au final, tout ce qu'il en sait pour l'instant, c'est qu'elle cache bien ses émotions. Ou qu'elle n'en a pas, ce qui est possible aussi – moins probable, mais possible.

» D'accord. Je t'en trouverai une avec les bons niveaux d'accès.

Rien de bien compliqué. Grand événement commun aux deux lycées oblige, le weekend d'intégration organisé par le président conseil des élèves aura forcément un ou plusieurs surveillants en train de patrouiller un peu partout dans le parc. Ils sont généralement attentifs à tout, sauf à eux-mêmes. Il suffit d'attendre une petite connerie qui attire leur attention, et récupérer une carte sera un jeu d'enfant. D'autant plus qu'il a des années d'expérience en la matière. Tant qu'il s'en souvient d'ici-là, tout ira bien. Il a cependant de bonnes raisons de ne pas oublier.

Un petit sourire flotte sur ses lèvres. Pas dans l'immédiat, hein ? Elle l'aurait donc fait venir ici simplement pour lui rendre un service et se le mettre dans la poche ? Il a du mal à y croire. S'il n'a pas la moindre idée de ce qu'elle voulait, son petit revirement de "je te dirais ça quand je saurais ce que tu veux" à "tu me devras un service" est trop peu naturel. Trop politique. Il ne lit pas encore dans les pensées, mais il a baigné dans ces méthodes toute sa vie. Il les connaît bien.

» Je ne pense pas que tu m'aies fait me déplacer juste par gentillesse ou pour me faire un cadeau, surtout après ton petit coup de théâtre avec la une du journal. C'est parce que tu voulais quelque chose que tu m'as fait venir.

Il croise les bras, plisse les yeux. Impossible de savoir ce que c'était, par contre. Elle est trop loin pour lui avoir volé quelque chose, et ç'aurait été trop d'efforts pour si peu – sans compter que si elle était capable de voler des choses aussi facilement, elle n'aurait pas besoin de lui pour se fournir cette carte d'accès. Il est à peu près sûr qu'ils sont seuls, et que la paranoïa d'Emily n'a pas de raison d'être. Trop élaboré pour un quelconque enlèvement. Mais quand même. Il y a quelque chose de louche, et quelque chose qui lui échappe.

» Soit tu changes d'avis rapidement, mais ça ne colle pas trop à ton attitude jusque là, soit tu as eu ce que tu voulais. Je ne sais pas ce que c'était, je ne vais pas m'amuser à creuser ou à avoir l'idée idiote de t'interroger. Mais peut-on vraiment dire que je te dois un service, considérant ces circonstances ?

Son sourire ne fait que renforcer cette idée. C'est sa première émotion visible depuis qu'elle est arrivée, et c'est trop étrange avec ce contexte. Les mensonges créent souvent ce genre de petits accrocs dans l'attitude, une incongruité que l'on remarque avec un minimum de sens de l'observation. Ses raisons, par contre, lui échappent. Mais la curiosité est dangereuse quand on l'exploite au mauvais moment. Il a beau ne pas savoir grand-chose de celle qui se tient face à lui, quelque chose lui souffle que c'est un mauvais moment, justement. Alors il n'ira pas chercher plus loin.
Pour l'instant.