Erika était au beau milieu d’activité la plus anodine qui soit : dormir. Activité qui ne dura malheureusement pas aussi longtemps que souhaité. Le soldat songea en se levant qu’il faudrait inventer une boisson suffisamment forte pour compenser les heures de sommeil manquante. À défaut, il s’approcha de son petit miroir de chambre de bonne, ayant l’impression que quelque chose, extérieur à sa fatigue chronique, n’était pas normal. Effectivement, ses cheveux avaient disparu. Envolée, sa tignasse certes rebelle mais qu’il tressait fièrement chaque matin. Enfin, pas tout à fait : disons que sa chevelure qui lui arrivait la veille en bas du dos s’était transformée en une multitude de mèches trop courtes ne serait-ce que pour lui cacher les oreilles.


(Vous allez sans doute vouloir lui dire « y’a pas que ça qui a changé, je crois, Erika, c’est sans doute même le moins choquant ». Sauf que non, vous ne pouvez pas, c’est un personnage de fiction et une mise en scène pour une épreuve d’interforum.)


Erika refusa de faire quoique ce soit d’autre que de trouver une solution à ce problème. Oubliée cette idée de boisson énergisante, le jeune homme décida d’en faire part aux Brigades Spéciales, la police des Murs, qui seraient sans doute habilitées à l’aider. Ce serait sans doute assez facile dans la mesure où il travaillait lui-même là-bas. Bah oui.

Arrivé au Quartier Général, le soldat raconta son désarroi à la Caporale Anderson, dont les magnifiques cheveux blonds le rendaient vraiment jaloux, et une cellule de crise fut aussitôt ouverte. Les plus hautes-gradées se réunirent en vitesse, et Erika fut touché que son problème soit pris à cœur de cette façon. Cependant, le débat dévia rapidement au sein de cette assemblée militaire à majorité féminine, et les différentes cheffes, lieutenantes et générales commencèrent à établir un nouveau menu à soumettre au cantinier de la caserne, qui servait tous les jours la même chose. Mais alors que la majorité venait de se mettre d’accord sur un sauté de bœuf accompagné d’une sauce à la crème et aux truffes, une voix demanda s’ils avaient suffisamment de budget. Les conversations se turent. Quelqu’un pleura. La réunion fut clôturée et on envoya Erika se faire foutre avec son histoire de cheveux.

Le chef d’escouade partit alors déjeuner, on lui servit une ration militaire médiocre et il s’installa à table avec sa collègue Soé, à qui il put se plaindre en long, en large et en travers (il y a des choses qui ne changent pas). Après avoir vidé son sac, Eri décida de faire son deuil, prenant exemple sur sa camarade qui semblait, elle, avoir fait le deuil de la simple idée de se coiffer. Après tout, des cheveux ça repousse, pas la peine d’en faire tout un plat comme pendant la réunion de la matinée. En se grattant le menton, le jeune homme demanda conseil quant au fait d’en profiter ou non pour se laisser pousser la barbe.

La conversation des deux amis se poursuivit de bon train. Elle embraya sur un soldat de première classe – « mais siiii, tu sais, un grand roux avec des taches de rousseur » - qui avait quitté les rangs de l’armée quelques mois plus tôt en raison de sa grossesse, et qui donc avait accouché récemment d’un bébé en pleine santé.

Et, sans raison apparente, la table à laquelle ils étaient installés devint le centre d’attraction du réfectoire en raison d’un tournoi de bras de fer qui venait de démarrer sans que personne ne sache pourquoi. Mais ça n’avait pas d’importance, puisqu’il avait été décidé que le grand gagnant prendrait les corvées de tous les participants. Erika se retrouva malgré lui entrainer dans tout ça, mais sa fierté le poussa à montrer qu’il contrôlait parfaitement la situation. Il se concentra, fixant son adversaire dans les yeux. Puis, à l’instant où l’on donna le top départ de l’épreuve, il se souvint qu’il n’avait pas remis les pieds dans un camp d’entrainement depuis dix ans. Son bras s’écrasa violemment contre la table. Personne ne sut le craquement sonore qui résonna venait de la table ou du poignet, et Eri ne sut s’il devait être content ou non d’avoir perdu. Mais tout le monde fut d’accord pour l’envoyer à l’infirmerie. Il laissa donc Soé derrière lui car, elle, était bien décidée à remporter le tournoi.

Le pôle médical était bondé de monde, essentiellement des curieux venus voir les malades et les blessés. L’infirmier rassura rapidement Erika sur le fait que son poignet n’était que légèrement foulé. Il lui prescrit tout de même, au cas où, parce qu’on ne sait jamais et que le risque zéro n’existe pas, un an de repos complet. Satisfait, le jeune homme se fraya un chemin dans la foule pour sortir et rentrer chez lui.

Sur ce, il partit se coucher, à une heure tout à fait normale de la journée pour lui (il y a des choses qui ne changent pas – bis), songeant à toutes les choses qu’il n’allait pas devoir faire les prochains mois.


Sauf que non, Erika. Tu te réveilleras dans ton corps de femme, aussi indifféremment que tu as rêvé te réveiller dans un corps d’homme. Tu trouveras ton songe bizarre, mais ne tardera pas à l’oublier comme les autres, à l’exception du fait de pouvoir dire à Soé que tu as été au moins une fois plus grande que lui. Mais ça encore, ça passera au second plan par rapport à la déception de devoir aller travailler.