Les examens de fin d'année approchent. Ça devrait probablement être la seule chose à l'inquiéter, à son âge, mais c'est bien la dernière qu'elle a en tête. Par quoi commencer ? La maladie mentale qui lui ronge l'esprit, le monde en noir et blanc, l'alcool, ou le dernier de ses problèmes en date, une conversation qu'elle n'aurait pas dû entendre et l'ombre pesante d'un inconnu, capable de lui tirer une balle au premier mot de travers ?
Elle n'a jamais cherché à savoir qui il est. Pendant une période, elle s'était même prise à espérer qu'elle ne le reverrait pas, mais il l'avait détrompée à l'occasion d'un événement organisé par son club. Il n'était venu qu'un instant, mais c'était suffisant pour lui rappeler qu'il savait qui elle était, où elle était, et qu'il pouvait la trouver n'importe quand. De quoi être tout sauf sereine. L'avantage, au moins, c'est que le reste est passé au second plan.
Est-ce que c'est parce que l'idée lui a effleuré l'esprit, comme un démon qu'on invoquerait en une simple pensée, ou juste une atroce coïncidence, que ces types sont tombés sur elle ? Londres, la capitale d'un pays entier, des semaines sans la moindre nouvelle et le moindre signe, et au moment où elle aurait peut-être pu penser à se croire en sécurité, elle sent une main se plaquer sur sa bouche au coin d'une rue. L'autre la ceinturer. Un quart de seconde, c'est trop peu pour avoir le temps de crier. Assez pour celui de comprendre. Elle tente un coup de coude, mais son bras ne frappe que le vide. Alors elle s'immobilise, un peu, pour essayer d'analyser. Trouver une opportunité de fuir. Savoir, peut-être, pourquoi on s'en prend à elle. Encore une fois.
» C'est elle ? » Oui. C'est la même que sur les photos, et elle a l'uniforme.
Ah. La prochaine fois, penser à enfiler un pull et un jean avant de sortir. Cet uniforme lui attire beaucoup trop d'ennuis. Il serait peut-être temps de le re-changer, visiblement la dernière modification a eu un effet néfaste. Sa respiration a dû s'emballer malgré elle, parce qu'elle entend un ricanement.
» Panique pas, ma jolie. On va rien te faire. On te retient juste un moment, le temps qu'il vienne te sauver.
Qui ça "il" ? Et comment espèrent-ils que qui que ce soit la trouve au milieu d'une rue à peine fréquentée, voire pas du tout ? Au moins, ils ont le mérite de répondre assez vite à la deuxième question.
» Prend son téléphone. Elle doit bien l'avoir dans ses contacts.
Tessa lutte pour rester stoïque tandis qu'elle sent une main s'approcher de sa poche. Juste une demi-seconde. Une demi-seconde d'inattention. Elle perçoit une ouverture, assez longue pour que son talon vienne s'écraser sur les orteils d'un homme qui s'est relâché devant son apparente docilité. Une demi-seconde. Elle en profite pour forcer sur les bras qui la retiennent, essaye de s'élancer en courant, sent une poigne se refermer sur ses cheveux. Le cri qui lui échappe résonne en écho avec celui de son agresseur.
» Reviens ici, sale garce !
Elle serre les dents. Il doit bien y avoir un moyen d'en réchapper, non ? Elle sent à peine la douleur dans ses cheveux passé le choc de départ. C'est presque une petite fulgurance qui la fait attraper son téléphone, celui qu'ils ont voulu lui arracher des mains, et l'envoyer au visage de celui qui la retient. Pile dans le nez, comme si le destin avait décidé, pour une toute petite fois dans sa vie, de lui accorder un coup de chance. Et maintenant, cours.
Parce que l'idée lui a effleuré l'esprit, comme un démon qu'on invoquerait d'une simple pensée. Alors qu'elle s'enfuit en espérant qu'elle finira par les semer, elle se sent percuter quelque chose. Non, quelqu'un. Elle relève la tête et son regard en croise un qu'elle aurait, vraiment et de plus en plus, espéré ne jamais avoir vu de sa vie. Il lui faut moins d'une seconde pour que la connexion se fasse, elle s'écarte comme si on l'avait brûlée.
» C'est à cause de toi...
Un mélange de panique et d'indignation dans la voix, elle ose pour la première fois depuis qu'elle le connaît détourner le regard de lui. Pour regarder derrière elle. Elle sait qu'elle ne les a pas semés, pas complètement, mais combien de temps avant qu'ils la rattrapent ? Si c'est lui qu'ils cherchent, alors... Rester ici ou continuer à courir. Elle perd de précieuses secondes à réfléchir, sans trouver la réponse.
Cigarette à la bouche, jean et tshirt noir, comme à son habitude, le brun se déplaçait d'un pas vif en direction du point de rendez-vous. Il n'avait vu l'étudiante nommée Buchanan que deux fois dans sa vie, et les deux fois, cela s'était mal passé. A chaque fois à cause de lui, puisqu'il avait établi un lien coercitif avec elle, dans le but de lui faire peur afin de s'assurer qu'elle ne révèlerait rien le concernant sur ce qu'elle avait vu le soir où ils s'étaient croisés au Time Out. Aussi, lorsqu'il avait reçu un mail, émanant apparemment d'elle, sur boite mail d'Indarë, Chris avait tiqué sévèrement.
Pas sur la manière dont elle aurait pu se procurer son mail, non, ce n'était pas ça qui le gênait. Après tout, Tessa était la directrice du club de gaming, c'était visiblement une geek, de ce qu'il avait pu en voir, et elle passait beaucoup de temps sur un PC. Facile donc de passer par le lien unissant les deux campus et de chercher Chris d'après sa carte étudiant, puis de lui laisser un mail. Facile pour Tessa. Non, ce qui le gênait, c'était qu'elle veuille le contacter, et lui donner rendez-vous à Shoreditch pour lui parler de leur "problème". Même si elle avait effectivement du nouveau comme elle l'affirmait dans son mail, jamais la lycéenne n'aurait choisi de revoir volontairement le Corbeau. Il s'en était assuré. A moins que... Il l'ait sous estimée, ou mal cernée ?
Non... Même si elle avait surpassé sa peur et fait l'effort de le recontacter, elle n'aurait jamais choisi un tel endroit. C'était incohérent. Ca ne pouvait donc être qu'un piège. Un piège fabriqué par des amateurs, de toute évidence... A l'approche du lieu de rendez-vous, Chris grimpa sur le toit d'un vieil entrepôt afin de poursuivre son avancée à l'abri des regards. D'un pas souple et vif, il se déplaça d'un toit avant de se baisser subitement en apercevant une tête connue, visible comme le nez au milieu de la figure dans ce quartier mal famé à cause de sa tenue: Tessa Buchanan ! Le message viendrait donc bien d'elle ? De plus en plus dubitatif, le brun l'observa se déplacer dans la rue jusqu'à ce qu'elle soit attirée soudainement dans une ruelle adjacente par des agresseurs qui l'attendaient visiblement de pied ferme.
Soupirant, pas franchement surpris par la tournure des choses, Chris se mit à courir et descendit à bas du toit à l'aide d'une gouttière, un peu plus loin. Quelques instants plus tard, Tessa le bousculait avant de l'accuser. Il fronça les sourcils, dubitatif, cherchant à comprendre, à regrouper les morceaux de puzzle: - De quoi tu parles ?! C'est toi qui m'as... Son regard brumeux se leva alors au dessus de l'épaule de Tessa, et il aperçut un type saignant du nez débouler dans la rue, visiblement furax. Tellement furax qu'il dégaina un pistolet, en fait.
Sans hésiter, Chris s'empara du poignet de la brune, avant de lui souffler: - Amènes toi ! On se partagera la faute plus tard ! - Reviens, sale garce ! Si on te choppe... Hurla le type en pointant son arme dans la direction des deux adolescents. Trop tard pour lui. habitué aux lignes de mires et à l'utilisation des armes de poing, le Corbeau bifurqua dans une autre ruelle dès qu'il en eût l'occasion, disparaissant ainsi du champ de vision de leur agresseur. Il s'enfonça ainsi dans un labyrinthe de ruelles qu'il ne connaissait pas, et ne relâcha la lycéenne que lorsqu'il sentit qu'elle était à bout de souffle.
Il se tourna alors vers elle, puis lui demanda aussitôt sur un ton de réprimande: - Bon sang, mais... Qu'est ce que t'as encore foutu ?! Tu me donnes rendez-vous ici et quand j'arrive, t'es poursuivie par des mecs armés de flingues ?!
Elle a fui, mais pas assez. Pas assez loin, pas assez vite. Elle n'est pas en sécurité, loin de là. Ces gars sont probablement toujours après elle, et s'ils cherchent vraiment celui qu'elle vient de percuter, ils sont dangereux. Forcément. Seuls des gens dangereux, ou stupides, pourraient s'en prendre à lui en connaissance de cause. Et ils ne lui ont pas paru stupides. Tout ça, c'est parce qu'il l'a entraînée dan ses problèmes. Elle n'a rien demandé, elle, à part qu'on la laisse tranquille !
Elle l'entend à peine répliquer. De quoi elle parle ? Comme s'il ne savait pas ! Ce sont ses histoires à lui qui lui tombent dessus. Elle a presque assez de courage, accumulé assez d'indignation, pour lui lancer un regard noir, mais le son trop familier, trop reconnaissable, d'une arme qu'on pointe sur elle ne lui en laisse pas le temps. Ni même celui de se retourner, en fait ; les doigts du brun se referment sur son poignet avant qu'elle puisse l'envisager. C'est la troisième fois qu'elle sent cette main enserrer son bras mais, aujourd'hui, ce n'est pas pour la menacer. Le changement ne l'arrange pas tant que ça, cela dit. Pas tant qu'elle sera visée par un flingue.
Le problème quand on passe un tiers de sa vie derrière un écran, le deuxième dans les livres et le troisième à se noyer l'alcool, c'est que ça nuit très vite aux capacités sportives. L'adrénaline aide, mais elle ne fait pas de miracles. Tessa finit par sentir la brûlure dans ses poumons, et dans ses jambes. Elle ne dit rien, cependant, pas tant que sa respiration ne lui donne pas l'impression de se noyer. Là, seulement, son corps se permet un petit gémissement plaintif. Elle sent la prise sur son bras se relâcher peu après. Mais sa question fait brûler un mélange d'incompréhension et d'indignation dans son regard. La seconde l'emporte d'une courte tête.
» Pourquoi je te donnerai rendez-vous ?
Elle serre les poings, obligée de s'interrompre à cause de la douleur qui lui dévore la poitrine. Qui commence doucement à lui brûler les yeux.
» C'est de ta faute ! C'est parce que tu es venue me voir, parce que tu as fait croire que je te faisais une déclaration, parce qu'ils pensent qu'on est amis...
Idiots. Imbéciles. Aveugles. Comment ont-ils pu croire une chose pareille ? Elle aurait voulu ne jamais le croiser. Ne jamais le rencontrer. Tout ça parce qu'il avait choisi un lieu public pour faire ses trafics. Tout ça...
» Tout ça... Tout ça, c'est à cause de toi !
Si elle ne crie pas, c'est pour ne pas rameuter ses agresseurs, mais elle n'en est pas loin. Les larmes qui lui serraient la gorge se sont invitées dans son regard. C'est la vraie elle qui parle, loin des masques et des faux-semblants. Si elle s'était écoutée jusqu'au bout, elle aurait hurlé. Mais une once de bon sens semble avoir survécu.
» C'est de ta faute s'ils sont là... C'est toi qu'ils veulent...
Ses bras se resserrent autour d'elle et elle baisse les yeux. Toute cette histoire l'épuise. Elle n'a pas la force d'affronter ça. Elle ne l'a jamais eue. Elle qui n'a jamais pu affronter l'absence de sa mère, comment pourrait-elle tolérer une chose pareille. Elle se tait, réfugiée dans ses propres bras, le regard rivé au sol. Puis un murmure.
» S'ils te trouvent, je serai tranquille...
Ce n'est pas une menace, ni même un constat. Plutôt un espoir, à la limite de la supplique pour un dieu auquel elle n'a jamais cru. Comme ça semble devenir une habitude quand elle le croise, sa voix est plus désespérée qu'autre chose.
Décidément, ces deux là semblaient condamnés à se retrouver dans des circonstances pour le moins... étranges ! Mais cette fois ci, la jeune Buchanan semblait en avoir marre de tout ça, et elle ne tarda pas à reprocher tout ce qui arrivait au Corbeau. Il lui fit face sans bouger, en plissant les yeux. Oui, certes, il avait sa part de responsabilité. Mais elle se déchargeait un peu vite de la sienne, et il ne tarda pas à le lui souligner: - C'est probablement moi qu'ils veulent, en effet ! Mais tu as ta part de responsabilité dans tout ça ! Si tu n'étais pas entrée dans ce bar pour te murger, si tu ne t'étais pas mêlée de ce qui ne te regardais pas dans le but de rechercher un frisson suicidaire, je n'aurais jamais posé les yeux sur toi et on en serait pas là, aujourd'hui ! Peut être que tu devrais te remettre un peu en question, toi aussi !
A cet instant, ses yeux semblèrent fixer le côté, et il exécuta soudain un bond en avant avant de poser sa main gauche sur la bouche de tessa et son index droit sur ses propres lèvres. Après quoi, il la poussa dans une petite alcôve toute proche d'eux, dans la ruelle. Ils se retrouvèrent alors à l'étroit, côte à côte, et quelques secondes plus tard, un duo de types armés passa tout près d'eux, sans les voir. Chris attendit quelques secondes de plus par sécurité, avant de quitter leur cache de fortune, après quoi il se tourna à nouveau vers la lycéenne. C'est alors qu'elle lui jeta en plein visage une phrase qui déclencha un déclic en lui: - » S'ils te trouvent, je serai tranquille...
Au delà du caractère particulièrement égoïste mais franc de cette phrase, le Corbeau fixa le visage de la brunette intensément tout en réfléchissant. Et puis, après plusieurs secondes de réflexion, il finit par répondre d'une voix tout à fait calme: - Oui... Tu as raison... Tu seras tranquille... Il fit demi tour, s'apprêtant alors à quitter la ruelle dans laquelle ils s'étaient cachés. Aucun doute sur le fait qu'ils ne devaient pas visualiser les choses de la même manière, mais Tessa venait de souligner un point intéressant: s'il les trouvait, ni lui ni elle ne seraient plus ennuyés par ces types. Plus jamais... - Reste ici ! Lui ordonna t'il soudain d'une voix devenue autoritaire. Tu pourrais prendre une balle perdue... précisa t'il en dégainant son arme dissimulée dans son dos. Je vais régler ça ! Une fois pour toutes ! Acheva t'il avant de disparaître de la vue de la jeune Buchanan.
Décidé à en finir, le Corbeau s'avança d'un pas souple et rapide jusqu'aux deux types qui étaient passés devant eux sans les voir. Ils s'étaient immobilisés un peu plus loin à un carrefour, et patientaient visiblement ici en attendant la suite. Rock remarqua d'ailleurs qu'ils possédaient un talkie walkie. Ils n'étaient donc pas que deux ? Le brun les observa encore quelques secondes, avant de prendre la décision de les attaquer. Ils étaient de dos, il possédait un ascendant idéal sur eux !
Il se déplaça à nouveau furtivement et rapidement avec une expertise palpable, aussi discret qu'une ombre, et parvint jusqu'à eux sans se faire entendre. Il les entendit alors discuter: - Tout ça commence à me faire chier... Combien de temps on va rester plantés là pour deux putains de morveux... - Des morveux introuvables, pour l'instant... C'est bien le problème... Ajouta le second. - Vous ne savez peut être pas où chercher... murmura Chris après avoir levé son arme vers la tête du premier homme. Avant même que le duo ne comprenne que leur proie s'était en fait transformée en prédateur et se trouvait dans leur dos, un premier coup de feu était parti, et l'un des deux hommes s'effondrait au sol, une balle dans la tête.
Quant au second, il se tourna en levant les mains, l'une tenant son arme, l'autre le talkie walkie. - Lâche ton arme ! Ordonna le Corbeau. L'homme hésita un instant, mais qd son regard croisa son complice baignant dans son propre sang, ses doigts lachèrent aussitôt leur étreinte, d'instinct. A cet instant, le talkie walkie crachota, et une voix lui demanda s'il s'agissait bien d'un coup de feu, à l'instant. - Dis leur qu'il n'y a rien à signaler ! Maintenant ! A nouveau, le type hésita, avant de rapprocher l'appareil de sa bouche, et de parler d'une voix un peu hésitante: - Po... Position 2, RAS. Ce sont des gosses qui jouent avec des pétards. - Bien reçu ! Restez en position !
Mauvais choix... Chris dévisagea l'homme avec un regard glacial, avant d'ajouter: - Merci... Et un second coup de feu traversa son crâne de part en part.
Elle ne peut pas finir sa phrase qu'il lui plaque une main sur la bouche pour la faire taire. Ses yeux hésitent entre se plisser et s'écarquiller. De quel droit lui fait-il la leçon ? Elle l'a entendu par accident, parce qu'il faisait ses traffics louches au beau milieu d'un bar. Si ça n'avait pas été elle, ça aurait pu être quelqu'un d'autre !
Oui, mais peut-être que quelqu'un d'autre n'aurait pas réagi comme elle. Elle sait qu'elle est bizarre, elle l'a toujours été, c'est pour ça que les gens la laissent tomber en permanence. Elle ne vaut pas la peine qu'on s'intéresse à elle ou qu'on essaye de la comprendre ; il n'y a rien à comprendre. Elle est folle, c'est tout. Et elle aurait mille fois préféré que cette balle finisse dans son crâne et non dans un pot de fleurs...
Coincée dans sa ruelle, beaucoup trop près d'un gars dont elle aurait préféré être la plus éloignée possible, Tessa roule des yeux. Si elle n'avait pas été aussi persuadée que leurs intentions étaient malsaines, elle sait qu'elle aurait pu essayer de lui échapper pour tomber sur ces types et les laisser l'achever. Mais quand on doit choisir entre la peste et le choléra, on fait un petit effort pour sélectionner le moindre mal. Elle n'est quand même pas sûre à 100% d'avoir fait le bon choix.
Ensuite, elle reste interdite comme s'il avait dit une énormité incompréhensible. Mais c'est le cas, non ? Comment ça, elle a raison ? Qu'est-ce qu'il a l'intention de faire, au juste ? Il la laisse sur une phrase tout sauf rassurante à ce sujet, et l'éclat à la fois hypnotisant et terrifiant d'une arme à feu. Celle qu'il a pointée sur elle ce jour-là en menaçant de la tuer... avant de changer de méthode.
Tu pourrais prendre une balle perdue. Tessa reste immobile dans sa ruelle le temps que son cerveau analyse l'information. Une balle perdue ? A-t-il l'intention de tuer ces gars ? Nul doute qu'ils n'ont pas eu la même interprétation de la dernière phrase qu'elle a prononcée, mais de là à... Mais venant de lui, est-ce qu'elle est vraiment surprise.
Tu pourrais prendre une balle perdue. Il va régler ça. Il réglera une partie de ses problèmes, non ? Jusqu'à ce que quelqu'un d'autre décide de les relier, de croire qu'ils se connaissent, de se servir d'elle pour l'atteindre lui. Même s'il les tue, ça ne sera qu'un sursis.
Tu pourrais prendre une balle perdue. Lentement, Tessa s'appuie contre le mur à deux mains pour s'en écarter. Oui... Pourquoi pas..?
Par quel miracle et pour quelle obscure raison elle a réussi à le suivre, seule une partie malade de son cerveau peut donner la réponse. Un instinct qui se tapit quelque part et qui la guide sur la trace des sons et des pas qui s'éloignent d'elle. Elle entend un coup de feu, une part trop silencieuse de son coeur frissonne, essaye de lui souffler de reculer, mais elle continue d'avancer. Elle continue jusqu'à apercevoir une silhouette à l'angle d'une rue. Deux, en fait. Son regard n'a pas le temps de se poser au sol qu'un deuxième coup de feu distille un poison dans ses veines. Elle regarde le deuxième homme s'écrouler, du sang noir dégoulinant sur ce qui reste de son visage. Ses yeux descendent sur les deux corps qui gisent un peu plus loin, aux pieds de quelqu'un qu'elle n'aurait jamais dû croiser. Mais ce n'est pas là qu'ils se fixent, ni même sur lui comme si, l'espace d'un instant, elle l'avait oublié. Lui et la peur qu'il inspire.
Elle se sent presque hypnotisée. Irrésistiblement attirée par la possibilité de rejouer la scène, rattraper une erreur, remettre les choses dans l'ordre. Elle s'approche un peu, lentement, à pas trop mesurés et trop précis. S'arrête près de lui, plante son regard dans ses yeux aussi gris que le reste.
» Pourquoi tu as fait ça ?
Sa voix a une intonation un peu étrange. Vide, éteinte. Elle sait très bien pourquoi il les a tué. Il l'a fait parce qu'ils étaient dangereux pour lui, parce qu'ils voulaient s'en prendre à lui, parce qu'ils le menaçait. Ce qu'elle sous-entend, en vérité, c'est une autre question. Pourquoi eux, mais pas moi ? Ou peut-être que c'est juste une forme de diversion pour poser son pied sur une des armes et la faire glisser jusqu'à elle. Mais, franchement, elle ne pense pas que ça marchera. Elle aurait dû rester cachée, attendre qu'il s'éloigne. Tout simplement.
Le Corbeau fixa le duo de sentinelles éliminées sans les voir, tout en analysant la suite de la situation. Il pensait avoir à faire au moins à trois, voire quatre autres types, mais la vérité, c'était qu'il ne pouvait être sûr de rien. Il ne faisait que supposer. Il sortit un autre objet de l'une de ses poches arrières, et commença à le visser sur son pistolet: il avait fait un peu trop de bruit en utilisant son arme, et même si ce quartier était plutôt déserté, il préférait éviter de trop se faire remarquer...
Soudain, il fit volte face et pointa son arme dans un réflexe sur la personne qui l'avait approché sans bruit: Tessa ! Encore et toujours, Tessa !
Il serra ses mâchoires avant de baisser son arme. Il ne l'avait pas entendue venir, ce qui constituait pour lui une grave erreur de compétences... - Je t'avais dit de rester en arrière... Tu nous mets en danger en venant avec moi. Et si ça ne te dérange probablement pas, moi ça me dérange ! Ne me gênes pas... Lorsqu'elle lui demanda pourquoi il avait fait une telle chose, il la fixa en plissant les yeux, avant de rétorquer d'une voix sombre: - Je fais ce qui doit être fait... Se contenta t'il de répondre d'une voix grave.
C'est alors qu'il remarqua du coin de l'oeil l'habile tentative de la lycéenne, qui tentait de s'emparer d'une arme. Immédiatement, son sang ne fit qu'un tour dans ses veines: il se précipita sur elle et se saisit de son menton avec sa main gauche, avant de la plaquer contre le mur le plus proche. - Ne me pousse pas à bout, Tessa ! Lui ordonna t'il d'un ton sans réplique. Je n'ai pas le temps pour tes conneries de fille névrosée, aujourd'hui ! Contrairement à toi, je tiens à ma peau ! Et ces types tirent de vraies balles ! Ils ne font pas semblant ! Il fit une légère pause, tout en fixant la jeune Buchanan droit dans les yeux, le temps qu'elle assimile bien ces informations, puis reprit: - Ils me tueront à vue, et toi avec, s'ils te voient avec moi ! Tu veux vraiment mourir ? Tout ça, ce n'est pas pour le show ? Ce n'est pas pour la galerie ? Alors vas y ! Fonce dans leur repère, les bras en croix, et attends ! Ils te donneront avec le sourire ce que tu sembles espérer et attendre depuis trop longtemps ! Seulement réfléchis bien ! Parce que lorsque tu y seras, et que ce sera leurs flingues qui seront pointés sur ta tempe, il sera trop tard pour t'interroger sur la valeur réelle que tu accordes à ta misérable existence !!
Chris lui cracha ces mots avec une hargne qui ne lui ressemblait pas. Ce n'était pas de la haine, c'était de la colère. Elle, qui contrairement à lui était une jeune fille plutôt mignonne et qui semblait avoir tout ce qu'il fallait pour devenir heureuse semblait passer son temps à chercher des moyens de se saborder. Et cela commençait profondément à l'agacer. Il lui cria dessus avant de relâcher sèchement son menton en faisant tomber la jeune fille à ses pieds. - Tu ne te rends pas compte... Tu crois que t'être tirée une balle dans la tête et avoir frôlé la mort une fois te permet de comprendre à quel point on peut s'enfoncer dans l'Abysse ?!
Il fit demi-tour et alla ramasser les deux armes sur les cadavres des hommes qu'il venait de descendre. Il se tourna à nouveau vers elle, en la dominant de toute sa hauteur, d'un air mauvais, avant d'ajouter: - Il est temps de voir à quel point tu tiens réellement à la vie, Tessa ! Je te donne l'opportunité de mourir, ici et maintenant ! A ces mots, il tendit une des armes ramassées à la jeune fille, crosse dirigée vers elle, avant de poursuivre: - Tu veux vraiment mourir ? C'est vraiment c'que tu veux ?! Alors vas y ! Je ne t'en empêcherai pas ! Fais le ! Imagine, Tessa: tous tes problèmes, résolus, en un clin d'oeil ! Ton alcoolisme, ton érotomanie, ton achromatopsie... Tout ça, résolu en un seul geste avec ce petit bijou ! Il suffit juste, que tu arrives à presser la gâchette !
Il recula d'un pas, comme pour lui fournir l'espace vital, avant d'ajouter: - Allez, Tessa, FAIS LE !
Il a raison, au fond. Ça ne la dérange pas, de les mettre en danger. Elle ne tient pas à la vie plus que ça, et elle se fiche des risques qu'il prend. Si elle vit et qu'il meurt, elle se débarrasse d'un problème. S'il vit et qu'elle meurt, elle se débarrasse du problème. Mais elle pose quand même sa question. Sa piètre tentative de diversion tandis qu'elle essaye de récupérer une arme. Pour quoi ? Qui ? Elle ou lui ? Elle n'a pas le temps de vraiment chercher la réponse qu'elle sent une main se refermer sur sa mâchoire, un mur frapper contre son dos et lui couper le souffle.
Le temps de retrouver l'air qui lui a été soustrait par le choc, elle l'entend crier. Les mots la frappent sans vraiment l'atteindre. S'il n'a pas le temps pour ses conneries, pourquoi il ne l'a pas juste laissée prendre cette arme et en finir une bonne fois pour toutes ? Pendant l'instant de silence, elle relève les yeux. Son regard se vide à mesure qu'il continue de lui cracher une colère qu'elle n'a jamais entendue, même la fois où il était proche de lui tirer dessus. Alors il pense qu'elle fait semblant ? Qu'elle prétend vouloir mourir simplement pour s'attirer la sympathie des gens ? Peut-être que c'est ce qu'elle aurait dû faire. Est-ce que ça aurait mieux marché que son comportement habituel ? Sa façon de s'adapter à tout le monde ? Peut-être. Maintenant qu'elle est seule, c'est un peu tard pour y penser.
La pression sur son menton se relâche subitement et elle n'a pas le temps d'assimiler l'information. Ou plutôt, ses jambes n'ont pas le temps d'assimiler que tout repose désormais sur elles. Elles se dérobent, la laissant se débrouiller seule, comme tout le monde, et elle se retrouve par terre, à genoux, les poings serrés sur ses cuisses.
» Bien sûr que je me rends compte...
Elle réalise bien plus de choses qu'on ne veut bien lui dire. Elle sait qu'elle est malade, qu'elle est folle, que l'attraction qu’exercent les armes à feu sur elle est tout sauf saine. Elle sait qu'elle est égoïste, égocentrique, détestable. Elle sait que ce monde n'a jamais été un endroit pour elle. Un monde où personne ne reste, où l'abandon est la seule valeur partagée par tous les êtres humains. Tout le monde l'a toujours abandonnée, n'a-t-elle pas le droit d'abandonner ceux qui restent ? Qui la pleurerait, de toute manière ?
Elle n'a pas envie de se relever. Elle n'a même pas envie de lever la tête. Pourtant, quand elle l'entend s'éloigner, son corps agit malgré elle. Ses mains s'appuient contre le sol, puis le mur, pour lui donner une impulsion suffisante. C'est debout et presque affalée contre les briques qu'elle voit une arme apparaître dans son champ de vision. Ses yeux se relèvent, sa tête reste immobile. Son bras n'attend même pas qu'elle réfléchisse ; elle a déjà refermé ses doigts sur la crosse de l'arme avant qu'il ait fini sa phrase. Un sourire amer se dessine malgré tout sur ses lèvres, suivi d'un murmure tout aussi vide d'émotions.
» Si tu penses que c'est ça, mes problèmes, c'est que tu ne me connais pas aussi bien que tu as l'air de le croire...
Ces trois choses ne sont que des conséquences, pas des causes. Conséquences de quelque chose de bien plus profond qu'une maladie, plus que le résultat d'un tir raté, plus qu'une pommade plus destructrice que réparatrice. Elle s'apprête à poser l'arme contre sa tempe, s'arrête. Non. La dernière fois, c'est comme ça qu'elle a survécu. C'est comme ça que le monde est devenu plus gris et plus noir qu'il ne l'était déjà. La main qui le dirigeait vers le haut de sa tête fait brusquement volte-face, place le canon dans sa bouche et presse la détente. Sans même une demi-seconde d'hésitation.
Alors que les secondes défilaient, le brun improvisait au fur et à mesure, sans trop savoir exactement où il se dirigeait avec cette fille, cette Tessa. Alors qu'il l'avait surprise en train de tenter d'attraper une arme en cachette, il l'avait observée, détaillée: cette lycéenne n'était plus à présent qu'un risque pour lui ! S'il avait dû voir les choses comme Black Thorn lui avait toujours appris à le faire, il n'y aurait pas eu à hésiter une seconde: cette fille représentait désormais un danger suffisamment grave pour qu'il doive s'en débarrasser... Elle avait été témoin de sa capacité à ôter la vie. Sa capacité... à tuer...
Mais finalement... Peut être qu'il n'aurait pas à agir ainsi avec elle... Une idée étrange avait germé dans son esprit lorsqu'il avait fait demi-tour afin de ramasser l'arme qu'il lui avait tendue ensuite. Mais pas avant d'avoir pris soin de décharger l'arme... Un professionnel entraîné aurait rapidement noté la différence de poids de l'arme, mais pas quelqu'un comme Tessa. Elle avait pris l'arme, fascinée de façon presque morbide par celle-ci, et l'avait appuyée contre sa tempe, sous le regard de marbre du Corbeau, qui la fixait sans broncher. La jeune fille semblait considérer cela comme une sorte de défi, et y répondre aussitôt, comme si elle était encore plus motivée par le possible fait que Chris ne croie pas au fait qu'elle ne soit pas capable d'aller jusqu'au bout.
L'assassin, de son côté, observait attentivement les moindres de ses tics et réactions, en tirant de précieuses informations sur elle. Devant l'absence de réaction de l'universitaire lorsqu'elle pointa l'arme sur sa tempe, Tessa mit alors le canon directement dans sa bouche, comme si elle était encore plus vexée par l'absence de réaction de son interlocuteur. Le brun sentit son sang bouillir dans ses veines: il avait l'impression de jouer au chat et à la souris, à un mindgames, et cela attisait ses instincts, déjà échaudés par les deux meurtres qu'il venait de commettre une poignée de minutes plus tôt. Il était conscient que le temps pressait, mais il ne pouvait pas presser la jeune Buchanan. C'était un instant fatidique, important... - Je n'pense rien... Ce n'est pas moi qui tiens l'arme... la provoqua t'il simplemennt sans bouger.
L'instant d'après, Tessa pressait la détente sous le visage de marbre du Corbeau. Visage de marbre dont l'expression se fissura aussitôt: il plissa les yeux et serra fort les mâchoires tandis que dans l'esprit de la jeune fille, ce devait être un maëlstrom d'imcompréhension. Pourquoi ça n'avait pas tiré ?! Que se passait il ?! Qu'avait il encore fait ?! Chris ne lui donna pas l'occasion de réfléchir très longtemps: environ cinq secondes après qu'elle ait appuyé, il fondit sur elle et lui arracha l'arme des mains avant de la gifler violemment d'un puissant revers de main. - Idiote ! Tu croyais vraiment que j'allais prendre le risque de te donner une arme chargée ?!
Il sortit alors un chargeur de sa poche, et chargea l'arme sous les yeux de la jeune fille. Il la fixa alors, avant d'ajouter: - Tu vas être ravie, Tessa... Je te crois, maintenant... Tu m'as convaincu ! Je crois bel et bien que tu veux mourir ! Seulement, tu vois... Moi, je ne tiens pas à mourir ! Je ne peux pas te laisser aller voir ces types, pour la simple et bonne raison qu'ils ne te tueront pas. Ils t'utiliseront comme appât ! Pour m'avoir, moi ! Et tu vois, je tiens à ma liberté !
Le Corbeau pointa soudain l'arme chargée droit sur le crâne de la jeune lycéenne, avant qu'un sourire narquois, et mauvais, n'ourle ses lèvres: - Cette scène a comme un goût de déjà vu... N'est ce pas, Tessa ? Il fit un léger break, avant de poursuivre: - Bon, soyons sérieux... Je vais te parler franchement... Je vais tuer ces types... Tous ! Comme les deux autres ! De la même façon ! Alors de deux choses l'une, soit tu fais en sorte de ne pas être dans mes pattes, et tu ne risques pas ma vie inutilement, et tu fais ce que tu veux... Soit je mets fin à ton existence ICI, et MAINTENANT ! Choisis, Tessa ! Mais choisis vite !
Évidemment, que l'arme n'est pas chargée. Pourquoi s'est-elle permise de penser autre chose, même l'espace d'une seconde ? Sans doute une forme d'espoir. Au fond, quoi qu'il en pense, elle n'a pas peur de mourir. Elle ne fait pas ça pour le spectacle, pour les autres : au contraire, pour les autres, elle est normale. Elle sourit, elle va bien, et personne ne vérifie le contenu de ses bouteilles. C'est sans doute mieux comme ça. Elle a déjà assez de psys sur le dos, assez de questions, assez de présomptions. Oui, elle est malade.
La gifle la sort de ses pensées avec une violence beaucoup trop inattendue, suffisamment pour faire ressortir les larmes qu'elle ravale depuis bien trop longtemps. Elle se recroqueville, la main plaquée sur sa joue et le visage repliée contre elle, sans un mot, sans essuyer l'eau qui coule sur son visage. Au moins son corps a-t-il la décence de ne pas sangloter et de la laisser cacher cet état, encore plus pitoyable que celui dans lequel elle est déjà au quotidien. En quoi est-ce surprenant que personne ne l'apprécie, finalement ? Elle n'est rien qu'un vide caché derrière un sourire. Elle a envie de répondre qu'elle ne le croyait pas, mais qu'elle a voulu l'espérer. Que l'espace d'une seconde elle s'est permise d'avoir ce genre de sentiment. Mais à quoi bon ? Ce n'est pas comme s'il en avait quelque chose à faire.
Tessa ne relève même pas la tête en l'entendant recharger son arme. Elle le voit, à travers la masse de cheveux noirs qui lui atterrit sur le visage. Elle entend ses paroles et un rictus amer se dessine sur ses lèvres. L'utiliser comme appât ? Et alors ? Ce n'est pas comme si leur appât allait fonctionner. Il n'a aucune raison de venir la sauver, sinon il ne s'amuserait pas à lui pointer un flingue au visage à chacune de leurs rencontres. Elle lève les yeux.
» Tu n'as qu'à pas venir me chercher. Ils finiront par se rendre compte que je ne leur sers à rien…
C'est pourtant simple, non ? Un appât ne fonctionne que si la cible peut mordre à l'hameçon. Ses yeux se fixent sur l'arme pointée sur son crâne. Comme la dernière fois, l'idée qu'il la tue ne l'effraie pas tant que ça. Il pourrait la blesser, comme il a déjà menacé de le faire. Mais la première fois, il cherchait des infos. Là, il veut quoi ? Qu'elle lui fiche la paix pendant qu'il va tuer des gens ? Eh bien, ok. Même si l'idée qu'il presse la détente et qu'il mette fin à la mascarade de sa vie est tentante, elle ne s'abaissera pas à le lui demander. Et une part d'elle, profondément enfouie, n'a pas le courage de le provoquer pour qu'il le fasse de lui-même. C'est ce qu'elle a fait la dernière fois, après tout. Inconsciemment, peut-être, mais il l'a compris tout de suite, et il le comprendra tout autant. À moins qu'elle ne le supplie, il ne la tuera pas. Et elle préfère encore vivre un millier d'années que d'en arriver là.
» Je n'ai pas l'intention de venir te voir tuer des gens…
Sa voix est vide, dénuée d'expression, comme lors de sa phrase précédente. Elle ne sait même plus ce qu'elle veut. L'espace d'un instant, elle a cru qu'elle allait mourir, et que tout serait résolu. Mais elle est visiblement tombée sur quelqu'un d'encore plus sadique et tortionnaire qu'elle se l'imaginait. S'il ne veut pas la laisser mourir, comment peut-il croire que l'arme qu'il pointe sur elle la fera trembler ? Pour une raison qui lui échappe totalement, il semble avoir envie de la sauver. Ironique.
» Ajoute le sang que tu veux sur tes mains.
Même si, visiblement, il ne semble pas vouloir rajouter le sien. Elle a du mal à croire en une telle réticence de la part d'un gars capable de tuer avec précision deux hommes, sans le moindre semblant de remords. Sans doute est-ce parce qu'elle le souhaite. Les vrais tueurs cherchent des gens qui leur résistent, des gens qui veulent vivre. Elle ne doit sans doute pas assez plaire à son instinct.
La valse immorale et mortelle de deux adolescents se situant toujours de part et d'autre d'une arme à feu. Une jeune fille désirant ardemment mourir sans toutefois avoir suffisamment de courage pour aller arracher sa mort, face à un assassin donnant la mort autour de lui, se refusant à prendre la vie d'une jeune fille comme Tessa tout en cherchant désespérément à la protéger d'elle même à traver ses méthodes brutales et coercitives. Une énigme étrange. Un duo maudit possiblement voué à se retrouver dans les ennuis à de nombreuses reprises chaque fois qu'ils se retrouveront ensemble ? Difficile à dire, mais quoi qu'il en soit, ce petit manège commençait à remonter loin et à devenir habituel, désormais, pour eux...
Lorsqu'enfin le Corbeau obtint une réponse à sa question, il eut un léger sourire satisfait tout en baissant le bras qui tenait son arme, avant de répliquer: - Prends la ruelle derrière toi pour quitter les lieux. Ce sera plus prudent... - Ajoute le sang que tu veux sur tes mains, ne put s'empêcher d'ajouter la lycéenne, comme une ultime tentative de provocation du bout des lèvres. Chris eut un léger sourire amusé, avant de secouer légèrement la tête de gauche à droite. - Tu n'es pas invitée au buffet... Allez, file, maintenant ! Et ne te retourne pa...
Soudain, un violent coup l'atteignit derrière le crâne, et il s'effondra aux pieds de Tessa en roulant sur plusieurs mètres, révélant deux hommes qui venaient d'attaquer le Corbeau par derrière, en profitant du fait qu'il avait baissé sa garde pour l'abattre. - Eh bien, eh bien, eh bien... Notre fameux assassin n'est peut être pas aussi bon qu'on le pensait après tout... Commenta l'un d'eux en s'approchant du corps de Chris, toujours dans les vapes, avant de lui donner un puissant coup de pied dans le ventre, qui le réveilla aussitôt, tout en le faisant se recroqueviller sur lui même, à terre. - Debout, Raven ! Ca fait un bail qu'on te cherche ! Commenta le second type, une arme à la main, pointée vers le sol. - T'es sourd, gamin ?! Debout on t'a dit !! Répéta le second type en le cognant à nouveau, au visage, cette fois.
Chris roula sur le côté, avant de se forcer à se redresser. Sur les genoux d'abord. La respiration haletante, il se redressa et essuya le filet de sang qui coulait le long de sa lèvre. - C'est ça, Raven ! Lève toi ! T'es foutu ! Et ta p'tite copine aussi, ajouta le second type en revenant se placer aux côtés de son complice qui tenait l'arme.
Tout en conservant son calme, et malgré les mauvais coups qu'il venait de prendre, Chris répliqua d'un ton étrangement calme: - Vous oubliez peut être de prendre en compte... mes... ressources secrètes... murmura t'il en levant lentement les mains.
Lorsqu'il effectua son geste, son tshirt se leva très légèrement, mais Tessa qui était juste derrière lui put apercevoir une arme qui était rangée dans son dos, au niveau de son pantalon. La même arme qu'il avait rangée lorsqu'il avait ramassé la seconde, qu'il avait ensuite désarmée et tendue à la jeune lycéenne. Dans le feu de l'action, le duo d'assaillants n'avait pas pris la peine de fouiller l'assassin. Ils l'avaient désarmé après l'avoir pris par surprise, sans se douter qu'il portait une deuxième arme sur lui.
Etant donné la situation, Chris ne pouvait pas dégainer lui même, et tirer, car les deux hommes étaient beaucoup trop focalisés sur lui. Tessa représentait donc désormais leur seule chance de s'en sortir vivants. Mais pour ça, il lui fallait s'emparer de l'arme, et tirer sur ces inconnus. Et puis, il fallait aussi que la jeune Buchanan veuille s'en sortir, ce qui n'était pas non plus gagné... Le Corbeau venait de lui donner une chance de les tirer de là. Mais allait elle la saisir, ou bien... ?
Pourquoi est-elle restée ici ? Pourquoi l'a-t-elle suivi ? Dans l'espoir futile de prendre une balle perdue ? Sans doute. S'il n'avait pas prononcé ces mots, elle n'aurait pas bougé de cette ruelle, elle ne serait pas venue jusqu'ici pour le voir tuer deux personnes, lui donner un faux espoir puis la menacer d'une arme. Elle aurait pu choisir, là, de mourir. Mais elle ne s'abaissera jamais à le lui demander. Et une part d'elle lui souffle qu'il ne le fera pas, de toute façon. Comme si, au fond, il ne voulait pas qu'elle meure.
Il lui dit de partir, et elle n'a pas d'autre motivation que de l'écouter. Que peut-elle faire d'autre ici, de toute manière ? Attendre qu'il parte pour prendre une arme ? À quoi bon ? Même ça, elle n'en a pas la force. Elle n'a eu cette motivation que parce qu'il a mis ce flingue entre ses mains. Tendre le bras pour en attraper un, vérifier qu'il est chargé, et tirer, c'est trop d'effort. Avec un soupir, elle se relève et regarde derrière elle. Fuir... C'est ce qu'elle aurait dû faire la première fois qu'elle l'a rencontré. Mais l'alcool l'avait empêchée de réfléchir.
Au final, tout aurait pu s'arrêter là. Mais au lieu de juste la laisser partir et de lui tourner le dos pour s'en aller lui aussi, le sort lui a réservé un autre destin. Il s'effondre subitement et elle reste là, figée par un sentiment qu'elle n'arrive pas à identifier. Une fêlure dans l'image qu'elle avait de lui, le gars infaillible qui s'écroule. Mais elle ne se sent pas mieux pour autant. Quitte à ce qu'il tombe et disparaisse, elle aurait préféré que ce soit loin d'elle.
Tessa ne bouge pas d'un millimètre, les yeux rivés sur la scène. Elle ne sait pas quoi faire. Elle est autant en danger que lui. Mais les mots qu'il lui a dit un peu plus tôt ne quittent pas son esprit. "Ils ne te tueront pas". Bien sûr, il a dit ça parce qu'elle aurait été leur appât. Mais au fond... N'a-t-il pas raison ? Pourquoi la tueraient-ils ? Les hommes comme eux savent toujours faire pire. S'ils veulent lui soutirer des informations, ils pourraient encore se servir d'elle. Plusieurs images lui viennent en tête. Elle serre les dents. Elle ne veut pas souffrir. Elle ne veut plus souffrir, elle a déjà largement dépassé son seuil de tolérance, sinon ce canon n'aurait pas fini dans sa bouche, il y a quelques minutes à peine.
Elle est trop immobile, et lui est trop calme. À quel point a-t-il l'habitude de se retrouver dans ce genre de situation ? Et pourquoi se retrouve-t-elle dedans avec lui ? Tandis qu'il se relève, elle continue de réfléchir, son cerveau carburant pour la première fois depuis des siècles, comme un vieux rouage qui peine à se remettre en marche. Qu'est-ce qu'elle risque ? Trop de choses autres que la mort pour s'y risquer. Qu'est-ce qu'elle gagne ? La survie de la personne qui l'effraie le plus sur cette Terre. Maintenant pèse le pour et le contre. Vite.
Il se lève, obéissant à l'injonction de son agresseur, sur une phrase qu'elle peine à comprendre. Des ressources secrètes ? Il ne peut pas parler d'elle, si ? Elle n'a rien d'une ressource, et elle n'est certainement pas capable de les sortir de cette situation. Pourtant, quand il lève les mains, elle aperçoit une arme dans son dos.
Non. Non, elle ne peut pas faire ça. Il ne peut pas décemment compter sur elle pour faire ça. Elle ne sait pas s'en servir. La seule personne sur qui elle a jamais tiré, c'est elle-même. Ce n'est pas comparable ! Jamais elle ne pourra... Elle n'est pas comme lui. Si elle prend cette arme, elle se fera simplement tirer dessus. Une idée tentante, si le regard des hommes face à eux ne lui indiquait pas clairement qu'ils atteindraient tout sauf sa vie. Un souffle légèrement angoissé lui échappe. Jamais elle ne s'est sentie aussi piégée. Impuissante. Elle est incapable de faire ce qu'il semble attendre d'elle. Quel choix lui reste-t-il ?
» Laissez-moi partir... Je n'ai rien à voir avec lui...
"Regardez-moi. Regardez-moi juste une minute". Elle aurait dû crier, attirer plus l'attention, mais elle n'a réussi qu'à parler avec une voix vaguement tremblante. Peu importe. Elle veut attirer leur attention, juste attirer leur attention...
» Vous l'avez, maintenant ! Je ne vous sers plus à rien.
Oui, elle risque de se faire descendre avec ce genre de phrase. Et alors ? Au mieux elle fait une diversion suffisante, au pire il mourra. Non ?
Impassible, la pommette droite et l'arcade sourcillière ainsi que la lèvre gauche en sang, le Corbeau demeurait immobile, à l'affût de la moindre réaction, du moindre bruit, lui parvenant. Il paraissait tout à fait calme malgré la situation, mais en réalité, les battements de son coeur s'étaient accélérés depuis qu'il avait "confié" sa survie à la jeune Buchanan. Il savait désormais à quel point elle pouvait se montrer instable et facile à effrayer, et il savait à quel point elle pouvait se montrer égoïste. Et tandis que Tessa le décevait une nouvelle fois, et commençait à chouiner, le brun cherchait déjà un autre moyen de les tirer de là tous les deux, et en vie ! Seulement, tant que le second type pointant une arme se focalisait toujours sur lui, il ne pouvait rien faire du tout. C'était trop dangereux.
C'est alors qu'un incident pour le moins... imprévu... se produisit ! L'homme qui avait tabassé Chris au sol, qui paraissait clairement le plus instable des deux, psychologiquement parlant, se tourna vers la lycéenne lorsqu'elle se mit à supplier pour sa survie, et une lueur étrange traversa son regard. Une lueur que l'assassin reconnut immédiatement, pour l'avoir déjà vue auparavant... Il dégluttit avec difficulté, tout en demeurant immobile, et en priant pour avoir mal vu. Mais très vite, ses soupçons s'avérèrent fondés... Le tueur s'approcha de la jeune Buchanan avec une démarche étrange de baroudeur, avant de lui rétorquer d'une voix un peu mielleuse, et du genre à franchement faire peur: - Qu'es-tu prête à m'offrir en échange de ta liberté, ma beauté ? Lui demanda t'il alors en dépassant Chris qui le surveillait du coin de l'oeil en faisant son possible pour conserver son visage de marbre.
Le type s'approcha de Tessa et lui caressa le bras tout en lui tournant autour et en lui murmurant des phrases flippantes, et de plus en plus suggestives, tandis que son partenaire sentait la gêne montait en lui. Il ne tarda d'ailleurs pas à lui faire remarquer: - Steve ! On n'a pas le temps pour ça maintenant ! - La ferme ! Rétorqua aussitôt l'intéressé d'une voix tranchante.
Il saisit alors le poignet de la jeune fille sous l'oeil de son partenaire, toujours mal à l'aise, tandis que Chris sentait qu'il y avait peut être un coup à jouer. Il ressentait le malaise du type armé, et était bien décidé à tenter quelque chose pendant que l'autre s'intéressait à Tessa de "plus près". - Tu comptes laisser ton ami devenir un violeur d'enfants ? Une gamine, qui n'est même pas majeure ? Oui, Tessa était majeure. Mais cela, ils ne pouvaient pas le savoir, et tout ce qui pouvait jouer en faveur de l'universitaire pour tenter de convaincre l'homme armé de stopper son partenaire dans sa tentative d'agression était le bienvenu. - La ferme, toi ! Coupa l'inconnu d'une voix nerveuse.
Dans le dos de l'assassin, les voix s'élevaient de plus en plus, mettant de plus en plus la pression à Chris qui se concentrait pour conserver son sang froid. - Tu sais que tu vas devoir la tuer ? Tu ne pourras pas laisser de témoin civil après l'avoir violée, pas vrai ? Tu devras tuer une gamine que Steve aura violée et souillée... - Je t'ai dit de la fermer !! Hurla alors l'homme en faisant un pas vers Chris qui se tut immédiatement, comprenant que sa cible était proche de son point de rupture. Steve !! Ca suffit ! Arrête ! On n'est pas là pour ça, bordel !!
C'est alors qu'il commit l'erreur. L'erreur fatale, que le Corbeau guettait.
L'homme fit un pas de plus en direction de Chris afin d'attirer l'attention de son compagnon qui semblait beaucoup trop occupé avec Tessa, et jaugea mal la distance qui le séparait encore de l'assassin. Jugeant qu'il était désormais temps d'intervenir en voyant son bras tremblant, le jeune assassin chargea sur son ennemi tout en exécutant un petit pas de côté et se retrouva sur le côté. Il lui donna un coup de coude dans le ventre, ce qui lui fit lâcher son arme sous l'effet de la surprise. Aussitôt, Chris s'en saisit au vol et s'écarta de l'homme avant de lui tirer une balle dans la tête. Son crâne éclata, et l'homme s'effondra mollement au sol.
L'assassin fit demi-tour, et s'approcha alors lentement de Tessa et de son agresseur tandis qu'un silence de mort s'était à nouveau abattu dans la ruelle. Il leva son arme en direction de l'ennemi survivant, et le fixa avec un visage sans expression: - Lâche la, Steve ! Tout de suite !
Qu'es-tu prête à m'offrir en échange de ta liberté ? Tessa ne le regarde même pas. Elle ignore totalement et radicalement l'homme qui vient de s'adresser à elle et garde les yeux rivés sur celui qui, depuis leur rencontre, n'a eu de cesse de lui faire peur. Elle veut voir le moment où il aura l'occasion de bouger, où il se décidera à le faire. Ses mots n'étaient qu'une diversion et, maintenant que l'idée a germé dans son esprit, elle ne se prive pas pour prendre toute la place. C'est à peine si la jeune fille réagit en sentant une main se poser sur son bras et, plus que le tressaillement auquel s'attendait sûrement le type en question, c'est un mouvement réflexe pour le repousser, comme on chasserait une mouche. C'est seulement le cri qu'il pousse à l'attention de son camarade qui détourne un instant le regard de Tessa et l'incite plus d'une seconde à poser les yeux sur lui. Elle s'en fiche, ce n'est pas lui qui tient l'arme. Ce n'est pas auprès de lui qu'elle voulait faire diversion.
» Dégage...
À peine un murmure, tandis qu'elle essaye de récupérer son poignet. Pourquoi lui fait-il tellement moins peur ? Pourquoi ne lui inspire-t-il, au mieux, qu'un vague agacement ? Son cerveau a du mal à analyser les informations, lui qui l'a toujours fait avec une facilité déconcertante. Il est collé contre elle, un bras autour de sa taille, elle sent une haleine qui lui aurait donné un haut-le-cœur instantané il y a quelques mois et qui lui rappelle qu'elle a trop d'alcool dans le sang pour tolérer correctement une nausée, mais elle reste trop figée. Stoïque. Depuis qu'elle a pressé la détente de ce flingue pointé dans sa bouche, les émotions brutes qui la gouvernent depuis quelques mois ont reculé, pour laisser à son cerveau trop analytique le droit de revenir sur le devant de la scène. Pas le moment le plus adapté pour ça.
» Tu n'es pas très gentille, souffle une voix à son oreille, pour quelqu'un qui veut survivre. » Tu n'as pas de flingue à pointer sur ma tempe pour m'y forcer.
Et à vrai dire, s'il en avait eu un, elle aurait sûrement fait de son mieux pour être encore plus désagréable, histoire qu'il presse la détente une bonne fois pour toutes. Elle s'efforce de ne pas réagir en sentant une main se glisser sur sa hanche. Ce genre de type cherche des réactions. De la peur, la plupart du temps. Elle n'est pas assez naïve ni assez détachée de la réalité pour ne pas savoir ce qu'il veut. Mais elle se sent anesthésiée. Elle n'arrive pas à avoir peur comme elle le devrait. Ou elle ne le montre pas. Le masque reprend les droits qu'elle lui avait enlevés.
» Tu ne resteras pas calme aussi longtemps. Je croyais que tu voulais partir, que tu voulais qu'on te laisse t'en aller ? Il faudrait peut-être te montrer un peu plus coopérative...
Le bas de sa robe frémit un instant et elle détache une seconde fois son regard du type armé qui n'a pas bougé. Tessa analyse, à nouveau, comme elle le faisait quand elle ne noyait pas ses capacités cérébrales dans le whisky et la vodka. Tu comptes laisser ton ami devenir un violeur d'enfants ? Elle voulait une diversion, elle l'a, même si elle aurait préféré quelque chose de plus direct et dépendant moins des talents de conversation de quelqu'un d'autre. Un souffle dans son cou renforce la nausée qui lui serre l'estomac.
» Je n'ai pas peur de toi, lâche-t-elle d'une voix froide.
Mais elle a volontairement laissé celle-ci monter un tout petit peu plus dans les aigus pour qu'il puisse s'imaginer qu'elle ment. Attirer l'attention, détourner l'arme, être une diversion. Elle peut faire ça sans problème. Elle a toujours été meilleure en théâtre qu'en humanité.
» Peut-être que tu devrais...
Sa voix doucereuse à la con lui tape sur les nerfs. Une partie d'elle a simplement envie de lui planter ses ongles dans les yeux et de le laisser hurler sur place. La main qui remonte sur sa cuisse lui rappelle que cette voix n'est pas seule et devrait être le dernier de ses problèmes. Au lieu de viser ses yeux, ses doigts se serrent autour du poignet accroché à celle-ci. Il ricane en contrant sans problème le peu de force qu'elle est capable de lui opposer. Et elle, elle rappelle à son esprit des souvenirs et des images pour réveiller un peu ses capacités rouillées par l'alcool. Le mensonge, le théâtre, la comédie. Feindre des émotions, elle sait faire. La peur ? Rien de plus simple. Elle n'a qu'à lever les yeux pour trouver quelqu'un qui a su lui rappeler le goût qu'elle avait.
Une main qui se referme sur son bras. Le son et la sensation d'un casier contre son dos. Un regard glacial qui lui gèlerait même les os s'il lui en prenait l'envie. Une menace. L'indignation et la peur qui brûlent dans ses souvenirs sont suffisantes pour lui tirer un frisson, renforcé par la nausée de cette haleine trop près de son visage, et donner plus de crédibilité au ton de sa voix. Elle se débat un peu. Plus. Assez pour le sentir raffermir sa prise sur sa jambe et celle qui l'enserre. Puis elle ouvre la bouche pour autre chose que le mépriser.
» Lâche-moi !
Steve !! Ca suffit ! Arrête ! On n'est pas là pour ça, bordel !! Bingo. Elle relève la tête d'un coup, ravale le sourire satisfait qui n'a rien à faire dans cette situation. Une diversion plus efficace que la première. Ça ne l'empêche pas de frémir, pour de vrai cette fois, et de sentir sa nausée s'accentuer bien trop brutalement en entendant le coup de feu et en voyant s'écrouler le corps du premier gars. Ne reste que le deuxième, celui qui la tient et qui fixe son ami comme s'il ne croyait pas à sa mort. Réalise-t-il que c'est de sa faute ?
Comme il ne la lâche pas mais ne la surveille pas non plus, le regard courant entre son allié et l'arme pointée vers lui, il ne comprend pas tout de suite d'où lui vient la violente sensation douloureuse dans son estomac. Mais il recule d'un coup, par réflexe, et Tessa s'écarte en se frottant l'épaule, peu habituée aux mouvements brusques et secouée par le soudain coup de coude qu'elle vient de donner. Elle s'éloigne, de l'un comme de l'autre. Un peu à l'écart, les bras serrés autour d'elle, fermant les yeux comme si ça allait l'empêcher d'entendre le coup de feu qui ne tardera sûrement pas à suivre. Qu'est-ce qu'elle fait là, exactement ? Pourquoi elle, de toutes les personnes qui auraient pu s'y retrouver mêlées ?
Un instant d'hésitation, un regard échangé avec le Corbeau, mais très vite, le dénommé Steve relâcha sa proie... Car même si son instinct de survie n'était pas très développé, l'aura puissante dégagée par Chris suffît à éteindre ses pulsions sexuelles comme un courant d'air aurait soufflé une chandelle. Un silence de mort s'abattit alors sur le trio, tandis que la lycéenne s'éloignait lentement d'eux. L'universitaire baissa tout doucement son arme sans jamais quitter des yeux l'homme qui venait de tenter d'agresser Tessa. Il espérait, ce salopard... Il s'accrochait à la vie, Chris le sentait, derrière son visage de marbre. Il surveillait ses actes, et ses paroles. C'est pourquoi le silence s'était abattu depuis que son compagnon s'était fait exploser le crâne. Il avait l'espoir que l'assassin qu'il avait en face de lui l'épargnerait peut être, pour une raison inconnue...
Sans mot dire, le Corbeau dévisagea longuement sa cible. Il le haïssait... A tel point que lui exploser la cervelle ne serait probablement pas suffisant pour calmer cette colère qui bouillonnait dans ses veines. Le jeune homme se foutait de beaucoup de choses... Mais l'agression sexuelle était un acte qu'il abhorrait par dessus tout... Il continua à détailler Steve, et lentement, très lentement, l'expression de son visage se transforma, passant de la neutralité la plus complète à celle de la haine pleine et entière. Alors, avant même que Chris ne pointe à nouveau son arme dans sa direction, l'homme sut qu'il était foutu. Il dégluttît avec difficulté, avant de finalement craquer: il fit volte face et se mit à courir sous le regard de l'assassin qui leva lentement le canon de son arme dans sa direction, tout en plissant les yeux. Un nouveau coup de feu retentît, et Steve s'effondra dans les poubelles, un trou dans la tête.
Chris baissa à nouveau son arme avant de s'intéresser à nouveau à la jeune Buchanan, après ce long et terrifiant silence. Il hésita alors sur la conduite à adopter. Il pourrait lui reprocher ses actes, sa trahison, sa façon de retourner sa veste... Mais finalement... Etait il si surpris que ça ? S'attendait-il à autre chose venant d'elle ? Et puis, par ailleurs, tout cela était beaucoup trop pour quelqu'un qui ne faisait pas partie de... "son monde". Il se doutait qu'elle n'aurait pas le cran de l'aider, qu'elle ne serait pas capable de le faire. Lui avait été crée pour ça, il avait été conditionné pour être une arme. Contrairement aux apparences, il n'avait rien d'un étudiant ordinaire. Il n'avait rien d'un étudiant tout court, en fait... Et il n'en serait jamais un ! Il plongea longuement son regard de brume dans les yeux de Tessa, avant de soupirer : - Tu ferais mieux de te barrer, à présent... Tu n'as rien à faire ici ! Les gens comme toi ne peuvent pas comprendre ! Reste de l'autre côté, pendant que tu le peux encore... Lui lança t'il d'une voix un peu dure.
Il s'avança jusqu'au compagnon de Steve, et ramassa un talkie walkie crachotant sur une fréquence différente de celui que le Corbeau possédait déjà sur lui, ce qui signifiait qu'ils avaient déjà changé de fréquence, probablement parce qu'ils se savaient écoutés. Ou du moins, parce qu'ils le soupçonnaient... - Hal' ? Steve ? Vous l'avez eu ? Comment ça se présente ? Crachota l'appareil tandis que Chris écoutait attentivement les paroles. Comprenant qu'il restait encore d'autres cibles à abattre, le Corbeau rechargea son arme, avant de se retourner une dernière fois vers Tessa: - Ne t'en fais pas, je vais régler ça... D'ici ce soir, tu pourras oublier toute cette histoire, et moi avec !
Là dessus, le mystérieux assassin fit volte face et s'éloigna d'un pas léger en direction des assaillants encore en vie, en laissant la jeune Buchanan seule, au milieu de plusieurs cadavres. Au loin, le tonnerre gronda, annonçant une nouvelle averse, et rappelant au passage à Tessa les circonstances dans lesquelles elle avait rencontré Chris pour la première fois. Mais serait ce la dernière fois, pour autant... ?
Le lendemain, dans les journaux paraissaient les gros titres suivants: "Septs morts dans l'incendie d'un entrepôt délabré près de Shoreditch"...
