Damen Irridval

Lycée |:| 4°1, Tradition

Un casino, un casino. Mouais, pourquoi pas. Quitte à dilapider son argent, autant que ce soit dans quelque chose de profondément inutile. Et il n'y a pas plus inutile que ça : un événement d'une université où il n'est pas inscrit, et où il n'a rien à gagner à part des rencards avec des gens qui ne l'intéressent pas. Et un dîner au restaurant qui ne l'intéresse pas beaucoup plus. Bah, au pire, s'il gagne, il le donnera à Emily, ça lui fera plaisir.

Juste parce que c'est un événement universitaire où la plupart des gens se rendront sûrement en jean basket, il fait un effort vestimentaire disproportionné pour se pointer en costard avec un chapeau de créateur. Parce qu'il peut, parce que pourquoi pas, et parce que ça fait une jolie photo sur instagram. Il lira les commentaires plus tard ; pour l'instant, son objectif, c'est d'utiliser sa part des pourboires de ses danseurs dans quelque chose d'absolument pas productif. S'ils savaient ça, ils seraient sans doute bien sur les nerfs. Peut-être qu'il en croisera quelques uns, il les a recrutés dans les environs, après tout. Lycée, université, entourage direct : tout ce qui est majeur a eu droit à sa petite invitation. Certains ont dit oui, d'autres l'ont regardé comme s'il venait de lui pousser des antennes. Son quotidien, en somme.

Bien trop habillé pour l'occasion, il abandonne sa famille à ses drames internes. Son père et la poufiasse qu'il traîne partout sont encore cloîtrés dans le bureau qu'ils auraient dû déserter après les élections. À quoi bon avoir le bureau le plus prisé de Londres s'il préférait travailler depuis une pièce minuscule dans la ville où il passe déjà sa vie ? Si c'était pour faire ça, gagner sa foutue élection n'avait aucun intérêt. Peut-être que c'était l'idée de l'autre connasse, parce qu'elle ne pouvait pas autant se frotter à Charles Irridval si des assistants risquaient de la surprendre et d'exposer son petit jeu malsain au grand jour. De quoi lui donner la nausée.

À peine arrivé sur place, Damen s'achète une quantité de jetons et s'installe à la roulette. Il y a quand même quelques lycéens sur les lieux, on leur donne des jetons gratuits. Leur seule fortune de la journée : autant dire qu'ils n'ont pas intérêt à tout perdre. Dans un élan de compassion - et pour coller à sa réputation - Damen en sort quelques uns de la panade. Tombé à zéro ? Pas de problème. Il leur en rachète quelques uns, donne une partie des siens à d'autres. Puis il se trouve un cocktail, avec de l'alcool pour changer - l'université n'a pas que des inconvénients - et retourne s'installer près de son jeu de la journée. Le reste a l'air un peu tentant, mais plus tard. Il a toute la journée et toute la soirée devant lui pour tester le blackjack et les machines à sous, après tout. La fête ne fait que commencer, et il a beaucoup d'argent à y perdre.

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Bon, la roulette n'est pas trop dans son camp. Pas grave. Il a encore beaucoup de temps à tuer. Il sirote son cocktail du bout des lèvres jusqu'à ce qu'une de ses mises se décide à tomber. 150 jetons, dont il s'empresse de miser à nouveau une partie. À quoi bon les gagner s'il ne les joue pas, après tout ? Il n'a aucune intention d'acheter un rencard avec qui que ce soit à la fin de la journée, et il ne peut pas les ré-échanger contre de l'argent après. Est-ce qu'il l'aurait fait, de toute façon ? Sans doute pas. Ce n'est pas comme s'il manquait d'argent, et il a beaucoup moins qu'avant le risque que son père décide de faire du zèle et de lui couper l'accès à son compte en banque. Ça ne durait jamais bien longtemps parce qu'il trouvait toujours le moyen de refaire une carte, mais c'était quand même chiant. Au moins, maintenant, quand son père a une lubie inutile, il a du liquide pour continuer ses journées. Peut-être même qu'il pourra se payer quelques années à l'université sans avoir besoin de son père. Cette idée le fait rire. Bien sûr que ses parents ont mis de l'argent de côté pour lui payer des études, quand il était gamin. Est-ce que son père l'a gardé, ou est-ce que, dans sa conviction que son fils disparaîtrait après ses dix-huit ans, il l'a investi ailleurs ? Est-ce que c'est bien raisonnable de payer des études avec l'argent issu d'un strip-club ? Sans doute pas, c'est bien pour ça que c'est intéressant. Mais il a le temps avant de penser à ça, de toute façon. En séchant tous ses examens, il s'est gagné une année supplémentaire avant d'avoir à réfléchir à un concept aussi arbitraire et ennuyeux que l'avenir.

La roulette recommence à lui faire la gueule. Tant pis, il rejouera quand même. Le cocktail n'est pas mauvais mais, au final, il a pu mieux. Peut-être pas assez chargé en alcool, ou pas assez en sucre, en tout cas il manque quelque chose. Ça fera cependant l'affaire pour l'instant. Est-ce qu'Emily est venue au casino ? Sans doute pas. Ce n'est pas son genre d'ambiance. Un jour, peut-être qu'il lui fera apprécier ce genre de chose. Ou peut-être vaut-il mieux que ce jour n'arrive jamais.

Une voix derrière lui l'interrompt dans ses considérations philosophiques. Il se tourne en appuyant le bas de son dos sur la table malgré le soupir agacé du gars qui tient le stand. Bah, c'est pas grave non plus, c'est pas comme s'il s'était assis sur le plateau. Allez, pour lui faire plaisir, il lâche quelques jetons sur un chiffre au hasard. Il n'y gagnera pas grand chose, mais peu importe.

» T'es qui, toi ?

Ce type ne lui dit rien. Il faut dire que la plupart des gens redeviennent anonymes très vite à ses yeux même lorsqu'il marque leur esprit. C'est assez logique. Il attire l'attention, c'est son trait principal. Il en prête assez peu aux gens autour de lui, aussi. Et il oublie vite, surtout en ce moment. Enfin bon, à l'entendre, ils se sont déjà vus. Il n'a pas envie de faire l'effort de s'en rappeler.

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Agréable ? Quoi, il est de la même team que Rosie, à se vexer au moindre petit commentaire ? Ah, les gens qui s'offensent dès qu'on entre pas dans les cases étriquées de la société. Qu'ils sont prévisibles et fatigants. Il hausse les épaules en reposant des jetons sur la table. Quelques mots de plus. Alien, princesse pureté. Ah, oui, peut-être. Ça fait longtemps qu'il n'a pas croisé la rouquine à gros seins, d'ailleurs. Est-ce qu'elle a eu son diplôme ? Elle est plus vieille que lui, alors. Hm. Il n'aurait pas parié là-dessus. Ou peut-être qu'elle a juste changé d'école et que c'est pour ça que son prétendu petit ami est là tout seul à lui parler au lieu d'être avec elle dans un coin discret. Quoique, est-ce qu'elle ferait vraiment ça ? Vu la leçon qu'elle a voulu lui donner à leur première rencontre. Bouhouhou, tu t'es approprié cette fille, tout ça. A-t-il réussi à la faire changer d'avis ? Hm. Ça vaut peut-être coup d'essayer de la recroiser par hasard.

» L'alcool et la drogue n'aident pas à se souvenir de toutes les personnes insignifiantes qui croisent ma route.

Il relève la tête en voyant le dix-neuf apparaître sur la table.

» J'avais parié sur le rouge, je peux avoir mes jetons ? Merci.

Cent cinquante. C'est un début acceptable. Il les repose sur la table. Cent sur le rouge, cinquante sur un chiffre pair. Il est là pour jouer, après tout. Les rencards ne l'intéressent pas, autant dépenser tous ses jetons sur la table ou n'importe où ailleurs.

» Et donc, ta jolie rouquine t'a laissé tout seul ? Ou bien tu cherches un autre moyen de t'amuser le temps qu'elle... c'était quoi ton expression, déjà ? Ah oui. Qu'elle "écarte les cuisses" ?

Il sourit. La table a été un peu sympa avec lui, et pas trop. Vingt-six. Donc retour de cent cinquante jetons, et cent qui partent dans les poches du BDE. Ça lui en laisse assez pour jouer, c'est l'essentiel. Il sirote son cocktail du bout des lèvres. C'est vrai, il se souvient vaguement de la plage. Que ce gars lui avait lancé ça en parlant des françaises pour essayer de l'éloigner de sa nana. La même nana qui l'avait repris, lui, pour avoir été vulgaire. Comme quoi, l'hypocrisie trouve sa place partout.

» Ou bien tu n'emploies cette expression que pour les filles qui ne le font pas pour toi, peut-être ?

Il peut bien s'amuser à titiller un peu la susceptibilité des gens malhonnêtes, non ? Il repose ses jetons sur les mêmes cases. Quarante-cinq. Ah. Bon, du coup ni rouge, ni impair. Il lui en faut des nouveaux. Il attrape le bras d'une fille qui passe par là.

» Eh, toi. Tu peux acheter dix jetons à l'accueil et les jouer à la machine à sous pour moi ? Garde la monnaie.

Il lui donne de quoi acheter le double. Il a vraiment la flemme de bouger de la roulette pour l'instant, et si cette fille a un peu de chance, elle pourra lui permettre de rejouer une ou deux parties de plus.

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Mémoire sélective, oui. Il faut dire qu'il retient plus facilement les paroles que les noms ou les visages, surtout quand elles mette au jour l'hypocrisie de certaines personnes.

» Hm hm. La vulgarité dans tes paroles m'avait choqué, que veux-tu.

Mine de rien, il est rarement vulgaire lui-même, pour ne pas dire quasiment jamais. Question d'éducation, malgré lui, de principe aussi. Quand on s'est fait appeler Dame pendant la moitié de son adolescence, on en adopte les manières, et la vulgarité ne sied pas à une dame. Et puis venant du prince charmant d'une fille comme elle, ce genre de remarque a de quoi surprendre et marquer l'esprit. Elle lui a quand même fait la morale juste parce qu'il a utilisé l'expression "se la faire", mais elle a accepté "écarter les cuisses" sans broncher. Deux poids, deux mesures.

» Ouah. Tu dois vraiment t'ennuyer dans ta vie pour décider que venir me parler est digne du détour.

Surtout considérant la façon dont ils se sont quittés. Enfin, certaines personnes aiment les conflits, probablement. Il est un peu mal placé pour en juger, vu qu'il est capable d'aller en chercher gratuitement pour s'occuper. Cela dit, les raisons qui peuvent pousser un type comme ça à venir voir quelqu'un qu'il méprise probablement resteront toujours un mystère.

» Est-ce que j'ai besoin de chercher quelque chose ? Pourquoi tout le monde cherche toujours à m'attribuer un but ?

La fille revient rapidement avec une dizaine de jetons pour les poser sur la table à côté de lui. Dix. Bon, ça fera l'affaire pour une partie de plus, avec un peu de chance il pourra en gagner davantage et continuer de jouer, sinon il trouvera sûrement un moyen d'en racheter.

» Merci ma belle. Profite bien de ta soirée. Et si tu veux profiter de ta nuit, tu sais où me trouver.
» Yep.

Elle part sans un mot de plus et il hausse les épaules avant de poser ses dix jetons sur le noir et de jouer un peu avec le mélangeur dans son cocktail. Il a déjà dû la croiser quelque part, pour qu'elle réponde avec une telle indifférence.

» Donc. Qu'est-ce qui peut bien pousser le prince charmant à s'approcher de la débauche ? Tu n'as pas peur que ta copine te quitte si tu passes trop de temps dans le feu des projecteurs ? Il me semble qu'elle préférait jouer les fantômes.

Difficile à faire avec un physique qui attire autant l'attention, d'ailleurs. Mais si elle ne veut pas exploiter les dons que la nature lui a faits, c'est son problème. En attendant, lui, il exploite les dons de la roulette en récupérant une trentaine de jetons. Deux fois de suite le trente-cinq, hein. Autant retenter le même chiffre. Avec une petite sécurité quand même. Noir, impair, trente-cinq. Il y en a bien un des trois qui tombera juste.

» Passer trop de temps autour de moi est toxique. Méfie-toi quand même, ça risque de faire tomber ton petit masque d'ange-gardien. Il est déjà mal ajusté.

Il a déjà vu à travers il y a trois ans. Qui sait dans quel état est le masque maintenant.

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» Ah, si ça peut te faire plaisir, invente-moi des projets. Tu peux penser ce que tu veux.

Comme tout le monde, finalement. Sans doute devrait-il trouver ça flatteur, tous ces gens qui imaginent un grand plan dont il suffirait de suivre les ficelles et qui finissent par faire de lui un génie de mal. Comme son père, qui voit dans chacun de ses actes une tentative de sabotage ou de manipulation des médias. Comme le Prez' qui semble persuadé qu'il s'est mis en tête de lui voler tous ses proches. Comme la mère d'Eri qui la voyait comme un pion entre ses mains. Même, à plus petit degré, comme la lapinette qui pensait qu'il était venu lui parler dans un but précis. Finalement, s'il y a une chose que les gens semblent incapable de comprendre, c'est le chaos. À part quelques rares exception comme le blondinet du supermarché.

Enfin, peu importe. Que les gens fassent de lui un génie criminel si ça les amuse, il ne peut pas vraiment les empêcher de penser, et d'autres s'en chargent très bien avec beaucoup plus de talent.

» Oh, arrête. On sait tous les deux que je n'ai rien d'un prince charmant. La différence, c'est que je n'essaye pas de l'être avec un sourire fabriqué sur mesure.

À force de côtoyer les politiciens, il en connaît les méthodes. Comment manipuler son entourage pour se donner une allure douce tout en cachant quelque chose de plus sombre. Il a baigné là-dedans toute sa vie. Il lève les yeux au ciel. Oui, oui, sa copine est intelligente, bla bla bla. Les gens en couple ont toujours le même discours, jusqu'au moment où les qualités deviennent des défauts et où ce qui plaisait devient ce qui répugne. C'est ce qui attire et intrigue qui finit, à terme, par devenir ce qu'on ne supporte plus.

» Je n'ai pas besoin de savoir, ça se voit. Tu dégages la même aura que les politiques. Le mensonge et la fausseté te collent à la peau. Mais ne t'en fais pas, la majorité de la population ne sait pas voir à travers.

Surtout dans cette ville, sinon ils n'auraient pas voté pour son père. Equation simple et basique. Tous ceux qui se sont rangés dans son camp se sont laisser manipuler comme des moutons à l'abattoir parce qu'ils sont incapables de distinguer l'hypocrisie.

» Mais je t'en prie, continue de me dire ce que tu penses. On va voir si tu vises mieux que la dernière fois.

À vrai dire, il ne se souvient pas de grand chose de la fois précédente, à part qu'il a tapé complètement à côté. Sans doute. Ou peut-être que c'est juste le souvenir qu'il a voulu s'en faire. Bah, peu importe. Il est là pour s'amuser, autant profiter de tous les divertissements à sa disposition. Le lieu est approprié pour faire des paris et espérer tomber juste, après tout.

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Ah, la projection. Accuser quelqu'un de ses propres actions ou de ses propres pensées. Vouloir voir tout le monde à travers son propre prisme. J'ai un objectif dans mes actions, donc tout le monde en a un. Je mens, donc tout le monde ment. Je veux qu'on m'aime, donc tout le monde veut être aimé. Je veux être heureux, donc tout le monde cherche le bonheur. Peut-être que la projection est un plus gros fléau que l'hypocrise, un prisme si personnel qu'il est impossible à briser. Ce serait mentir de dire qu'il n'en a jamais fait. Son voisin, à lui seul, pourrait le contredire sur ce sujet. Leo aussi. Emily, dans une moindre mesure. Mais celle qu'il a face à lui le fait rire.

» Mentir, moi ? Trouve-moi un exemple, si tu es si sûr de toi.

C'est trop d'efforts, de mentir. De se construire une image. Il a cessé depuis longtemps de vouloir plaire. La Dame qu'il était est morte en même temps que Leo et il n'a jamais essayé de remettre le masque en place. Nouveau rire. Ouah, ce gars ne l'aime vraiment pas, hein ? Hm. C'est probablement mieux pour lui.

» Je ne suis pas un politique. Le principe de la politique, c'est de manipuler les gens pour qu'ils t'aiment, pour leur faire croire que tu as ce qu'ils veulent, leur faire croire que tu es quelqu'un de bien. Pour qu'ils t'admirent et qu'ils veuillent s'écraser devant toi comme des insectes. Je n'ai pas la prétention d'être aussi bon manipulateur. Ni la stupidité de vouloir l'être.

Le pouvoir est une chaîne. Ceux qui le recherchent ne s'en rendent compte qu'il fois les maillons vissés dans le mur, une fois privés de leur liberté alors qu'ils pensaient pouvoir contrôler celle des autres.

» Ah. Je vois que tu as pris ta vision du sexe à la même école que ta petite copine.

"Tu t'appropries les gens et tu les utilises", quelque chose comme ça. Les mots de la petite princesse pureté qui avait oublié de regarder l'autre côté de l'équation. Comme lui le fait en ce moment. Dans ce genre d'échange, qui est utilisé et qui utilise l'autre ? La réponse est simple : les deux. Lui aussi n'est là que pour quelques heures avant d'être abandonné sur le côté. C'est le principe.

» Ne prends pas les gens pour plus bêtes qu'ils ne sont. Personne ne couche avec moi en s'attendant à y trouver des sentiments. Et je ne m'attends pas à en trouver chez eux. C'est un échange de bons procédés. Ils se servent de moi et je me sers d'eux, et on le sait bien avant d'enlever la moindre couche de vêtements. Il n'y a aucune trahison dans l'histoire, parce que la vérité est sur la table dès le début.

Il hausse un sourcil. Oh, monsieur fait pleurer les filles parce qu'il a l'honnêteté de les rejeter quand elles commencent à tomber amoureuses ? Quelle grandeur d'âme. S'assurer qu'elles ne tombent pas amoureuses avant est tout de même plus simple et plus efficace.

» Encore un coup dans l'eau mon grand. Je n'ai jamais eu besoin de faire ça parce que personne n'est assez naïf ni assez idiot pour tomber amoureux de moi. Ils le savent dès le début. Dès la première seconde, le premier regard, le premier contact. Tout le monde le sait. S'ils veulent se détruire en s'imaginant des choses qui n'ont jamais été là, c'est qu'ils ont des problèmes à résoudre.

Tout le monde sait qu'il ne cherche pas ce genre de choses. Contrairement au Prez' qui, lui, joue avec les sentiments des gens. À construire des relations qui ne durent pas parce qu'il préfère fuir avant de s'attacher. C'est à lui qu'il devrait réserver sa petite morale, c'est à lui qu'elle s'applique. Ils ne sont pas pareils. Ni du même moule, ni du même monde. Une relation. Concept aberrant. Faut-il être fou pour croire que ça l'intéresse. Mais ça reste amusant de voir quelqu'un essayer de le comprendre. Et échouer, encore une fois. Comme tout le monde. Parce qu'il n'y a rien à comprendre, pas de structure dans le chaos. Et ces gens-là veulent de la logique, des explications, des raisons. Quelque chose qui leur permettra de donner un sens à ce qui n'en a pas.

» Tu ne poses pas les bonnes questions. La vraie question, ce n'est pas "pourquoi". Mais "pourquoi pas".

Qu'est-ce qui l'empêche de jouer avec les limites ? Qu'est-ce qui l'empêche d'agir, de parler, de briser les masques pour que tout le monde voit véritablement la gangrène qui s'est depuis longtemps emparée de ceux qui se prétendent importants simplement pour quelques pièces ? Rien. Parce qu'il fait partie de cette gangrène, et qu'aucun remède n'y existe.

» Tu cherches des raisons. Vous cherchez tous des raisons. Je suis désolé de te décevoir, mais la raison est simple. Je m'ennuie. Votre monde parfait est ennuyeux à crever et je préfère encore le voir brûler que de m'y complaire. Mais c'est trop difficile pour vous. Grands amateurs de la structure, vous ne pouvez pas comprendre le chaos. Et la liberté. Vous êtes enfermés dans vos règles et vos principes parce que vous avez peur d'exister. Alors vous cherchez des raisons. Et des objectifs. Et juste pour ça, tu ne comprendras jamais. C'est hors de ta portée.

Personne ne comprend vraiment, mais il ne cherche pas spécialement à ce qu'on le comprenne. À quoi bon ? Si quelqu'un commence à le comprendre un jour, c'est qu'il ne survivra pas bien longtemps.

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Quand on creuse et qu'on percute une pierre, il y a deux réactions. Comprendre qu'il n'y a rien de plus à trouver et aller creuser ailleurs, ou insister, essayer de casser la pierre et, le plus souvent, finir par casser sa pelle à la place. "Rentrer dans son jeu", dit-il comme s'il n'en croyait pas un mot. Rien d'étonnant. Comme il l'a dit, les gens ne comprennent pas. Surtout pas lui. C'est hors de sa portée et ça le restera. Il est trop différent, trop imprégné de règles et d'idéaux qui cessent de fonctionner dès qu'on les met face à la réalité. Sans raison apparente, dit-il. Sans raison tout court, plutôt. Pourquoi aurait-il besoin d'une raison ? Faut-il une raison pour vivre ? Pour profiter de ce qu'on a ?

» Au mieux, tu fous le bordel et tu rends la soirée distrayante, au pire, tu te casses quelque chose. Un peu cher payé pour... rien ? Mais bon, pourquoi pas ?
» Tu vois, même là, tu envisages trop de choses. "Au mieux", "au pire". Ça implique de se soucier de conséquences bonnes ou mauvaises, donc ça implique d'avoir quelque chose de prévu. Donc rien que là, tu ne comprends pas. Ce n'est pas une question de ce qui peut arriver. La vérité c'est que le mieux et le pire sont toujours le même. Au mieux tu vis, au pire tu meurs. Le reste n'est que spéculation, et essayer de tout ranger dans des cases, c'est pas mon délire.

Le reste ne sert à rien. Le monde est un amas de chaos et chercher à le prédire, à évaluer les conséquences potentielles d'une action n'a aucun sens. Optimistes, pessimiste, les deux sont en tort. Parce qu'ils essayent de voir plus loin que le présent. Sauf que l'avenir est par défaut incertain, aucune conséquence n'est prévisible. Tomber de cette scène aurait pu avoir des milliers de conséquences. Il aurait pu se briser la nuque, se casser un bras, tomber dans le coma, s'en sortir indemne. Impossible de savoir. Alors à quoi bon s'en soucier ?

» La prochaine fois, tu sauteras du deuxième ou du troisième étage d'un immeuble parce que "pourquoi pas" ?
» Qui te dit que je ne l'ai pas déjà fait ?

Techniquement, il a déjà sauté du deuxième étage. Directement dans une piscine, peut-être, mais est-ce que ça ne compte pas un peu quand même ? Sûrement.

» C'est ça, le délire ? C'est ça, ta vie ? Une taffe, une drogue au hasard, et puis on fait n'importe quoi ?
» Oui, c'est ça. Sans le "et puis". Je fais ce que je veux quand j'en ai envie parce que rien ne m'en empêche et que je ne m'amuse pas à essayer de prédire l'avenir. Ça s'appelle la liberté. Mais le concept a l'air de t'être étranger, puisque tu as l'air de considérer que ça veut forcément dire que j'ai des problèmes.

La liberté, concept étranger, comme il l'est pour tous ceux qui se soucient des règles et des principes imposées par les autres. Il préfère se créer ses propres règles et vivre à sa manière. Les leurs ne lui conviennent pas.

» Je suis votre problème, à la rigueur, vu comme vous aimez vous soucier de moi sans raison... apparente.

Ses mots, finalement. Sans raison apparente. C'est vrai, qu'est-ce qui peut pousser tous ces inconnus à vouloir entrer dans sa tête ? La peur de l'incompréhensible ? Sans doute. Quant au fait d'être riche...

» Tu as de la chance de faire partie des riches, dans ce cas. Beaucoup seraient déjà derrière les barreaux simplement parce qu'ils auraient fait les mêmes choses ou eu les mêmes comportements que toi. Deux poids, deux mesures...
» Je n'ai jamais prétendu le contraire. Beaucoup seraient sans doute aussi morts en ayant fait les mêmes choses que moi. Et ? En quoi ça me concerne ? Je vis avec ce que j'ai. C'est prétendre l'inverse qui serait pathétique et hypocrite.

Jouer les pauvres en étant riche, c'est aussi méprisable et ridicule que l'inverse, que tous ces gens qui s'écrasent pour goûter à un semblant de la richesse d'un autre. Les tapis et les parasites qui ne sont bons qu'à se traîner au sol en espérant glaner l'aura de ceux qui leur marchent dessus.

» Ne me dis pas que tu pensais que le monde était juste ? Désolé de briser tes rêves.

Le monde distribue des cartes qui sont loin d'être justes, quand bien même elles s'équilibrent toujours d'une manière ou d'une autre. Croire que la vie est un joli plateau équilibré est le summum de la naïveté et de la stupidité.

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Apprends à t'arrêter. Emily lui a répété ça toute sa vie. Depuis Leo, depuis que les barrières que lui imposait sa classe sociale ont sauté dans une tempête incontrôlable. Apprends à t'arrêter. Jamais. Car seules les bonnes choses ont une fin. Comme le calme relatif de cette conversation, le mur infranchissable de leur opposition, qui se brise au profit d'une main brusquement refermée sur son poignet. Douleur qui remonte dans ses os, qui le crispe, arrache une plainte sourde entre ses dents serrées. Mais que son cerveau parvient presque aussi vite à ignorer. Après une phrase. Un mot.
La liberté est peut être aussi facile d'accès pour toi que ne l'est l'argent.
Facile ?

» Facile ? Tu n'as pas la moindre idée de tout ce qu'il faut briser pour détruire une prison dorée. Il n'y a rien de facile là-dedans.

Sa voix gronde d'une colère qui n'était pas là quelques secondes plus tôt. Non. Il n'a pas la moindre idée de tout ce qu'il faut perdre pour ne serait-ce qu'apercevoir le monde à travers l'écran de fumée de la richesse, du luxe et de la haute société. Si c'était facile, tout le monde le ferait. Mais la facilité ne fait pas tomber les murs. Et ce type allait sérieusement lui péter le poignet, à force de serrer comme un barbare. Peut-être que ça lui ferait du bien. Ce ne serait pas la première fois que la violence était la seule chose capable de percer le brouillard dans sa tête. Enfin, qui se ressemble s'assemble, ça explique pourquoi il est en couple avec l'autre rouquine. La même espèce que ce connard de Prez' qui pense que le lâcher juste avant de lui éclater la mâchoire à coup de poing fait de lui un héros.

» Tu ne vis pas avec beaucoup de kilos, en tout cas
» Et tu vis pas avec beaucoup de self-control, chacun son truc.

La colère ne doit pas rester. C'est la première pierre sur un chemin qui finit toujours par le faire parler comme son père. Avec le Prez', avec le paillasson vivant de son petit voisin, avec tous ceux qui arrivent à écailler la rouille pour faire apparaître quelque chose qu'il n'arrive pas à rayer de sa tête même avec tous ses efforts.

» Hm hm. Tu as voulu jouer les grands détectives. Je suis flatté de ta curiosité, mais je ne dois rien aux gens comme toi. Enfermés dans le regard des autres et même pas foutus de voir les barreaux.

La perfection, l'adaptation, la conformité. Toujours correspondre à ce que les gens espèrent voir, ou s'attendent à voir. Être normal, se fondre dans la masse, être un modèle, un exemple, ou suivre l'exemple. Tout le monde est faux. Ils sont tous pathétiques. Comme son père et ceux qui l'admirent.

» Le poison n'a pas besoin de raison pour être toxique. Mais ne fais pas comme si tu ne voyais pas de quoi je parle. Ça se voit. Tu respires la violence contenue par tous les pores. La différence c'est que moi, je n'essaye pas d'être quelqu'un que je ne suis pas. Je suis un poison, je le sais, à quoi bon faire semblant d'être quelqu'un de bien ? Pour faire plaisir aux gens comme toi et ta copine qui préférez vous plier à ce que les gens attendent de vous plutôt que de vivre vraiment ?

C'est en cessant d'être ce qu'on attendait de lui qu'il résiste à l'appel du vide. Vivre comme eux, c'est la meilleure manière de basculer définitivement.

» Si tu voulais jouer les héros, tu as choisi la mauvaise personne. Va donc casser le bras de quelqu'un d'autre.

Il lui a quand même fait mal, avec ses conneries. Mais il ne lui fera pas le plaisir de lui montrer une deuxième fois. La réaction instinctive au premier choc était suffisante, il s'occupera de ça plus tard.