Tessa E. Buchanan

Lycée |:| 4°A, Potion

Il ne bouge pas, il n'essaye pas de faire le moindre geste pour lui retirer l'arme des mains. Au moins, ça la conforte dans son idée qu'il n'est pas capable de la tuer, pas plus qu'il ne veut la voir mourir. Ça ne change rien au fait que ses paroles ont brisé quelque chose dans son esprit... ou plutôt reconstruit quelque chose, remis en place sa nature la plus personnelle. Au fond, la vraie elle, celle pour qui le moindre signe d'abandon devient un point final.

» Et je n'ai pas aimé ta réponse.

Sincère ou pas, qu'est-ce que ça change ? Le fait qu'elle soit sincère est, au final, une raison de plus pour appuyer ce qu'elle pense et ce qu'elle dit. Elle a bien eu la réponse à la question qu'elle a posé, et ça lui a suffi à poser son avis et son opinion. N'est-ce pas le principe ? Elle n'a pas envie d'être la roue de secours, l'option par dépit. À quoi bon ? C'est une histoire dont elle connaît déjà la fin ; elle l'a vue des centaines de fois dans la vie, les jeux, les films. Ça n'en vaut pas la peine. Stoïque, elle encaisse les qualificatifs sans ciller, mais un petit sourire sarcastique finit par s'inviter sur ses lèvres.

» Choisi ? Pitié, nos rencontres avaient fait la moitié du travail pour toi. Tu n'as rien choisi du tout.

Rien que la première fois qu'ils se sont vus, il la pointait déjà avec une arme. Alors un choix ? Quoi, parce qu'il lui a raconté des choses ? Ça ne veut rien dire. Elle savait déjà qu'il était un assassin, elle l'avait déjà vu tuer, il l'avait déjà menacée plusieurs fois, frappée même ce soir-là. Il n'a pas eu un grand pas à faire pour lui dire le peu de choses qu'elle ne savait pas encore. C'est trop facile, de dire qu'il a choisi. En attendant, c'est à elle qu'il a reproché d'avoir caché la soirée de la rouquine dès l'instant où elle est apparue. En attendant, sa seule raison de s'éloigner de Lily est qu'il ne s'estime pas digne d'elle. Ça ne change rien.

» Je ne te crois pas.

Rien à voir avec ça, tu parles. S'il ne sait pas ce qui se passe, elle le comprend très bien. Elle l'a vu toute sa vie, ce deuxième choix qu'on fait parce que le premier n'est pas accessible. C'est la nature humaine, la réaction la plus viscérale possible. S'il ne s'en rend pas compte, ça ne résout pas le problème. Ou plutôt, ça fait d'elle la seule personne capable de le résoudre.

» Tu peux le répéter encore et encore, si tu veux, je ne croirais pas pour autant. Parce que tu ne sais même pas ce que tu fais. Tu l'as dit toi-même, non ? Tu ne sais pas ce qui se passe entre nous.

Une trahison ? Oui. Elle l'a accepté et assumé dès le moment où sa main s'est refermé sur la crosse dans son dos, ou sûrement même avant ça.

» Au moins, je sais que celle-là est chargée.

Sinon il n'aurait pas l'air aussi perdu. Il ne serait pas en train d'essayer de la convaincre de le lui rendre. Non, comme la dernière fois, il l'encouragerait à tirer simplement pour la voir échouer près du but encore une fois. Mais il a tort. Il ne la comprend pas plus que les autres, avec son humanité et ses émotions sorties du cœur et non d'un noyau de folie vissé dans son cerveau. Il ne la comprend pas s'il pense qu'elle cherche à être rassurée, s'il pense qu'elle a envie de l'entendre prétendre qu'elle est celle qu'il veut. Elle sait que ce n'est pas le cas, peu importe ce qu'il dira.
Un petit sourire prend place sur ses lèvres, à mi-chemin entre la résignation et la compassion.

» On sait tous les deux que ça finira comme ça. Quoi que tu fasses et quoi que je fasse. Autant s'épargner les étapes intermédiaires.

Peu importe qu'elle ait envie ou non de le faire, elle ne le sait même pas elle-même. Ce qui compte c'est que, contrairement à lui, elle en est capable. Elle peut presser la détente sans ciller et sans hésiter. Elle l'a déjà fait, dans une situation presque trop similaire à celle-ci. Elle sait comment les choses vont se passer. Qu'elle cède ou non, sa maladie finira par le faire pour elle. Puis Lily finira par découvrir ce qu'il est, ou lui finira par comprendre que le sang sur ses mains ne lui retire pas le droit d'être avec elle, et il comprendra qu'il a une chance. Une chance de l'avoir, une chance de sortir du gouffre et de remonter. Alors elle finira toute seule.
Et si ce n'est pas ça, ce sera simplement un replay de sa dernière vision de Campbell, où elle comprendra que tout n'était que dans sa tête depuis le début.
Dans tous les cas, la fin sera la même.

Tessa E. Buchanan

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C'est ce qu'elle voulait. C'est ce qu'elle voulait, pas vrai ? Qu'il renonce, qu'il s'éloigne, qu'il arrête d'insister et de s'accrocher. Elle le regarde alors qu'il assimile les mots qu'elle a prononcés, le sens de ses paroles. Non, elle ne le croit pas, elle ne veut pas le croire. Elle connaît trop bien cette histoire, et la vivre une fois lui a suffit. Cependant, elle ne peut retenir le sourire mauvais qui vient étirer ses lèvres, reflet presque ironique du sien. Le miroir se fissure ?

» C'est ce que tu voulais, non ? Voir la vraie personnalité derrière. J'ai fini par y répondre, à ta question "simple". Enfin... peut-être.

La trouve-t-il toujours simple, maintenant ? Alors qu'il tente de la faire faiblir, de la faire changer d'avis, ou quoi qu'il soit en train de faire. Seul le vide brille dans la lueur violette de ses prunelles. Peut-être qu'il a tort, en fin de compte. C'est face à lui qu'elle est si froide, glaçante, manipulatrice et protégée de ses émotions. Qu'est-e qui lui garantit que ce n'est pas encore une copie, une imitation ratée de ce qu'il aurait dû être ? Ou peut-être plus efficace.

» Tu ne comprends rien, hein ?

La première fois, elle n'a pas cherché à mourir, simplement à protéger l'homme qu'elle aimait de la folie qui se terrait sous son crâne et qui, peu à peu, entreprenait de détruire sa vie. Elle a fait ça pour lui. Pas par désespoir, ni pas envie d'en finir, mais simplement pour essayer de déloger la graine logée dans sa tête qui n'a fait que s'accroître, jusqu'à ce qu'elle ne sache plus différencier ses nerfs des branches. Tout aurait été plus simple si elle était morte, mais ça n'avait jamais été son but. Aujourd'hui... Aujourd'hui elle ne sait pas. Peut-être que l'histoire se répète plus tôt que prévu.
Qui protège-t-elle, avec cette arme braquée sur la tempe ?

Ses lèvres se tordent en un rictus amer et son doigt s'avance lentement, proche de presser la détente. Puis elle se fige, le regard toujours mortellement sérieux malgré la larme qui vient perler au coin de son œil.

» Tu ne sais pas. Tu n'as fait que lire des dossiers et des rapports de psys. Des rapports qui faisaient de moi une fille suicidaire, qui avait essayé de mourir. Alors, monsieur "je suis le seul à te comprendre", dis-moi encore pourquoi j'ai tiré, la première fois.

Elle sent que quelque chose a craqué. La gangue de glace et de pierre autour de son cœur se fissure sous le poids d'émotions contradictoires, frappée autant par le présent que par les souvenirs. Il prétend la comprendre, alors qu'il ne sait rien. Rien. Rien du haut de son humanité, de son empathie, de sa compassion. Rien de ce qu'est sa vie, lui qui n'a vécu qu'à travers la mort et la rancune. Comment peut-il espérer savoir quoi que ce soit, comprendre quoi que ce soit à travers les pages noircies d'un dossier médical. Alors que sa vision se brouille, elle laisse une partie des souvenirs revenir. Quelques phrases qui franchissent ses lèvres, voix du passé, de la petite Tessa de 16 ans tétanisée devant son professeur. Son premier amour.

» Il souffre à cause de ce qui se passe dans ma tête. Tout est faux. Il l'a dit. Tout est dans ma tête. Je dois... prendre soin de lui. C'est ça l'amour, non ?

Son doigt s'écarte, reprenant sa position initiale tandis qu'elle mime le recul.

» Bang.

Elle balance l'arme devant elle, la laissant atterrir aux pieds de son propriétaire avec un sourire triste, sans essuyer les larmes qu'elle sent sur ses joues. Pour quoi faire ? Tout le reste de son corps est calme, comme si la douleur des souvenirs n'avait atteint que ses yeux.

» Je n'ai pas tiré pour mourir. Je n'ai pas tiré par lâcheté. J'ai tiré pour le protéger. Tu connais ça, non ? Tu t'éloignes d'elle pour la protéger, après tout.

La dernière fois qu'elle a tiré, c'était différent. Cette fois où il lui a mis une arme déchargée entre les mains. Pourquoi ? Pour tester son envie de mourir ? Voir si elle y tenait vraiment ? Mais il s'est tant passé de chose, entre temps. Il y a eu cette photo, l'effondrement de son monde et de ses certitudes, le vide béant de l'abandon. Oui, elle y tenait vraiment. Maintenant ? La vie comme la mort l'indiffèrent avec la même force.

» Tu veux savoir le plus drôle dans tout ça ? Ça n'a même pas suffi. Quand je me suis réveillée, j'ai cru qu'il m'avait menti. Qu'il n'avait dit ça que parce qu'on pouvait nous entendre. Pour protéger sa carrière. Si on ne m'avait pas envoyée ici, j'aurais continué de le suivre. De le détruire. Quoique je fasse, ça ne suffit pas. Ça ne suffira jamais.

Elle baisse les yeux une seconde, regarde son pied s'avancer vers lui, s'arrête. Elle n'a plus de moyen de pression pour l'empêcher d'approcher. Peu importe, il aurait fini par croire qu'elle n'était pas capable de tirer, pas prête à le faire. Ou il aurait cessé de l'écouter pour simplement essayer de l'en empêcher.

» Là, tu comprends ? Peu importe ce que je dis ce soir. Peu importe ce que je fais. Peu importe ce que je pense. Dans une semaine, une journée, une heure, peut-être que j'aurais trouvé le moyen de l'oublier, de l'effacer, de le remodeler. Je serai juste une idiote persuadée de vivre une histoire d'amour sans défauts.

Elle soupire, serre ses bras autour de sa poitrine. Elle n'a pas sa place, pas son mot à dire, dans un monde d'illusions qui se berce dans ses phobies. Même si elle le rejette de toutes ses forces, peut-être qu'il a raison. Qu'elle a inventé la moitié. Mais si elle a inventé la moitié, ça veut dire que cette soirée ne restera réelle que pour lui.
Pour elle... elle n'arrive même pas à imaginer ce qu'elle deviendra.

Tessa E. Buchanan

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On dit qu'il existe un bref moment de lucidité avant que la folie gagne la partie. Elle a l'impression d'être en plein dedans, dans ce léger moment de conscience avant que son esprit ne s'enferme à nouveau dans une prison inextricable. Un instant de calme avant qu'elle bascule encore. Tessa ferme les yeux, les paupières crispées. Quand elle les rouvre, ils brillent d'un éclat triste et elle fait un pas de plus en avant.

» Non, tu ne peux pas.

Le ton de sa voix est d'autant plus calme qu'elle le voit trembler. Pense-t-il vraiment en être capable ? Même elle, elle savait qu'il ne pourrait pas, avant même de venir ici ce soir. Et de toute façon, est-ce que ça changera vraiment quelque chose ? Est-ce que ça sera vraiment une fin ? Pour elle, peut-être, mais pour les autres ? Pour Brook qui doit se demander pourquoi elle s'est éclipsée au milieu de la soirée ? Pour Reya, qui a veillé sur elle bien plus que sa mère ou son père n'ont pu le faire ? Pour lui, avec son arme tremblante et la douleur bien trop lisible sur ses traits ? Ses lèvres s'étirent un en sourire sans joie. Souffrir pour les autres, au fond, c'est toujours ce qu'elle a fait de mieux. À part faire souffrir les autres pour elle.

Avant même qu'elle y pense, sa main se pose doucement sur sa joue, essuie sa larme du bout du pouce. Il y a quelques mois, quelques semaines, quelques heures, elle luttait de toutes ses forces pour le détester. Maintenant, elle ne parvient qu'à voir une vie de plus abîmée par sa présence. Mais elle peut encore réparer les choses... pas vrai ? L'empêcher d'être totalement détruite. Il a juste à ne pas tirer.

» Tuer quelqu'un n'est une fin pour personne.

Elle soupire, écarte sa main en reposant ses talons à terre, puis elle s'écarte d'un pas. Et maintenant ? Les émotions qui agitaient son esprit ont laissé place à un calme qui lui donne le vertige. Elle ne sait plus quoi faire, comme si, d'un certaine façon, elle avait répondu à la question posée avant qu'elle pousse cette porte. Pourquoi vient-elle, après tout ?

Ses pas finissent pas l'éloigner lentement de lui. Distraite par le silence apaisé qui règne dans sa tête, Tessa s'assoit sur l'un des plongeoirs au bord de la piscine, ramène ses genoux contre elle, fixe ses pieds d'un air un peu détaché.

» Tu devrais aller lui parler, tu sais. Elle te surprendra peut-être.

Tout en prononçant ces mots, elle sent ses doigts se crisper sur ses genoux et une sensation désagréable lui serrer la poitrine.

» Tu as déjà assez d'ombre dans ta vie, un peu de lumière ne te ferait pas de mal. Et puis...

Elle relève le visage, la tête légèrement penchée sur le côté, mais le sourire qu'elle affiche presque trop naturellement ne suffit pas à apaiser la sensation qui continue d'oppresser son cœur.

» ... au moins, tu seras fixé. Si tu ne lui laisses pas la chance d'y réagir, comment tu peux savoir ce qu'elle va en penser ?

Peut-on encore la qualifier d'égoïste ? Elle est en train de le pousser vers une autre malgré la douleur que chacun de ces mots fait brûler dans sa cage thoracique. Mais ce n'est pas d'elle qu'il a besoin. Avec Lily, au moins... il aura une chance de marcher au soleil.
Alors pourquoi est-ce que ça lui fait aussi mal ?

Tessa E. Buchanan

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Un pâle sourire prend place sur les lèvres de la jeune fille alors qu'elle l'entend protester. Elle ne devrait pas le trouver naïf, alors qu'il a entre les mains une arme capable de faire taire une bonne fois pour toutes les insupportables battements de son cœur. Mais il proteste comme si elle venait de dire une aberration, alors elle secoue doucement la tête. Comme on répondrait à un enfant.

» J'ai dit tuer quelqu'un, pas mourir.

Quant à savoir si mourir est une fin, elle n'en a pas la moindre idée, et ce n'est pas ce soir qu'elle aura sa réponse. Toujours est-il qu'actuellement, il lui donne raison. la façon dont il a prononcé ce nom, comme s'il l'avait retenu pour continuer de se le reprocher. Une preuve irréfutable de ce qu'elle vient de dire. Tuer quelqu'un n'est une fin pour personne. Et certainement pas pour lui.

» Est-ce que ça a vraiment été une fin pour toi ?

C'est sur ces mots qu'elle finit par s'installer sur son plongeoir. Assise comme ça, les genoux ramenés contre elle, elle ressemble presque à une adolescente normale. Mais l'eau ne lui retourne qu'une lueur grisâtre malgré la lumière qui y brille, comme pour lui rappeler qu'elle ne le sera jamais. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas vu le violet de ses yeux ? De quel couleur sont ceux de Lily ? Ses cheveux ? Lily... Même si elle se crispe, Tessa finit par parler d'elle. Lui dire d'aller lui parler, de tenter sa chance. Sa réaction est aussi rapide que peu surprenante. La jeune fille lève quand même les yeux au ciel.

» Tu ne peux pas toujours décider pour les autres. Si elle veut se rapprocher de toi, elle le fera. Que tu le veuilles ou non, que tu aies peur ou non.

Combien de fois a-t-il essayé de l'empêcher de mourir ? Combien de fois a-t-elle voulu le faire quand même ? Pense-t-il vraiment que cette fille sera différente ? Quand les gens laissent parler leurs émotions et qu'ils savent ce qu'ils veulent, rien ne peut les mener sur une autre voie. Elle est probablement la mieux placée pour le savoir, vu comme elle est capable d'être bornée dans ses idées et ses choix.

Sa question la fait légèrement tiquer et elle rebaisse la tête pour perdre son regard dans l'eau grise. Avec un petit soupir, elle déplie une jambe, la laisse balancer au-dessus de la surface de la piscine, gardant l'autre remontée contre elle.

» Ce que je cherche à faire..?

La réponse est évidente, dans sa tête. Trop évidente, peut-être. Elle posa son menton sur son genou sans relever les yeux vers lui, observant les petites agitations de l'eau et la lumière qui remonte sous ses pieds.

» Je te protège.

Combien de fois a-t-elle prononcé ces mots dans sa vie ? Très peu. Une fois ou deux, peut-être. Il n'a pas besoin d'une fille comme elle dans son entourage. Il faut qu'il s'éloigne. Au fond, c'est pour ça qu'elle est venue, pour lui dire de partir, de ne plus l'approcher. La situation lui a un peu échappé, mais le but reste le même. La raison a changé, elle, peut-être. Peut-être...

Tessa E. Buchanan

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Ce n'est pas une fin, dit-il après avoir réagi bien trop violemment à son affirmation. Non, tuer quelqu'un n'est une fin pour personne, et ces mots qu'il a rejetés viennent juste de lui revenir en plein visage. Même si elle meurt de sa main, qu'est-ce que ça changera ? Ça ne fera que créer un autre problème. la seule personne qui peut la tuer sans mettre du sang inutile sur les mains de quelqu'un, c'est elle-même. Un jour, peut-être. Quand elle aura fini par réellement atteindre son dernier point de rupture. Un petit sourire amer se dessine sur ses traits. Si elle pense qu'il ne peut pas décider pour les autres? Oui. Si c'était si facile, le monde serait beaucoup moins sombre.

» Tu penses vraiment pouvoir l'empêcher de s'attacher à toi ?

Un petit rire s'échappe de ses lèvres à sa répartie. Effectivement, elle ne peut pas décider pour les autres non plus. Mais elle peut décider pour elle, et quoi qu'il dise ou qu'il fasse, ça ne changera pas. Tout comme il ne peut pas empêcher cette fille de s'attacher à lui, il ne pourra pas l'empêcher, elle, de s'éloigner.

» Je le ferai quand même, souffle-t-elle en haussant les épaules. Parce que tu ne peux pas décider pour moi.

Elle balance sa jambe au-dessus de l'eau sans relever les yeux des reflets provoqués par la lumière. Au fond, elle ne sait pas vraiment ce qu'elle fait. Elle sait juste qu'il n'a clairement pas besoin d'un problème supplémentaire, comme il le dit si bien. Tuer et fuir. A-t-il vraiment la nécessité d'ajouter une personne comme elle à l'équation ? Certainement pas. Elle soupir.

» Je ne peux pas décider ce que tu veux, mais je décide de ce que je fais. Enfin la plupart du temps.

Quelle idée, de s'attacher à elle. Mais s'il veut souffrir, elle ne pourra pas l'en empêcher. Tout comme lui ne pourra pas empêcher Lily de souffrir si elle continue de s'attacher à lui et qu'il continue de la fuir. Il peut vouloir de toutes ses forces qu'elle ne tienne pas à lui, à en juger par tout ce qu'elle sait de cette fille, c'est déjà trop tard. Elle entend ses pas sur le carrelage, mais elle continue de garder les yeux résolument fixés sur l'eau. Il y a une éternité, elle était bleue. Sa couleur préférée. Elle se souvient d'avoir prononcé ces mots, ressenti cette préférence mais, maintenant, elle n'arrive même plus à savoir à quoi ressemble cette couleur. Elle poussa un petit soupir tandis qu'il reprend la parole, et finit par déplier son autre jambe, la laissant balancer à nouveau au-dessus du vide tandis qu'elle place ses deux mains derrière elle, à plat sur son siège de fortune.

» Ce n'est pas comme ça que je fonctionne.

Le repousser par peur de l'abandon ? Non, c'est quelque chose qu'elle n'a jamais fait. Elle n'a jamais repoussé que les gens qui l'avaient déjà abandonnée ou laissée de côté.

» Je te protège, c'est tout. Tu n'es pas le fantôme le plus dangereux dans cette pièce.

Tuer est une chose, mais elle s'estime capable de faire bien pire que ça. Et plus il reste dans son sillage, plus il risque de découvrir que la mort n'est pas le pire sort que l'on puisse infliger à quelqu'un. Elle relève son visage vers le plafond, le regard un peu vague. Combien d'angoisses a-t-elle rajouté à ses cauchemars ?

» Ce sera beaucoup plus simple si on ne se revoit jamais.

Même si c'est une perspective à laquelle elle ne croit pas vraiment.

Tessa E. Buchanan

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Régler les choses... Si c'était simple, elle ne serait pas à l'IRS, elle ne porterait pas l'uniforme bleu signalant sa folie aussi sûrement que si elle l'avait inscrit sur son front. Si elle avait pu affirmer avec certitude qu'elle ne le recroiserait jamais, elle aurait eu le courage de relever la tête au lieu de perdre son regard dans les vaguelettes qui agitaient doucement la surface de la piscine. Un instant, elle songe à s'y laisser couler, comme si tout cela pouvait effacer ses problèmes. Puis elle soupire. Ça ne sert à rien. Elle sait que rien ne changera.

Elle retient un rire sarcastique. Elle, amener de la raison dans ce monde... Elle est la représentation même de ce qui y va mal. Aussi fantomatique et vide qu'elle peut être obsessionnelle et maladive. Elle veut simplement profiter de ce dernier état de conscience, cette dernière parcelle de lucidité, pour s'assurer qu'il ne cherchera pas à la revoir, car elle n'est pas certaine de pouvoir suivre le même chemin. Pense-t-il connaître l'étendue de sa folie ? Il en est encore bien loin.

Attiré par un éclat, son regard se pose sur la main de l'assassin avant qu'il ne la referme, et elle se crispe. Ses ongles s'enfoncent dans le revêtement du plongeoir dans un crissement désagréable. Un cadeau, a-t-il dit. Un cadeau de Lily, probablement. Lui qui semble si déterminé à s'éloigner d'elle ne semble pas prêt à se séparer de ce qu'elle lui a offert. Ironique à quel point même ça, Tessa semble le refléter comme un miroir. Elle meurt d'envie de le lui arracher des mains. Il l'a laissée pour elle, et il ose faire l'injustice de le lui reprendre, maintenant qu'il a compris à qui il avait affaire. Et maintenant, qu'est-elle censée faire ? Sans ça... sans ça, elle n'est pas sûre de résister à la tentation de chercher le bonheur au goulot d'une bouteille.
Mais ce n'est plus son problème.

Elle ne répond pas, le laisse s'éloigner sur cette note. C'est mieux comme ça. Pour lui, pour elle, pour tout le monde. Avec un petit soupir, elle ramène une de ses mains devant son visage, la serre sur le vide. Finalement, il avait tort. Jamais elle n'a développé cette personnalité qu'il attendait d'elle. Elle n'a même pas été capable de trouver elle-même une robe qui lui corresponde, tout simplement parce que rien ne lui correspond. Alors elle se replie sur elle-même en gardant son regard fixé sur la surface de l'eau.
C'est mieux comme ça.
Ou peut-être qu'elle aurait dû presser la détente, finalement.