Une fois encore, le brun avait passé toute l'après midi dans ce bar dont il était devenu un habitué. Ce soir, pas d'entraînement planifié avec Lily. Elle voulait récupérer un peu, ce qui était normal, puisqu'elle avait insisté pour prendre un boulot d'été. Alors, de son côté, Chris s'était découvert un amour pour le billard. Il venait régulièrement et jouait très souvent. Et en quelques mois, il avait appris vite. Très vite. A tel point qu'il était devenu un habitué et qu'Alex, le barman, le connaissait désormais bien. - Je parie 10£ que tu loupes la prochaine, murmura l'adversaire du Corbeau afin de faire monter la pression. - Tenu !
Peine perdue. La pression, il en avait l'habitude. Il avait grandi avec toute sa vie. Un léger sourire narquois ourla les lèvres du brun alors que penché au dessus de la table de billard, il visait avec sa canne. Soudain, il tapa et une boule rouge rentra dans l'un des trous. - Tu me dois 10£, lança aussitôt Chris en se redressant. - Oué, bah je te les paierai à la fin de la partie. Le brun l'observa, d'un air de dire "vraiment ? Tu veux jouer à ça ?" et ce fut suffisant pour que l'autre joueur tire un billet qu'il déposa en grommelant. - Merciii, s'exclama l'assassin en récupérant l'argent. Ce fut un plaisir de faire affaire avec toi !
Le billard. Une autre chose dans ce monde qu'il avait pu découvrir grâce à sa fuite du centre. Depuis qu'il était un fugitif, il avait pu découvrir tellement de choses, que ce soit de ce monde, ou même à propos de lui même. C'était le genre de moment qui ne le faisait pas regretter que Black Thorn l'ait trahi. Pas le moins du monde... L'adversaire de Chris quitta sa table après avoir perdu et se dirigea vers le comptoir où il commanda un verre de bière. Un simple regard dans sa direction, puis dans celle du brun, et Alex sut qu'il avait encore gagné. Un sourire amusé ourla les lèvres du barman alors qu'il préparait le verre pour son client.
Il gagnait souvent, et les mauvais perdants n'aimaient pas ça. Petit à petit, l'étudiant s'était bâti une réputation de joueur que certains n'aimaient pas tellement. Mais le barman l'appréciait, surtout qu'il l'avait vu intervenir pour sauver la peau d'une adolescente qu'il ne connaissait pas, un mois plus tôt. Sans même lui poser la question, il prépara un Tequila Sunrise qu'il apporta au jeune Raven qui était en train de préparer sa table pour une nouvelle partie. - Tiens, mon grand ! Murmura t'il en posant la boisson non loin de lui. - Ohhh, merci ! C'est sur ton compte, j'espère ? - Non mais tu rêves ?! Rétorqua Alex en s'éloignant d'un air amusé. - Rapiat... souffla le brun en poursuivant la préparation de la table.
Chaque fois qu'il gagnait une partie, le barman lui apportait sa boisson préférée. C'était un bon indicateur d'alcoolémie pour Chris, qui s'arrêtait en général lorsqu'il commençait à perdre. Bien sûr, il y avait toujours le cas un peu particulier des joueurs très doués, mais c'était encore autre chose...
S'il n'avait pas été facile à dénicher la première fois, cela avait été beaucoup plus simple de le retrouver ce soir. Bon... ok... disons que la chance avait été de son côté aussi, car à peine avait-elle lancé le logiciel de reconnaissance faciale, qu'il avait intercepté les traits du Corbeau pile avant qu'il se s'engouffre dans ce qui ressemblait fort à un bar miteux. C'était un méchant coup de bol, à n'en point douter. Tant mieux, car après toutes les escouades qu'il avait abattu, c'était quand même un juste retour des choses que ça aille un peu dans leur sens. Elle resta là toute l'après-midi, le menton vissé dans son coude à fixer l'écran d'un air attentif, à attendre que la créature sorte de sa tanière.
« 20 août 2022 ¤ 18h30 »
- Non mais sérieusement... qu'est-ce qu'il fabrique...
C'était une vaste blague. Depuis qu'il y était entré en début d'après-midi, il n'en était toujours pas ressorti. Il s'était peut être endormi à force de boire. S'il était devenu alcoolique ça allait clairement bien arranger ses affaires et c'était sans doute la seule raison qui pouvait justifier qu'il passe autant d'heures dans un bar aussi dégoûtant. L'alcool ne devait pas être cher, et étudiant ça payait clairement moins bien qu'assassin. Enfin... ils n'étaient pas non plus payés chez Black Thorn, mais tout était fourni et quand ils faisaient bien leur boulot, ils n'avaient quand même à se plaindre de rien.
C'était peut-être une chance à saisir finalement...
T-Bug esquissa cependant une grimace à l'idée de rentrer dans ce bouge, sans doute pété de moribonds et malfamé jusqu'au trognon. Ca devait sentir la chèvre et l'urine dans tous les coins... Mais où était l'environnement aseptisé de Black Thorn qu'elle chérissait plus que tout autre chose depuis qu'elle était arrivée à Londres... Et comment s'en étonner. Elle avait passé 22 ans de sa vie sans jamais rien voir d'autre que ces murs. On avait beau l'avoir préparée pendant près d'un an, l'avoir trimballée un peu partout pour qu'elle "voit du pays" comme ils disaient, on ne revient pas sur 21 ans de vie en dix mois. Il faut juste être une grosse bande de demeurés pour l'envisager sérieusement. Mais, ça aussi, elle le savait depuis longtemps. Quoi qu'on en dise, ils n'avaient pas tous la lumière à tous les étages chez Black Thorn et les abrutis étaient légion.
Bref. C'était une occasion à ne pas louper. Et si rien ne lui permettait d'affirmer qu'il n'avait rejoint personne, au moins était-il rentré seul dans ce bar, ce qui laissait planer un petit espoir. Il serait sans doute plus facile de commencer à tisser un lien -erk- avant la rentrée de l'Université, qu'une fois que les lieux regorgeraient d'élèves en tout sens.
- Quand faut y aller... Soupira-t-elle d'un air las en ouvrant largement une porte au fond de l'appartement.
C'était la seule pièce à ne pas être envahie de matériel informatique ou d'écrans. Et pour cause, à l'intérieur la caverne d'Alibaba, la malle au trésor de -presque- n'importe quelle femme en ce bas monde : un dressing débordant de vêtements, chaussures, sacs à main et autres babioles bien inutiles, si vous lui demandez son avis.
- Bon alors euh...
Ses prunelles sombres balayèrent l'intérieur de sa garde robe d'un air totalement agar. Qu'était-elle censée porter au juste ? Elle ferma les yeux un bref instant pour se remémorer ses "cours" de savoir-vivre. Alors... normalement la consigne était que lorsque l'on sortait il fallait être bien habillée. Oui mais de quelles sorties parlait-on au juste... toutes les sorties ou juste certaines en particulier ? Elle qui était capable de se rappeler des centaines de lignes de codes d'une complexité sans nom, avait une mémoire de poisson rouge dès qu'il s'agissait de se souvenir de ce qu'on lui avait pourtant maintes fois rabâché pendant ces dix derniers mois.
- Ca, oui très bien, ça sera parfait. Se lança-t-elle à elle-même en saisissant un vêtement puis des chaussures et enfin un sac à la volée.
Elle n'aurait sans doute pas attrapé un sac de pommes de terre avec plus de délicatesse, ou de précaution. Un passage rapide par la salle de bain pour se changer, aucun maquillage -nul besoin, elle est parfaite de toutes façons-, glissant portefeuilles et portable dans son sac à main, elle quitta l'appartement et héla le premier taxi qui passa.
« 20 août 2022 ¤ 20h »
Le trajet avait été assez long. Ce qui n'était pas un mal dans la mesure où elle n'avait pas la plus petite idée de la façon dont elle allait l'aborder. Elle avait beau y réfléchir et retourner la question sous tous les angles, rien ne lui venait. Rien d'intelligent en tout cas. Et elle n'avait pas eu la présence d'esprit de consulter ses notes avant de partir. Car, oui, en bonne handicapée des relations sociales qu'elle était, elle avait pris soin d'emmener des pense-bêtes.
Quand le taxi stoppa devant la porte délabrée, T-Bug descendit du véhicule, paya le chauffeur et resta plantée comme un piquet devant la porte un bon moment. Quel étrange constat que celui de se rendre compte que plus on réfléchit à quelque chose de précis et moins la situation est claire. C'était la première fois que ça lui arrivait et c'était assez déroutant à vrai dire... Quelques sifflements assez vulgaires résonnèrent dans son dos, mais elle n'y prit pas garde. Soit elle était trop absorbée par sa réflexion pour y faire attention, soit elle ne les avait tout simplement pas considérés comme lui étant destinés.
Elle finit par pousser la large porte sans avoir la plus petite idée de la manière dont elle allait s'y prendre. Elle semblait avoir décidé d'opter pour le conseil de Beth, le conseil de la dernière chance, de l'ultime instinct primaire de l'être humain : improviser. Elle n'allait pas rester plantée là jusqu'à deux heures du matin, donc... autant sauter dans le grand bain sans passer par la case pédiluve.
Quand elle pénétra dans le bar, une expression de profond dégoût se dessina immédiatement sur son visage. C'était encore plus écoeurant que tout ce qu'elle avait imaginé... Elle n'eut même pas le temps de balayer la salle du regard à la recherche de sa cible, que les poivrots accoudés au comptoir se tournèrent tous dans sa direction en même temps, comme mus par une même volonté. Un bel esprit d'équipe qui n'avait finalement été déclenché que par les applaudissements tonitruants de la table qui se trouvait près d'elle. En l'espace de quelques secondes, elle se retrouva entourée de plusieurs hommes de corpulence et d'âges différents, mais qu'une chose semblait cependant rassembler : leur taux d'alcoolémie, à en juger par leurs haleines putrides.
- Putain mademoiselle vous êtes bien charmante, je vous offre un verre. Dit-il en la reluquant sans aucune pudeur de son regard lubrique.
A ce moment de notre récit, il est important d'apporter à nos chers lecteurs une petite précision de taille. Notre hackeuse n'avait pas vraiment opté pour la tenue la plus adéquate pour ce genre de circonstances... Vêtue d'une robe moulante en soie rouge vif, fendue le long d'une jambe jusqu'à la cuisse et à l'absence de tissu total jusqu'à la chute de ses reins, on évitera soigneusement d'en rajouter une couche sur la profondeur de son décolleté. Ses longs cheveux lâchés tombaient lourdement telle une crinière soyeuse sur ses épaules. Non... clairement, sa tenue aurait été parfaite pour un cocktail de la haute ou pour une première d'opéra, mais clairement pas pour un bar... encore moins comme celui-ci.
Les mots que lui adressa l'homme sonnaient plus comme une obligation que comme une invitation et, sur le moment, T-Bug faillit l'envoyer paître bien comme il faut, mais elle se rappela instantanément qu'elle était désormais sous couverture, qu'elle jouait sa vie et qu'il convenait surtout de ne pas l'oublier.
- Non merci. Répondit-elle dans un sourire qui se voulait aimable, alors qu'en définitive il était plus crispé à l'idée de ne pas réussir à se retenir de lui coller sa main en pleine face qu'autre chose.
- Alleeeeez fais pas ta timide ! Lâcha-t-il dans un beuglement de veau en rut en lui saisissant le bras.
Et en plus il se mettait à la tutoyer... Non mais on a pas écrit des lignes de codes au berceau ensemble garçon hein. Elle n'eut pas le temps de réagir que l'un des autres hommes qui l'entouraient la saisit à son tour par le bras qui était resté libre de toute étreinte.
- Roh dégage, t'es trop vieux pour elle, tu le vois bien. Elle va venir boire un verre avec moi. Lança-t-il d'une voix pas moins alcoolisée que son homologue en la tirant dans sa direction.
T-Bug était figée sur place comme une statue de cire. Pas tant parce qu'elle était presque coupée en deux, chaque homme voulant l'entraîner avec lui par un bras différent, mais parce qu'elle ne comprenait pas l'étrange sentiment qui était en train de naître dans son corps. Son ventre était noué et son coeur battait bien plus fort que d'ordinaire. Sa respiration était aussi plus saccadée, plus profonde, un peu difficile, comme si elle venait de faire un effort alors qu'en définitive elle n'avait pas bougé.
Dos à la porte, et penché sur la table afin de viser son prochain coup, Chris ne remarqua pas le changement d'expression de son partenaire de jeu, Allan, lorsque Lyra entra dans le bar. Trop focalisé sur son coup, le brun ne remarqua pas non plus le changement d'ambiance au sein du bar, ce qui aurait constitué une grave erreur de sa part, en tant qu'assassin. Mais depuis qu'il était devenu fugitif, il n'était plus à une près. Vêtu d'un simple tshirt noir et d'un jean, il était habillé de façon décontractée, très clairement. Mais il se fondait remarquablement bien dans le paysage. Il tapa dans la boule blanche mais rata son coup de quelques millimètres. Sa langue claqua d'agacement, et il se redressa: - A toi...
C'est alors qu'il vit qu'Allan, la bouche à moitié ouverte comme un poisson hors de l'eau, regardait en direction de la porte de l'Enigma. - Hé ! Qu'est ce qui t'arrive, t'as buggé ou quoi ? - Tu la connais ? Répliqua aussitôt Allan en hochant de la tête en direction de la superbe femme qui venait d'entrer et qui s'enfonçait rapidement dans les ennuis. Le brun se tourna, et l'observa quelques instants: elle était jolie. Très jolie, même. Mais... - Jamais vue... Désolé, vieux... Si tu veux que quelqu'un t'arrange le coup, 'faudra négocier ça avec le rencard qu'elle a probablement, au vu de sa tenue...
Le Corbeau se tourna à nouveau vers la table, puis, appuyé sur sa canne: - Bon, tu joues, ou je dois le faire pour toi ?! On dirait que t'as jamais vu une jolie femme de ta vie, là ! Ils étaient trop loin pour qu'elle les entende. Et entre la musique d'ambiance réglée sur un niveau plutôt faible, et les ennuis dans lesquels elle se noyait à vue d'oeil, il y avait peu de chance qu'elle entende ça. - Attends, elle a l'air d'avoir des problèmes... Chris fit une nouvelle fois volte face et observa la scène qui se déroulait. Un échange de regards avec Alex lui fit comprendre qu'il aimerait bien que le brun intervienne.
Ce fut suffisant pour qu'il se décide. Soupirant, il tendit sa canne à Allan, puis se dirigea vers le groupe. Sans même s'être introduit, il posa une main sur l'épaule du plus agressif du groupe: - Hey ! Je crois qu'elle a dit "non" ! Le groupe de types visiblements morts de faim se tourna d'un air hostile en direction du Corbeau, mais certains se radoucirent aussitôt: ils l'avaient déja vu calmer quelques clients un peu trop "agressifs" par le passé. Et de toute évidence, il était pote avec le barman tenant l'établissement. Malgré tout, les hormones poussèrent l'un d'eux qui ne le connaissait pas, et qui semblait plus alcoolisé que les autres, à défendre son trophée: - Mais de quoi tu te mêles, gamin ?!
L'étudiant tourna son regard en direction de celui qui l'attaquait directement, mais son regard avait changé: il avait l'air plus sombre, plus vif, plus dangereux, peut être, aussi... - C'est très simple: soit vous la laissez tranquille, soit vous n'aurez pas l'occasion de finir vos verres ! Choisissez. Mais choisissez vite ! Ajouta t'il en soutenant le regard du plus agressif. Un des types de la table posa une main sur l'épaule de son ami dans le but de l'apaiser: - Ca va, laisse les ! C'est peut être sa petite amie, en plus... - Sage décision... murmura Chris en proposant à l'inconnue de le suivre alors que les poivrots laissaient tomber, non sans un moment d'hésitation: elle était vraiment jolie, quand même...
Le duo s'avança au sein du bar, et Chris prit immédiatement la parole: - Désolé pour ça... La plupart ont du mal à concilier jolies filles et taux élevé d'alcoolémie. Mais Alex, le barman, est un type très sympa. Il te protègera s'il devait y avoir d'autres problèmes. Sur ce... Je te laisse à ton rencard, on m'attend du côté du billard, lui dit il dans un sourire et avec un signe de main amical avant de s'éloigner. Son comportement avait radicalement changé entre l'instant où il avait menacé les types qui l'avaient encerclée, et l'instant où ils s'étaient retrouvés tous les deux. Souriant, gentil, agréable. Presque comme s'il s'agissait de deux personnes différentes, en fait. Malheureusement pour elle, et considérant son erreur de tenue, il était parti du principe qu'elle était venue pour un rendez vous, et il la laissa seule une fois qu'ils eûrent atteint le comptoir du bar.
Son erreur de code vestimentaire allait peut être coûter plus cher à Lyra qu'elle ne le soupçonnait, en fin de compte...
Une voix l'extirpa de l'étrange léthargie dans laquelle elle s'était plongée, plus concentrée sur le fait de comprendre les différentes sensations qui parsemaient son corps, plutôt que l'action autour d'elle. Elle la reconnut instantanément, avant même de lever les yeux vers son propriétaire. Pour avoir écouté et réécouté mille fois des enregistrements, afin d'en reconnaitre le timbre dans le noir, de dos, à plusieurs mètres si cela était nécessaire, elle n'eut aucun doute quant à l'appartenance de la voix masculine qui venait d'intervenir.
Ses prunelles balayèrent la scène qu'elle observa avec une attention anthropologique. Dans un sens... pour l'instant du moins, il n'était pas sans lui rappeler Falcon quelque part. Il restait encore à vérifier qu'il était aussi belliqueux et imbu de sa personne que l'autre, ce que les informations transmises quant à ses traits de caractère ne semblaient pas corroborer par ailleurs. Mais d'ores et déjà, ils avaient pour l'instant un énorme point en tout cas : cette autorité naturelle qui caractérisait Falcon et, sans le moindre doute, le Corbeau aussi. Etait-ce un gêne commun à tous les Soldats ? Probable.
Elle fixa ce combat de coqs d'un air perplexe. C'était donc ça... la rivalité masculine dès lors qu'une femme entrait dans la partie ? C'était un peu pathétique tout de même. Mais il fallait cependant reconnaitre que son intervention tombait à pic et arrangeait clairement ses affaires. Tout autant pour se débarrasser d'eux que pour nouer un premier contact avec lui. Par contre, cela illustrait plutôt bien ce qu'on lui avait dit de lui : trop sentimental.
Ses paupières se froissèrent presque imperceptiblement, alors qu'elle dévisageait très attentivement le brun dont la nature du regard venait de changer. Elle s'était formatée pendant des mois pour lâcher la sale habitude qu'elle avait de dévisager les gens pendant de trop longues minutes parfois. Avec lui il fallait à tout prix l'éviter. D'une part parce qu'il avait fait partie bien trop longtemps de la faction Soldats et, de fait, était très sensible à son environnement. D'autre part, parce qu'en tant qu'assassin il avait appris à analyser certains signes et le dévisager trop longtemps risquait d'attirer son attention beaucoup plus vite que celle de la majorité des gens.
Mais là il jouait à savoir qui avait la plus grosse, elle estima donc qu'elle pouvait se permettre de le dévisager un peu plus longuement. Et ce qu'elle lut sur ses traits ne laissa aucune place au doute. Il était peut être le plus moralement mou des Enfants terribles, il restait encore l'un d'entre eux, à n'en point douter. Il n'avait rien perdu de la superbe qui les caractérisait tous et la lueur qui brillait à ce moment précis dans son regard en dévoilait long sur ses capacités. Il allait être un problème... peut être plus important que ce qu'elle avait supposé jusqu'à maintenant.
- Désolé pour ça... La plupart ont du mal à concilier jolies filles et taux élevé d'alcoolémie. Mais Alex, le barman, est un type très sympa. Il te protègera s'il devait y avoir d'autres problèmes. Sur ce... Je te laisse à ton rencard, on m'attend du côté du billard
- Je... euh... quoi...? Balbutia-t-elle en clignant des yeux comme s'il venait de la réveiller.
Lorsqu'elle partait dans ses analyses, T-Bug se déconnectait totalement de son environnement. Sa voix venait une nouvelle fois de la ramener à l'instant présent, mais une zone d'ombre embrouilla instantanément son cerveau. Rencard ? Hein ?
- Attends ! Lâcha-t-elle vivement en saisissant son bras, alors qu'il ne s'était éloigné que d'un pas ou deux.
Oh mais tu crois aller où comme ça au juste ? Elle ne va clairement pas te laisser filer, pas avec une si belle opportunité. Ne compte pas là-dessus. Oui mais... La main accrochée à son bras comme l'on attraperait un tronc d'arbre pour éviter d'être emporté à la dérive, T-Bug ne pouvait pas mieux porter son surnom à cet instant. Les pieds ancrés au sol, elle se figea sans rien ajouter de plus, comme interdite. Rencard... rencard... elle connait ce mot... Mais nom de dieu qu'est-ce que c'est déjà... Ils en ont parlé en plus, elle en est sûre et certaine. Foutues interactions sociales !!!
- En fait je...
Ses joues s'empourprèrent violemment, plus par la pression qu'elle subissait à cet instant, que par une gêne tout autre, même si, en l'occurrence, cela pourrait tout à fait être interprété ainsi. Ce qui l'arrangerait, cela va sans dire. Car si il ignorait tout d'elle, elle connaissait tout de lui. Il ne savait pas les dangers qu'il encourait, par contre elle connaissait parfaitement les risques de son côté. Et, en définitive, ça changeait pas mal la donne. Oh elle n'avait pas peur de mourir, les Enfants terribles n'éprouvaient pas ce genre de sentiments. Mais elle aimait plutôt bien sa vie et avait dans l'idée de ne pas la voir s'achever tout de suite. Elle pesta intérieurement. Elle leur avait bien dit qu'une mission impliquant des relations avec les autres allait être complexe. Mais bon, elle était trop vaniteuse pour imaginer qu'elle pourrait échouer.
- En fait, non, pas du tout. Finit-elle par lâcher dans un soupir.
Fort heureusement, dû à la pression du moment peut être ou à tout autre chose encore, elle venait de se rappeler d'un coup la signification du mot rencard. Elle retint de justesse une grimace de dégoût. Un rencard... c'est la première chose qu'il avait pensé à la voyant... mais quelle idée. D'ailleurs... à bien y réfléchir... cela lui permettait de rebondir.
- Pourquoi est-ce vous... est-ce que tu penses que j'ai un rencard ?
Et en plus il l'avait tutoyée, ce dont elle ne s'était rappelé qu'au moment de parler. Se fondre dans la masse on a dit... Ok mais alors... quelle plaie. Les échanges avec les autres -et ce genre de situation par ailleurs- lui étaient tellement peu familières, qu'elle n'avait même pas pensé à le remercier. Ce qui se faisait dans les interactions sociales... c'était bien la seule chose qu'elle avait intégré pourtant. Un remerciement et un gage de considération faisaient toujours leur petit effet parait-il. Elle balaya rapidement la pièce des yeux à la recherche du dit gage de considération, et tomba sur l'étagère qui portait tant de bouteilles de couleurs différentes qu'elle aurait pu s'en rompre. Eh bien voilà... Si en plus il était vraiment devenu alcoolique, l'engager à boire un peu plus pourrait s'avérer payant. Ca se trouve... avec un peu de chance... demain elle serait chez elle.
- Laisse-moi t'offrir un verre pour te remercier. Lui dit-elle dans un sourire adorable, à en faire fondre la glace de tous les pôles.
Et même si cela venait de lui demander un effort limite surhumain -ce qu'elle était, ça tombe plutôt bien-, chassez le naturel et il revient au galop comme l'on dit. Ainsi ne lui laissa-t-elle qu'à peine le temps de répondre, sa main glissant du haut de son bras vers son poignet qu'elle agrippa en l'entraînant vers une petite table bien à l'écart de tout le tumulte assourdissant qui régnait près du comptoir, de la porte d'entrée et du billard.
Il s'éloignait déja, il avait déja classé l'affaire. Maintenant qu'elle était en sécurité, son rôle était terminé. Et il ne voulait pas avoir l'air de draguer alors que Lily avait pris la peine de travailler durant l'été. De travailler... pour une raison qui lui était toujours inconnue, par ailleurs. Aussi, Chris fit demi tour pour se diriger vers les tables de billard. Jusqu'à ce que...: - Attends ! Elle attrapa soudainement son bras et ils se retrouvèrent côte à côte dans une proximité que l'assassin n'apprécia pas vraiment. - Qu'est ce qui t'arrive ? Lui demanda t'il, sourcils haussés de surprise.
Elle avait l'air stressée, presque paniquée, ce qui éveilla l'instinct dormant du Corbeau. En fait, à bien y regarder, elle avait l'air perdue, tout simplement. La façon dont elle était vêtue ne correspondait pas vraiment à l'endroit. - En fait je... Il pencha la tête sur le côté, tentant de comprendre son problème: - Tu... ? L'encouragea t'il à poursuivre d'un ton bienveillant. - En fait, non, pas du tout. Cette phrase sortie un peu de nul part surprit encore plus l'étudiant. Il ne comprenait pas ce qu'elle voulait, et tenta de dégager son bras, ce qui lui rappela la proximité soudaine qu'il avait avec elle, en ressentant une partie de sa poitrine. Il préféra alors ne pas bouger davantage, mais il n'était pas à l'aise. Une lueur étrange flotta dans son regard l'espace d'un instant pendant que l'inconnue semblait chercher désespérément ses mots. - Pourquoi est-ce vous... est-ce que tu penses que j'ai un rencard ?
Décidément, ce dialogue devenait de plus en plus irréaliste aux yeux du brun. Ceux ci s'étrécirent sous l'effet de la surprise, une nouvelle fois, puis il se tourna complètement vers elle, cette fois: - Bah... C'est à dire que tu t'es mise sur ton 31. Et c'est pas vraiment le genre d'endroit où on fait ça. Donc deux possibilités: soit tu es venue pour un rencard... soit tu t'es perdue et tu cherches désespérément ton chemin, conclut il finalement.
Une nouvelle fois, la jeune femme joua de ses charmes sur lui dans le but de lui offrir un verre. S'il avait été célibataire, il aurait foncé sans hésiter. Mais pas de chance pour elle, les choses allaient s'avérer un peu plus compliquées... - Je... Non, écoutes, on est en pleine partie, là, et... Mais il ne put pas finir sa phrase que déjà, elle l'attirait avec elle à l'une des tables les plus isolées de la salle. Un regard furtif vers son compagnon de jeu lui révéla qu'il semblait à la fois agacé et excité pour lui que Chris puisse boire un verre avec une créature pareille. Il lui fit de grands gestes depuis la table de billard pour l'encourager, que Lyra ne vit jamais, étant de dos.
Alors, le Corbeau s'assît en face de l'inconnue. Il avait cette lueur dans le regard... comme lorsqu'on s'apprête à tenter de convaincre une assemblée en faisant une présentation, et que l'assemblée en question n'était pas convaincue. Il ne comprenait toujours pas ce qu'elle lui voulait, et surtout, il ne comprenait toujours pas ce qu'elle était venue faire habillée de cette façon. Si elle voulait boire un verre avec lui, il était peu probable qu'elle soit là pour un rencard. Alors, pourquoi ? - D'accord... Un verre, dit il finalement avec un sourire qui n'était pas naturel. Mais tu n'étais pas obligée, tu sais. C'est pas parce que je suis intervenu à cause du groupe de cas soc' que...
Sa tenue... évidemment. Si elle avait été quelqu'un de normal, elle aurait su immédiatement qu'elle ne convenait absolument pas à ce genre d'endroits. Mais elle était tout sauf normale et elle allait bien devoir s'en accommoder dans ce nouveau monde qui était désormais le sien pour un temps qui allait être trop long -quelle que soit sa durée in fine-. L'heure n'était pas -encore- aux explications, qu'elle n'avait toujours pas trouvées par ailleurs. Ici, il convenait déjà de parvenir à le retenir. Dans un premier temps c'était l'essentiel. Car si elle n'y parvenait pas, les choses seraient probablement autrement plus compliquées par la suite. Cela aussi, faisait partie des choses qu'elle avait bonant malant réussi à intégrer pendant son apprentissage. La première impression est essentielle. Si tu rates ton entrée, ça complique tout. Se focaliser sur ça était la clé, le reste elle verrait après.
Faisant donc fit de ses objections, qui moururent en même temps que sa détermination à rejoindre son billard visiblement, elle finit quand même par faire en sorte qu'il la suive. Elle n'avait absolument aucune conscience de l'attrait que pouvait avoir un homme pour une femme, surtout quand elle était vêtue de la sorte et qu'elle était agréable à regarder. Ce genre de concepts lui étaient parfaitement étrangers, alors autant dire qu'elle n'avait pas à l'esprit d'user de ce genre de méthodes pour l'amadouer. A vrai dire... ça ne lui serait sans doute jamais venu à l'esprit. Peut être que plus tard, elle réaliserait à quel point le corps féminin pouvait faire tourner bien des têtes, de n'importe quel sexe par ailleurs. Mais certainement pas maintenant, alors qu'elle débarquait fraîchement de sa prison dorée.
Elle posa ses coudes sur la petite surface de bois et se mit à le dévisager, encore. Ses prunelles aux reflets d'automne ne le quittaient pas des yeux et ce n'est qu'au bout de quelques secondes qu'un warning "ARRÊTE" sonna dans son esprit. Elle papillonna donc rapidement des cils et posa la main sur son front en fermant les yeux, tout en soulevant l'épaisse frange brune qui le recouvrait d'ordinaire. Les évènements tournaient en sa défaveur. Car s'il y avait bien quelque chose qu'elle reconnaissait en lui, sans nul doute, c'était la profondeur de son regard. Il avait un doute, déjà. Il la toisait de cette façon si particulière, vraiment propre aux Soldats, de celle qui se meut de surprise à interrogation puis suspicion. Il fallait impérativement qu'elle rattrape le coup, sinon elle allait griller sa couverture.
- Ok... alors... Commença-t-elle en extirpant un soupir.
Les paupières toujours closes, elle venait de prendre une décision. Au diable leur cours tout moisi, au diable les 10 mois d'entraînement inutiles pour faire d'elle quelqu'un de sociable. Qu'ils s'étouffent avec leur méthode à deux balles, elle allait suivre la sienne et principalement celle de son instinct. L'improvisation avait été son plus gros succès de la soirée, elle allait donc poursuivre dans cette voie et advienne que pourra. De toutes façons, elle était trop peu douée dans l'art de la manipulation et des faux-semblants, et lui trop sur ses gardes, pour que ça passe comme une lettre à la poste. Elle allait donc jouer la carte de l'honnêteté. Et le faire de telle manière qu'en lui disant la vérité, elle risquait précisément de ne pas attiser ses soupçons.
- Ne te moque pas d'accord... Lâcha-t-elle d'un air un peu dépité, alors que ses prunelles brillantes apparaissaient de nouveau sous ses paupières.
Ce n'est pas par ce qu'elle allait être honnête, qu'elle ne pouvait pas en rajouter un peu... quand même.
- En fait je... ne suis pas très douée avec les gens. Je n'aime pas les interactions sociales, je préfère de loin rester derrière mon ordinateur. C'est une barrière disons... confortable.
Elle fit une courte pause alors que le barman venait de rejoindre leur table pour prendre leur commande. Et si elle perçut l'oeillade fort peu discrète qu'il lança en discrétion du faux Chris, ne comprit-elle absolument pas à quoi elle rimait.
- Ce que vous voulez pour moi... du moment que c'est sans alcool.
Mieux valait éviter de boire. Déjà, elle n'avait jamais bu une goutte d'alcool de sa vie, mais en avait assez étudié les effets que pour savoir qu'en absorber serait une bien mauvaise idée. Elle reporta son attention sur le brun, esquissant un bref sourire avant de poursuivre.
- En fait je viens juste d'arriver à Londres, je ne suis pas de la ville et même pas du pays. Je vivais en France jusqu'à présent. Et comme je n'ai jamais été très douée avec les gens, comme je te le disais, et que mon truc c'est l'informatique, je passais le plus clair de mon temps à gérer les missions que me donnaient mes clients depuis chez moi. Je ne voyais personne et ne sortais que peu, ça a toujours été comme ça. Mais ça m'allait bien hein. Dit-elle en le pointant de l'index, comme pour le dissuader de la prendre en pitié.
Manquerait plus que ça tiens... Ceci étant, elle se sentait de plus en plus à l'aise et de moins en moins confinée dans l'idée de griller sa couverture. Car, à quelques petits détails près, elle était finalement en train de lui balancer presque toute la vérité. Et de pouvoir parler librement, sans se donner un style qui ne lui convenait absolument pas, était plus facile pour elle, donc elle était de fait beaucoup plus naturelle.
- J'ai économisé pendant quelques années, je voulais me payer des vrais cours d'informatique et j'ai entendu parler d'une école ici qui prodigue des cours de qualité. Du coup voilà comment j'ai débarqué... Et quand j'ai quitté la France, l'un des mes clients, qui connaissait très bien mon... disons... petit souci avec les interactions sociales, m'a offert quelques vêtements en me disant de les porter lorsque je sortirai à Londres, que ça m'aiderait. T'as raison... Et parmi eux il y avait cette hum robe... Dit-elle en relâchant un nouveau soupir.
Le barman revint avec leurs boissons. T-Bug vida son verre d'une traite, visiblement assoiffée, car elle n'avait jamais autant parlé à qui que ce soit d'un même élan, puis recommanda la même chose, l'homme n'ayant guère eut le temps de s'éloigner avec la descente dont elle avait fait preuve.
- Donc vu ta réaction et celle de ces... types, j'en déduis que ce n'est pas la tenue qui convient pour ce genre d'endroit, n'est-ce pas ? Je suis censée porter quoi alors ? Elle pointa de nouveau son index dans sa direction et lui adressa quelques mots d'un ton renfrogné. Souviens-toi, ne te moque pas !
D'abord la demoiselle en détresse pour éveiller en lui son côté protecteur, puis la gratitude compensatoire pour qu'il imagine qu'elle se sent redevable, les confessions intimes pour lui donner un rôle d'importance et en profiter pour caser ses études mine de rien, et enfin, le placer en situation de celui qui va lui apprendre quelque chose pour qu'il se sente dominant. Finalement... sur certains points elle apprenait peut-être plus vite que prévu.
- Je m'appelle Lyra. Lui dit elle dans un franc sourire en tendant la main vers lui.
Il allait falloir qu'elle le touche... encore une fois... quel enfer.
Un long moment de silence s'installa entre les deux agents lorsqu'ils se furent assis, face à face. Un trop long moment de silence, en fait. Sans rien dire, Chris observa la jeune femme alors qu'elle commençait à lui parler de sa vie, d'un seul coup, sans même le connaître. Il hocha doucement de la tête, celle ci étant posée contre sa main, et il la détailla alors qu'elle semblait chercher ses mots et être un peu nerveuse. - En fait je... ne suis pas très douée avec les gens. Je n'aime pas les interactions sociales, je préfère de loin rester derrière mon ordinateur. C'est une barrière disons... confortable.
Pourquoi sortir, dans ce cas ? Et surtout, pourquoi sortir dans un bar ?!! Le Corbeau conserva une pokerface, mais il pensa ces mots très très fort. Soudain, le barman s'approcha pour commander, et: - Comme d'habitude, pour toi, Chris ? Celui ci sembla hésiter un instant: il avait déja pris un verre quelques minutes plus tôt et son instinct lui hurlait de faire attention. Malgré tout... - Euh, oué, merci Alex ! - Ca roule ! Là dessus, le barman s'éloigna et les deux jeunes gens se retrouvèrent à nouveau seuls.
A nouveau, l'étrangère lui expliqua ce qui lui était arrivé récemment. Elle se lança dans une longue description de son parcours sans vraiment que le Corbeau ne comprenne pourquoi elle lui parlait de ça à lui. En fait, il eût la sensation qu'elle avait désespérément besoin de parler, comme si elle venait de se faire larguer ou quelque chose dans le genre. Ou alors... Elle ne disait pas la vérité... - ...Je ne voyais personne et ne sortais que peu, ça a toujours été comme ça. Mais ça m'allait bien hein. Mais pourquoi lui raconter tout ça à lui ?! - ...Et parmi eux il y avait cette hum robe... Pourquoi parler de ça à lui et maintenant ?! Cette question restait bloquée dans le crâne du brun sans qu'il comprenne où elle voulait en venir. - La robe te va très bien. C'est simplement un problème de contexte, lui dit il alors d'une voix neutre pour bien faire comprendre qu'il n'essayait pas un tour de drague.
D'accord, elle n'était pas douée socialement. D'accord, elle s'était plantée de vêtements. Mais ça n'expliquait pas... - Pourquoi es tu venue ici ? Lui dit il soudainement d'une voix interrogative en la fixant les yeux dans les yeux, avant qu'Alex ne revienne avec leurs verres. Le brun le remercia d'un hochement de tête et d'un léger sourire alors que l'inconnue vidait son verre d'une traite. - Je veux dire: choisir de sortir seule dans un bar, pour une fille, plutôt jolie comme toi, en plus, c'est pas courant. C'est même plutôt rare, en fait. Surtout si tu as des problèmes d'intéractions sociales. Qu'est ce qui t'a menée ici, ce soir ? Insista Chris avant d'en rajouter une couche. Pourquoi sommes nous en train d'avoir cette conversation, en fin de compte ?
Elle lui demanda finalement comment elle aurait dû se vêtir, et le Corbeau ourla un sourcil, dubitatif. Il cherchait une réponse à lui donner, un peu pris de court, lorsqu'elle se présenta à lui, à un moment un peu étrange de la conversation. Son regard de brume fixa sa main quelques instants, avant de lui serrer la main. Puisqu'elle avait des problèmes au niveau social, il choisît de ne pas retenir cette bizarrerie. Néanmoins, quelque chose ne collait pas avec cette fille. Il ne savait pas encore dire quoi, mais... - Enchanté Lyra ! J'm'appelle Chris, répondit il poliment avant de prendre une gorgée de son verre de Tequila Sunrise.
Il en profita pour réfléchir quelques secondes, puis: - Bon... Pour tes problèmes de code vestimentaire, je ne suis pas un pro dans le domaine... Je veux dire... Regarde moi, lui dit il simplement. Il était vrai que son jean et son tshirt noir étaient vraiment très simples. Il n'avait pas fait d'effort particulier. - Ce qu'il te faut, ce sont des amies femmes. En plus, tu auras beaucoup plus de facilité à parler de ce genre de chose avec d'autres femmes, plutôt qu'avec un mec que tu croises par hasard dans le premier bar venu. Je ne suis pas sûr de pouvoir t'aider. Mais tu trouveras ça facilement à la rentrée des classes, conclut il avec gentillesse. Fais toi quelques amies, et ça ira tout seul.
Il aurait pu réagir lorsqu'elle avait parlé d'une école. Il aurait également pu lui dire qu'il avait une fille géniale à lui présenter. Mais trop de détails lui soufflaient d'être prudent. Et dans ce cas, il n'était pas question que Lily soit mêlée de près ou de loin à cette inconnue. Pas tant qu'il n'en saurait pas davantage, en tout cas...
La grimace qu'elle faillit laisser échapper se transforma en sourire de justesse. Non mais ça... elle avait bien compris que c'était le contexte qui péchait. Elle était peut être une handicapée totale dès lors qu'il était question de relations avec les autres, mais elle n'était pas pour autant complètement sotte. Loin de là d'ailleurs. Elle ne releva même pas le compliment tant il lui passa à mille lieux au-dessus de la tête.
Et c'est là que le déluge de questions s'abattit, indiquant très clairement qu'elle ne l'avait toujours pas convaincu. Il restait dubitatif, sur ses gardes et une question martelait ses lèvres sans discontinuer : pourquoi.
- Et pourquoi ai-je l'impression d'avoir été soudainement téléportée dans une salle d'interrogatoire de la gestapo ? je t'offre un verre pour te remercier et tout ce que tu te trouves à faire c'est de m'attaquer comme si j'étais une repris de justice ? Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Lui lança-t-elle du tac au tac, d'un air faussement choqué.
Semer la graine du doute quant au fait qu'il tombait trop dans la parano pouvait marcher. Quoi qu'il en soit, il allait devoir se calmer le garçon. On l'avait pourtant prévenue... et elle l'avait aussi parfois constaté. Les mecs ne comprennent jamais les sous entendus. C'est quand même dingue. Quelle bande d'empotés. Elle extirpa un nouveau soupir puis posa ses coudes sur la table. Fichant son visage entre ses paumes, elle le fixa dans les yeux tout aussi profondément qu'il le faisait avec elle depuis quelques secondes. S'il pensait l'impressionner avec son regard de braise, c'était raté. Non mais pour qui il se prenait ce piaf de pacotille. Pour un peu elle en aurait presque oublié pourquoi elle était là.
- Parce que dans quelques jours c'est la rentrée de l'Université. Dans quelques jours je vais être avec des centaines et des centaines de personnes. Et qu'il m'a semblé pertinent de tester l'eau tiède avant de plonger la tête la première dans une eau à 40°. Je suppose que tu saisis la différence de nombre entre un bar et une université tout de même. Et quant au choix du lieu, j'ai choisi le premier que j'ai croisé et puis j'avais soif donc... Lâcha-t-elle d'un ton plus agacé qu'elle ne l'aurait voulu.
Elle le toisa quelques secondes d'un air incrédule. Véritablement incrédule pour le coup.
- Et... en quoi est-ce un problème qu'une femme aille dans un bar seule ? Je ne comprends pas.
T-Bug le toisa d'un air plat. Elle semblait véritablement ne pas comprendre et en définitive c'était bel et bien le cas. Comment l'aurait-elle pu ? C'était la première fois de toute son existence qu'elle mettait les pieds dans un endroit comme celui-ci. Elle ne pouvait qu'à peine imaginer qu'une femme seule courait un certain nombre de dangers, bien réels. Comment quelqu'un qui passait sa vie vissé derrière un écran, pourrait saisir toute l'étendue du danger de la vie à l'extérieur ? Bien sûr, sur le papier elle savait tout ça. Mais elle ne le mettait pas en pratique. C'était presque comme si ces informations, ces "choses" très réelles pour certains, restaient de l'ordre de la fiction pour elle.
- Pourquoi sommes-nous en train d'avoir cette conversation ? Parce que j'essaie de faire des efforts pour être sympa, pour communiquer, pour te remercier de ton intervention de toute à l'heure, et que tu ne me facilites clairement pas la tache.
Elle fit un effort incommensurable pour se présenter avec plus de douceur et lui tendre la main en signe de bonne volonté, mais elle était désormais clairement renfrognée. C'est la première fois qu'elle était aussi contrariée. A croire que ce Corbeau de malheur avait un don pour énerver son entourage. C'est sans doute ce qui avait tué les escouades précédentes d'ailleurs : ils étaient tous mort d'exaspération aigüe.
- Si ça va tout seul comme avec toi, j'ai comme l'impression que je ne suis pas sortie de l'auberge. Et après on s'étonnera que je n'aime pas les interactions sociales. Dit-elle sèchement en repoussant sa chaise et en se levant.
Elle était à deux doigts de verser tout le poison de la fiole de son sac dans son verre dès qu'il aurait le malheur de regarder ailleurs. Or ça n'était ni le lieu, ni le moment. Elle avait besoin de temps, d'informations et pas d'agir dans la précipitation. Comme elle était d'ordinaire d'un calme placide et que ce calme était doucement mais sûrement en train de s'étioler comme peau de chagrin, mieux valait s'en aller avant que ça ne dégénère.
- Merci pour ta compagnie si sympathique. Acheva-t-elle d'un ton plus morne en se détournant.
Voilà, elle le savait bien que c'était une idée de merde. Mais quelle idée de sortir franchement. Elle n'était pas prête pour ça, pas encore.
Une des armes préférées du Corbeau, notamment lors des interrogatoires qu'il avait eu à gérer dans sa jeunesse. Le concept était simple: provoquer celui d'en face pour déclencher une réaction. Et en fonction de cette réaction, parfois, il se faisait une meilleure idée de la personne. Parfois, pas du tout. Mais cette fois ci, son petit test donna très vite des réactions intéressantes de la part de notre petite diva du clavier. "parce que je n'ai aucune raison de te faire confiance". Ces mots apparurent dans son esprit, comme un flash, mais il ne répondit rien, dans un premier temps. Le silence pouvait être aussi déroutant qu'une attaque directe.
Elle était de plus en plus agacée, il le sentait. Elle tentait de se contenir. Pourquoi ? Elle ne le connaissait pas, et ne lui devait rien puisqu'il l'avait déchargée de toute dette quelques minutes plus tôt. Donc, cela signifiait certainement qu'il y avait une zone d'ombre. Intéressant... Prenant ses aises pendant qu'elle déchargeait ce qui lui sembla être de la frustration, il tira une cigarette qu'il mit à ses lèvres avant de l'allumer en utilisant son zippo en argent fétiche. Jusqu'à ce qu'elle s'attaque à nouveau à lui: - Et... en quoi est-ce un problème qu'une femme aille dans un bar seule ? Je ne comprends pas. - Je n'ai jamais dit que c'était un problème, rétorqua t'il du tac au tac d'un ton cependant extrêmement calme. J'ai dit que c'était rare, vêtue comme tu l'es. Ca n'a rien à voir.
Il expira la fumée de sa cigarette, avant de poursuivre: - Je veux dire: tu es rentrée, et il n'a pas fallu plus de cinq secondes pour que le groupe de cas soc' en face ne veuille t'attirer à sa table. Les filles comme toi, particulièrement lorsqu'elles sont mal à l'aise en public, ne font pas ce genre de chose, justement pour s'éviter les ennuis que tu as eus. Il ressemblait davantage à un prof' expliquant à son élève où il avait fauté, en cet instant. Ce qui était assez bizarre, dans la mesure où il était en train de discuter avec une véritable bombe canon.
Elle lui reprocha alors de ne pas lui faciliter la tâche, ce à quoi il répondit aussitôt: - Je n'ai pas de raison de te faciliter la tâche, je regrette. Le ton de sa voix avait brutalement changé. Il était plus froid, moins gentil et patient avec elle, et son regard semblait l'observer à chaque seconde davantage. - Si ça va tout seul comme avec toi, j'ai comme l'impression que je ne suis pas sortie de l'auberge. Et après on s'étonnera que je n'aime pas les interactions sociales. - Ne t'inquiètes pas, tout le monde n'est pas comme moi, lui dit il sans donner de détails pour autant.
Il la poussait à la faute. Quelque chose dans son comportement l'avait très rapidement mis sur la défensive. Et une fois sa paranoïa active, il était compliqué de récupérer sa confiance. Elle était de plus en plus sèche, de plus en plus agacée. Quelque part, son comportement lui fit penser à une enfant gâtée qui n'aurait pas eu ce qu'elle voulait. Mais il n'y avait pas que ça... - Merci pour ta compagnie si sympathique, Lança t'elle, visiblement en mal de solutions pour poursuivre la conversation. - Je ne suis pas là pour te tenir compagnie, je suis désolé, répondit il en expirant une nouvelle fois sa fumée. Je t'ai aidée lorsque tu es tombée dans le piège de ces mecs à l'autre table, mais je ne suis pas à ta disposition pour autant.
Sa voix était moins froide que quelques secondes auparavant. Mais de toute évidence, il avait fermé les écoutilles. Il serait compliqué d'obtenir quoi que ce soit de sa part, à présent. - Tu devrais plutôt essayer une terrasse de café, un après midi, ou quelque chose dans le genre, pour te préparer mentalement à l'université, lui dit il en se levant, cigarette aux lèvres et mains dans les poches. Je te remercie pour le verre. Oh, et... Lyra ? Moins extravagante, la tenue, quand tu tenteras une terrasse de café ! Ajouta t'il en la saluant d'un geste de la main alors qu'il s'éloignait en direction des tables de billard afin de poursuivre sa partie.
Il n'était pas convaincu. Et il n'avait rien à gagner à poursuivre cette conversation. Il avait une petite amie, et cette Lyra lui renvoyait une drôle de sensation. Il pensa même qu'elle l'avait peut être fait exprès, de se retrouver en position de demoiselle en détresse, afin qu'il intervienne et qu'une conversation s'engage entre eux. Elle n'avait pas pris d'alcool, non plus. C'était un détail, mais il l'avait noté. Mieux valait éviter tout risque et s'arrêter là...