Quelques éléments de contexte:

La nuit tombe doucement sur une ville encaissée entre deux montagnes. Déjà les ombres s’allongent et les lanternes s’allument l’une après l’autre pour chasser les ténèbres. C’est une heure particulière que celle qui précède la tombée de la nuit. Une heure entre chien et loup, où plutôt une heure ou les chiens deviennent des loups.

Enragés de ne pas avoir réussi à attirer l’attention des passantes pendant la journée, ils cherchent une proie plus ou moins consentante pour passer la soirée en bonne compagnie.

Regardez, le premier passe à l’offensive. Il a le visage ingrat, l’œil bovin et un équipement qui prouve qu’il ne sort pas beaucoup des zones sécurisées. Pourtant, cela ne l’empêche pas d’arborer un sourire arrogant comme on porte un bijou de famille.

Il pose une main de propriétaire sur l’épaule d’une jeune fille à la silhouette si fine qu’un simple coup de vent pourrait réussir à la briser en deux. Le cristal vert au-dessus de sa tête la désigne comme une joueuse. Ses cheveux blonds lui tombent jusqu’au creux des reins. Ce qui le dérange un peu c’est qu’elle est entièrement habillée de noir, comme si elle portait le deuil. Il n’a pas l’air dérangé par le fait qu’elle n’ait pas l’air d’avoir plus que quinze ans…

- Bonsoir ma belle…

Aucune réponse. Le visage de l’homme se crispe devant ce qu’il prend pour une preuve de dédain de la part de la jeune fille. La pression de ses doigts se renforce.

- Eh je te parle. Alors tu dis bonsoir.
- Bonsoir.

Elle n’a toujours pas bougé. Mais le sourire revient sur le visage de l’homme.

- Ça te dit on va boire un verre ?
- Non merci.
- Allez c’est moi qui invite ! Si tu es gentille… Je pourrais même te prodiguer des conseils.

Le ton employé aurait donné envie de vomir à une personne sans estomac. Heureusement que le tiens était solide.

Mais cet homme était un idiot. Et ce qui compte avec les idiots ce n’est pas ce qu’ils voient, mais surtout ce qu’ils ne voient pas. Or, tout concentré qu’il était sur sa proie, il n’avait pas fait attention au pseudo qui s’affichait à côté du cristal symbolisant son statut de joueur.

Rienthal.

Un pseudo masculin. Rienthal, celui qu’en temps normal j’appelle petit bout mais que je pourrais aussi bien appeler louloute vu la situation.

Un petit gars qui avait fait deux erreurs : la première fut d’acheter une soi-disant « potion de force » à un bonimenteur pour qu’il le laisse tranquille et la seconde consista à boire cette potion avant de s’endormir du sommeil du juste dans son lit de l’auberge.

Ce qu’il ignorait, c’était que cette potion était glitchée…

Le lendemain, il s’était réveillé tout fin, avec des cheveux longs, une poitrine et quelque chose en moins en dessous de la ceinture…
Un petit gars dans cet état depuis trois jours maintenant...

Mais dommage pour lui, l’importun n'a rien vu.

- Allez bien on va s’amuser…
- J’ai dit non.
- Mais si tu verras !

Perdant patience, il attire d’un geste brusque la jeune femme… le jeune homme… vers lui. Sans résultat. L’espace d’un instant, il n’y a plus personne devant lui. L’instant suivant, il se retrouve plaqué contre un mur par une poigne de fer tandis qu’une lame se pose délicatement sur sa gorge.

- J’ai. Dis. Non.

Pour la première fois, il croise le regard de celle qu’il avait pris pour sa victime. Pour la première fois il voit. Il voit le dégout, la peur et la colère. Un triplé gagnant nourri par trois journées très longues...

Le dégout d’avoir été prise pour une friandise par quelqu’un qui devait avoir trois fois son âge.



La peur née insidieusement durant la journée de s’être rendue compte que même marcher dans la rue devenait dangereux quand on avait une poitrine qu’on ne possédait pas la veille au soir.



La colère de voir ses compétences et son humanité remises en question parce qu’il lui manquait quelque chose entre les jambes.



Il se tortille sous ta poigne sans parvenir à se libérer. Comme quoi mieux vallait être une femme avec de l'expérience au combat qu'un homme qui n'avait jamais rien fait de ses dix doigts...

Vaincu, il finit par s'immobiliser, haletant.

- Je suis désolé ?
- C’est une question ou une affirmation ? réponds-tu d’une voix tranquille.

Ni l’un ni l’autre et ils le savent tous les deux. C’était l’excuse de celui qui ne regrette qu’une chose, s’être fait prendre et qui n’hésitera pas à recommencer si l’occasion venait à lui être donnée. L’absence de réponse de cette ordure en est une en soi.

Que vas-tu faire de lui louloute ?

Que vas-tu faire de ce déchet dont tu n’es pas et ne seras certainement pas la dernière victime ? Que va tu faire maintenant que les circonstances t’ont ouvert les yeux sur ce qui est le quotidien de la moitié de l’humanité ?

Pour un monde sensé représenter un nouveau départ c’était réussi. Visiblement, l’homme avait été capable d’y apporter tous ses travers.

- Il y a une rumeur comme quoi la majorité des joueurs rouges sont des femmes. Je crois que je commence à comprendre pourquoi…, murmuras-tu s'en t'en rendre compte.
- Tu ne peux pas me tuer. Les PK n'ont pas le droit de venir en ville !
- Et donc ?

Sur la liste des raisons de ne pas le tuer, c'était sans doute la pire. Il blanchit encore plus si c’était possible en se rendant compte que tu étais parfaitement sincère.

- Au moins je serais sûre que tu ne recommenceras plus. En plus ça serait un bon moyen de présenter mes excuses pour toutes les fois où j’ai laissé faire.

Oui, toutes les fois où tu avais fait semblant de rien. Toutes les fois où tu avais laissé passer une petite blague ou une situation ambiguë. Toutes les fois où tu avais cru être quelqu’un de bien en acceptant l’inacceptable.

Tu hésitas un bon moment petit bout, avant de prendre ta décision.

- Tu vas d’abord me dire combien de filles tu as abordé comme ça…


Le lendemain matin, on retrouva adossé à la fontaine centrale de la ville, un joueur plutôt mal en point. A côté de lui, un petit mot accroché à un pic disait ceci :

En dessous, une petite liste énumérait le palmarès du joueur.

Au loin, une petite silhouette observait la scène. Caché derrière ses cheveux blonds, elle souriait. Le soir même, elle quittait la ville. Cardinal, le destin ou la malchance avaient décidé de lui faire changer de sexe. Dont acte. Il était temps de le leur faire regretter.