T-Bug n'était pas particulièrement narcissique. Pour autant, étant parfaite jusqu'au bout des ongles, comme n'importe quel Enfant terrible par ailleurs, elle aurait pu... sans le moindre problème. Beaucoup d'entre eux l'était, et ne parlons même pas de l'égo. Mais en définitive, elle ne se posait pas la question, ne faisait pas ce constat et, de fait, n'y prêtait pas la moindre importance.
Alors en ce cas, que faisait-elle à se reluquer dans tous les sens devant le miroir sur pied depuis une bonne demie heure ?

- Bon.

Elle se toisa dans le miroir d'un air légèrement dubitatif. Visiblement elle n'était pas tout à fait convaincue.
T-Bug avait passé presque plus de temps à faire des recherches de codes vestimentaires sur internet, que de temps passé à farfouiller dans les dossiers des élèves de l'institution Indarë. Enfin... peut-être pas quand même. Mais il était certain qu'elle s'y était consacrée. La déconvenue qu'elle avait essuyé au bar, la première fois qu'elle avait rencontré cet oiseau de malheur, avait laissé une trace au fer rouge. Car il convenait de dire que si tout avait foiré, c'était bien en grande partie à cause de son erreur de tenue, qui avait déclenché un maëlstrom qu'elle n'aurait jamais pu envisager.

Elle avait donc passé un temps fou à faire des recherches, s'axant principalement sur des blogs et réseaux étudiants pour voir comment les jeunes femmes de son âge s'habillaient le plus souvent. La maîtrise de la notion quoi mettre et quand était encore bien loin d'être au point. Ceci étant, quand elle était tombée sur cette photo présentant quelques jeunes filles, visiblement en plein shopping, toutes plus ou moins habillées de la même manière, short, petit haut et lunettes de soleil, et qu'après une rigoureuse analyse de leur environnement aucun des passants qui apparaissaient sur la dite photo ne semblaient s'en formaliser, elle fouilla dans son placard et trouva grosso modo quelque chose d'équivalent.

La photo bien en évidence, recouvrant la totalité d'un des murs d'écran du salon, elle avait entrepris de se vêtir au plus proche possible. Ce n'était pas tout à fait ça, mais elle possédait dans son vaste placard un bout de la tenue de chaque fille. Il n'y avait plus qu'à assembler le tout... Tennis de toile blanche, court short en jean, chemise immaculée qu'elle noua au-dessus du nombril et l'accessoire visiblement indispensable de ces demoiselles... des lunettes de soleil.
Elle releva sa longue chevelure brune en deux épaisses couettes qu'elle noua chacune d'un ruban sombre. La seule chose à laquelle elle ne toucha pas, et à laquelle elle ne touchait jamais par ailleurs, même lorsqu'elle dormait, étaient les deux boucles d'or qui ornaient le lobe de ses oreilles. Inutile de vous dire qu'il y avait une fort judicieuse raison à cela. Mais tout vient à point à qui sait attendre... comme l'on dit.

- Bien... ça ira. Lâcha-t-elle d'une voix plate.

Les considérations vestimentaires, ça va 5 minutes, elle avait déjà perdu assez de temps avec ça.




Déambulant dans les rues, le nez au vent, les mains dans les poches de son short en jean, l'épreuve du jour ne devait -en principe- que lui permettre d'appréhender un peu plus son environnement et la foule qu'elle était à même de devoir côtoyer -à son corps défendant, cela va sans dire-. Le cuisant échec du 20 août avait piqué sa fierté. Elle pensait pouvoir gérer et in fine ça n'avait pas du tout été le cas. Il fallait bien reconnaitre qu'elle avait sous-estimé toute la complexité que pouvait revêtir une première sortie publique et tout ce qui l'entourait de près ou de loin, dont notamment les premières erreurs commises. Des erreurs elle en avait fait, plusieurs même, mais si elle avait mieux cerné le problème, ces erreurs n'auraient pas eu de conséquences sur sa mission. Alors qu'en "sa" présence, elles en avaient eu, forcément.

Après de nombreuses recherches sur les différents quartiers de Londres, son choix s'était porté sur Whitechapel et ses environs. Le quartier des cabarets, s'il était monstrueusement envahi de bipèdes le soir, était de fait beaucoup plus calme en journée. Cela lui parut un bon compromis pour commencer à s'habituer aux GENS, avoir quelques contacts sans importance ni conséquence, sans se noyer dans une masse qui lui aurait filé de l'urticaire dans la minute.

Déambulait-elle donc sans réelle motivation autre que celle de tester différentes interactions sociales avec les personnes qu'elle pourrait rencontrer. Et alors qu'elle marchait sur Osborn Street, son attention se porta sur une pancarte gigantesque qui trônait sur la façade d'un cabaret, pour l'heure dépourvu de nom.
On pouvait y lire distinctement "Travaux en cours - Changement de propriétaire - Ouverture proche". Pile à l'instant où elle lisait ces lignes, son téléphone vibra dans sa poche. Elle l'en extirpa et lu rapidement le message, avant de relever les yeux vers la pancarte.

Ils savaient. Elle ne leur avait pourtant fait aucun rapport sur l'incident du 20 août. Mais ils devaient savoir, difficile de l'envisager autrement. S'ils l'envoyaient "lui" pour l'aider dans sa mission, ce n'était pas un hasard. Ou alors si c'en était un... c'était un concours de circonstances parfaitement improbable...
Qu'ils lui envoient quelqu'un n'était pas surprenant par contre. Les Enfants Terribles avaient tendance à travailler seuls, mais la faction piratage était un peu différente. Travailler en binômes n'était pas incongru, la faction piratage ayant parfois besoin de pallier au problème de réalité physique ou matérielle, sans parler des assassinats de personnes difficiles. Ils auraient d'ailleurs du lui attribuer un binôme dès le départ. Il se serait chargé des interactions sociales et ça lui aurait évité le fiasco du bar.
Enfin... ce qui est fait est fait. Inutile de tergiverser là-dessus plus avant.

Et comme rien n'était jamais du au hasard avec cette firme aux motivations plus que nébuleuses, sans parler de l'origine de leurs fonds et de leur influence... T-Bug fixa encore quelques minutes la pancarte. Y avait-il une raison pour qu'elle reçoive ce message pile à ce moment là, dans ce quartier là et face à ce cabaret en travaux là ?
Son visage resta impassible mais ses lèvres se pincèrent très légèrement. Elle commençait à avoir la très sale impression d'être espionnée quoi qu'elle fasse. Et en bonne hackeuse qui se respecte, elle avait horreur de ça. C'est elle qui traquait, qui espionnait. Et certainement pas l'inverse.

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- Mike, je vais devoir te bloquer si tu passes ta vie à me spammer ! Et c'est pas la première fois que j'te le dis !

Cet...te...bla...gue...

Comme si elle était plongée en pleine contemplation de la façade stylisée du bâtiment devant elle, T-Bug ne bougea pas d'un millimètre alors qu'il approchait, téléphone en main. Il parlait tellement fort qu'elle n'avait aucunement besoin de tendre l'oreille ou de se concentrer pour entendre ce qu'il disait. Plutôt étonnant de la part d'un fugitif. A moins qu'il estime que l'échange qu'il avait avec son interlocuteur n'était pas assez important -ou intéressant- pour le mettre dans une position difficile. Quelle erreur...

- Je vais sûrement sortir avec Lily, pourquoi ? Lança-t-il avant de poursuivre sur le même ton, alors qu'il venait de la dépasser, visiblement sans se rendre compte de sa présence.

Un sourire étira la commissure des lèvres de la jeune femme, alors qu'il était de dos et poursuivait sa route. Voici donc la confirmation du lien avec la fameuse Lily... Tessa l'avait mentionnée dans sa conversation Discord avec un certain Denzen, et elle avait également lu plusieurs articles où elle intervenait sur le blog d'Any. Mais jusqu'à présent, elle n'avait pu vérifier que le "Chris" dont il était fait mention était bel et bien le même que le "sien". Voilà qui était chose faite et qui...

- Je te rappelle que je suis en couple ! Et j'ai autre chose à faire que de chapeauter les nouveaux !

...arrangeait clairement bien ses affaires. Elle n'entendit pas la suite de la conversation, le Corbeau s'éloignant de plus en plus d'elle. Mais qu'importe, elle venait de récupérer une information de taille et elle allait se mettre en devoir de monter un dossier sur la dite Lily dans l'heure à venir. Au diable l'entraînement en relations sociales, direction la planque.

Elle se détourna de l'immeuble et balaya la rue de ses prunelles aux reflets d'automne. La station de taxis la plus proche était dans la direction qu'il venait d'emprunter. Et n'ayant pas la plus petite intention -ni envie- de devoir se le coltiner de nouveau, elle allait devoir partir dans la direction opposée. Et bien qu'elle n'ait pas la moindre idée d'où elle la mènerait, elle finirait bien par trouver un taxi à un moment ou à un autre. Prendre le métro ? Vous n'y pensez pas...

Au moment où elle se détourna dans la direction opposée, une voix lui parvint. "Cette" voix, qui s'adressait clairement à elle. C'était vraiment... mais vraiment... pas-de-bol.

- Tiens, tiens... On dirait que je ne suis pas le seul à être perdu, aujourd'hui... mademoiselle Lyra !

Elle se retourna vers lui et le toisa d'un regard tout ce qu'il y a de plus plat, voire baigné d'indifférence.

- Bonjour Chris. Dit-elle simplement, sans prendre la peine de répondre de manière plus détaillée.

Elle s'apprêtait à lui tourner une nouvelle fois le dos, n'ayant pas la moindre envie que ce début d'échange s'éternise, quand il étouffa son ambition dans l'oeuf en lui parlant de nouveau. Elle se retint de lui dire qu'elle aurait nettement préféré qu'il ne la voit pas et qu'il passe son chemin, mais ça ne serait clairement pas pour arranger ses affaires. S'abstint-elle donc.

- Merci. Internet est plus utile que les gens il faut croire. Répondit-elle d'un air pas plus enjoué, mais d'un ton poli toutefois.

Faire du shopping... il était d'humeur à papoter aujourd'hui ou quoi ? Cette fois, ce fut à son tour de le dévisager avec une lueur de suspicion dans le regard, qu'elle ne chercha par ailleurs pas à cacher, bien que le verre fumé de ses lunettes de soleil ne permettrait sans doute pas vraiment de saisir tout le sens de son regard.

- Qu'est-ce que ça peut te faire... Tu n'es pas là pour me tenir compagnie je présume. Dit-elle avec un certain flegme, tout en haussant les épaules.

Visiblement... elle avait les derniers mots qu'il lui avait adressés il y a quelques jours en travers, et pas que ceux-là à vrai dire. Dans un sens, si elle avait été une jeune femme tout ce qu'il y a de plus normal, cela pouvait parfaitement s'entendre. Il avait été relativement goujat sur les derniers moments de leur première rencontre. "Je n'ai pas de raison de te faciliter la tâche", "Je ne suis pas là pour te tenir compagnie" et autres "Je ne suis pas à ta disposition", auraient dissuadé n'importe qui de l'aborder plus sereinement par la suite et de pousser plus avant ce style de relations qui avait débuté on ne peut plus du mauvais pied.
Alors, finalement et peut être pour la première fois, la réaction de T-Bug était relativement compréhensible.

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- Il ne faut pas le prendre comme ça. Je n'ai fait que dire la vérité, après tout.

- Si tu le dis. Répondit-elle de son timbre toujours aussi monocorde, tout en agitant légèrement la main de droite à gauche.

Elle n'avait pas la moindre intention de laisser cette situation s'éterniser, surtout qu'il avait le très mauvais goût d'avancer dans sa direction et s'il y avait bien quelque chose qu'elle exécrait encore plus que les interactions sociales, c'était la PROXIMITÉ physique. Quel enfer. Trop près, beaucoup trop près. Alors qu'en définitive, pour n'importe quelle personne lambda, il respectait tout de même encore la bulle de son intimité. Mais pas pour elle, tellement pas pour elle. Trop près.

En plus de cela, son attitude avait changé. Il ne pouvait pas la berner sur ce coup là. Elle était une Enfant Terrible au même titre que lui, et ce genre de comportements elle le connaissait par coeur. Le prédateur était de sortie.
Et quand un prédateur vous traque, vous ne devez montrer de peur sous aucun prétexte. En l'occurrence c'était plutôt facile dans son cas, dans la mesure où elle ne connaissait la peur que de nom.

Décidément, elle ne comprenait vraiment pas ce qui le mettait dans cet état. Certes elle avait commis quelques impairs, mais de là à ce qu'il la soupçonne autant, c'était vraiment hors de propos. Il était vraiment tombé dans une parano gargantuesque et, ce fait non plus, n'allait clairement pas l'aider dans sa mission.

Ceci étant, elle retint tout de même un mouvement de recul. Pas par crainte, mais bien à cause de cette fichue proximité qui lui vrillait l'estomac. Mais voici qu'il lui offrait une échappatoire sur un plateau en or massif, qu'elle allait s'empresser de saisir pour prendre la poudre d'escampette sans demander son reste.

- Mais tu as raison... Je ne suis pas là pour te tenir compagnie, encore une fois.

Il ne fallait pas lui dire deux fois sur ce coup là. Sa main s'agita de nouveau, mais clairement en signe d'aurevoir cette fois.

- Et bien on est deux. Bonne journée tout de même, monsieur charmeur. Dit-elle avec une ironie à peine dissimulée, alors qu'elle s'apprêtait à partir dans la direction opposée, faisant totalement fit des mots qu'il lui adressa par la suite.

Elle n'avait aucun compte à lui rendre -dieu sait à quel point que non- et n'avait pas du tout l'intention de rentrer dans son petit jeu de dominant/dominé. Mais ce fut sans compter la poigne qui enserra soudainement son poignet, toujours dressé vers le ciel.




- Qu... quoi ?! Mais qu'est-ce que tu fais bon sang ?! Lâche-moi ! Tu me fais mal ! Cracha-t-elle sèchement alors qu'il lui tordait à moitié le poignet en l'entraînant vers une ruelle.

Elle n'était pas un "Soldat", elle n'avait pas été conçue pour avoir des capacités physiques hors normes. Ce qui la différenciait de la masse, et des autres Enfants Terribles, c'était son intelligence. Elle n'aurait jamais le dessus dans un affrontement contre lui, ni même si elle tentait de fuir. C'était perdu d'avance.
Ca commençait à sentir très fort le roussi à ce stade...

Son intelligence était la clé. Il fallait qu'elle s'en serve pour se sortir de cette situation. Car c'était clairement son seul et unique atout à l'instant T.
Essayant bien vainement de se débattre comme elle pouvait, elle finit projetée dans l'impasse, toute possibilité de fuir totalement anéantie. Dans la bousculade, et alors qu'elle fit intentionnellement des mouvements désordonnés, qui pouvaient parfaitement se justifier quand il l'obligea à lui faire face en lui tordant à moitié le poignet, la pulpe des doigts de T-Bug frôlèrent à peine l'une de ses boucles d'oreilles.




S'il n'y eut aucune manifestation physique, le changement qui s'opéra dans le cortex cérébral fut tout autre. En une fraction de secondes, une analyse complète de leur première rencontre, des réactions du Corbeau à ce jour, de ses propres réactions à elle et de la situation présente défila dans son esprit aussi clairement que les millions de lignes de codes qu'elle s'évertuait à décrypter chaque jour de sa vie.

Que savait-il d'elle exactement et quelles informations lui avait-elle donné ? Il savait qu'elle avait des difficultés sociales, qu'elle ne sortait pour ainsi dire jamais, qu'elle était récemment arrivée à Londres. Dans le cas d'une agression physique, avec menaces à peine voilées comme c'était présentement le cas, la réaction la plus logique pour quelqu'un qui n'avait jamais vécu ça et n'avait que peu de rapports avec les autres, était la tétanie ou la fuite. Certainement pas la colère ou l'indifférence. Les comportements les plus adéquats étaient cependant tous liés au sentiment de peur, ce qui lui compliquait énormément la tache en l'occurrence.

Cependant.

Bien que le programme qu'elle avait construit était encore loin d'être parfait, car à l'état d'ébauche -à vrai dire elle n'avait pas vraiment envisagé qu'elle aurait à l'utiliser aussi vite- il lui conféra une analyse si prompte de la situation, qu'une idée lui vint. Il fallait reconnaitre quelque chose à cet oiseau de malheur, c'est que finalement leur première rencontre avait été pour le moins instructive. Durant les 4 jours et demi qui avaient suivi, elle s'était gavé de films dans tous les genres dans le but d'avoir une base de données assez conséquentes des différents types de comportements humains selon les situations. Et, bien entendu, une partie était fort semblable à ce qu'il se passait actuellement.

Et si T-Bug était la pire agent du monde pour ressentir quel que sentiment que ce soit, elle possédait cependant une très bonne mémoire visuelle -merci aux généticiens-. Donc à défaut de pouvoir ressentir quoi que ce soit, comme le syndrome de peur qui lui aurait été bien utile à cet instant, elle pouvait toujours reproduire les comportements qu'elle avait intégré dans sa banque de données. C'était bien plus efficace que les 10 mois d'entrainement inutiles que Black Thorn lui avait infligé par ailleurs.

Bien, alors dans ce cas...

- Qu'est-ce que tu me veux à la fin... Dit-elle d'une voix nettement moins assurée que celle qu'il lui connaissait.

Un pas après l'autre, elle reculait pour s'éloigner le plus possible de lui, les jambes légèrement arquées, comme si elle s'apprêtait à fuir à la première opportunité.

- Qu'est ce que tu fais là ? Lâcha-t-il d'une voix sombre, en lui jetant un regard qu'envierait sans mal le tréfonds des Enfers.

Elle continuait de reculer, pas à pas, comme un petit animal acculé par un prédateur. Un peu plus tôt, elle avait spontanément envisagé qu'il ne fallait surtout pas lui montrer quelle qu'émotion que se soit et surtout pas une pseudo peur. Mais la situation avait changé et elle s'était formatée. N'importe quelle femme normale dans sa situation... serait morte de peur. C'était la logique.

- Comment ça qu'est-ce que je fais là... Répéta-t-elle dans un premier temps quand son dos heurta le mur du fond de l'impasse, ce qui lui permit de tressauter, laissant supposer qu'elle avait aussi peur que ses mots le laissaient sous entendre.

- Je n'ai pas le droit de visiter la ville ou quoi... Qu'est-ce que tu me veux... Pourquoi tu t'acharnes sur moi comme ça... Qu'est-ce que je t'ai fait... Pourquoi tu me suis... Dit-elle en balbutiant.

Retour à l'envoyeur mon gars, démerdes-toi avec ça maintenant. Car c'est toi qui t'es pointé alors qu'elle était déjà sur les lieux. Toi qui as fait demi-tour. Toi qui t'es arrêté à sa hauteur. Toi qui lui as parlé le premier. Et enfin toi qui l'agresses, encore une fois.

Faisant mine de chercher une échappatoire, T-Bug leva les yeux au-dessus d'elle, donnant l'impression qu'elle cherchait une issue. Evidemment peine perdue, le mur était bien trop haut. Elle n'avait jamais compté là-dessus quoi qu'il en soit. Le principal était que lui y croit. Qu'il l'imagine terrorisée, qu'il constate qu'elle était totalement dominée, ce que ne serait jamais un Enfant Terrible.
Etrange sensation que de paraître tout ce qu'on ne ressentait pas. Elle avait l'impression que son corps et sa voix faisaient ce qui étaient le mieux pour elle à cet instant, et qu'elle se contentait d'observer la scène de son air plat et statique habituel. Ce que T-Bug ne saisit pas à cet instant, et qu'elle ne réalisera sans doute que des semaines, voir des mois plus tard, c'est qu'à ce moment précis son instinct de survie, celui qui sommeille en chacun de nous, que l'on soit génétiquement modifié ou non, c'était tout simplement mis en marche tout seul.

- Ne... ne t'approches pas... sinon je crie ! Lui dit-elle pour le dissuader d'avancer dans sa direction.

Un point partout, balle au centre. Maintenant ça passe... ou ça casse.

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Elle commençait de mieux en mieux à comprendre pourquoi les équipes précédentes avaient lamentablement échoué dans leur mission. D'une part, ils avaient tout d'abord envoyé des humains lambdas, loin des compétences et du savoir faire du projet X-000, ce qui ne pouvait que se solder par un cuisant échec. D'autre part, quand ils avaient choisi d'envoyer Falcon, ça n'aurait pas pu être un plus mauvais choix. Même elle... n'était pas un bon choix. Mais ça elle le savait dès le départ, elle le leur avait dit et ils n'avaient rien voulu entendre. Non pas qu'elle n'était pas compétente, ni même Falcon par ailleurs. Ils étaient tous deux des prodiges dans leur domaine respectif -n'ayons pas peur des mots hein-. Non... le problème ne résidait pas là. Le souci était sans conteste la méthode d'approche. Pour le Corbeau, celle de Falcon avait été trop directe, sans compter qu'ils se connaissaient déjà donc niveau discrétion on repassait. Et quant à T-Bug, si elle avait l'avantage sur le papier car elle savait tout de lui et lui rien d'elle, et qu'elle avait à sa disposition un arsenal informatique lui offrant de nombreuses possibilités, sa méconnaissance profonde des relations humaines et du contact avec autrui en faisait un sérieux handicap. La faction piratage n'était pas et n'avait jamais été opérationnelle pour le terrain. Cela aussi, ils refusaient de l'entendre. La situation présente ne l'illustrait-elle pas suffisamment ?
Non... ceux qu'ils auraient du envoyer, les plus à même de négocier correctement le virage, c'était la faction Z-000. Visiblement ils venaient enfin de le comprendre, puisqu'ils lui envoyaient Sköll, mais c'était peut être déjà trop tard pour elle, à en juger le pistolet pointé dans sa direction.

- Mais... c'est du délire... c'est quoi ton problème... Lâcha-t-elle dans un hoquet, en fixant l'arme qu'il tenait dans sa main.

Avait-elle peur ? Toujours pas à vrai dire... Mais les films figurant ce genre de scènes étant légion, elle n'avait aucun mal à reproduire les attitudes paniquées qu'elle y avait vues. Elle n'était pas particulièrement pressée de mourir, cela va sans dire, mais, étrangement sans doute, la perspective de mourir ou de souffrir ne l'inquiétait pas outre mesure.

Encore des questions... Décidément, c'était un sport national chez lui. Toujours à sa tremblote, plaquée contre son mur avec l'énergie du désespoir comme si elle espérait qu'il l'absorberait pour la protéger de ce fou furieux, elle le fixait, lèvres légèrement entrouvertes.

- In... Indarë... Répondit-elle d'une voix hésitante.

Et comme si elle avait peur de lui fournir une réponse qui ne le satisferait pas, elle ajouta, d'une voix pas moins assurée.

- Master I... informatique... Acheva-t-elle.

Manquait plus qu'une larme de terreur à l'oeil et le spectacle serait presque parfait. Malheureusement pour elle, ce genre de prestations n'étaient pas encore à sa portée. Mais qu'à cela ne tienne, elle pallierait ce manque par autre chose, comme toujours. En l'occurrence, le diable se cachait toujours dans les détails. Et un Enfant Terrible est toujours attentif... aux détails. Or elle venait de corroborer un élément qu'elle lui avait fourni lors de leur première rencontre, il y avait à peine cinq jours, quand elle lui avait dit qu'elle était bien plus à l'aise derrière un ordinateur qu'en compagnie d'autres personnes. En lui dévoilant son cursus étudiant, elle corroborait ce fait, l'air de rien.

La deuxième demande était nettement plus complexe. Pas par rapport à ce qu'il avait l'intention de vérifier, mais plutôt vis à vis du comportement qu'une femme normale était censée adopter dans ce genre de cas. Techniquement, il lui demandait ni plus ni moins de lui tourner le dos, alors qu'il pointait une arme sur elle. Ce qui, dans l'esprit de n'importe qui a priori, pouvait refléter l'image d'une exécution sommaire sans préavis.

- Tu...

Elle laissa sa phrase en suspend quelques secondes, histoire de gagner un peu de temps. Mais du temps, elle n'en avait pas. Il allait la tuer sans l'ombre d'une hésitation si elle faisait le moindre faux pas. Ce qui signifierait l'échec de sa mission. Et dans l'esprit de T-Bug, l'échec n'était pas une option.

- Si je fais ce que tu me demandes... tu promets de ne pas me faire de mal...? Demanda-t-elle avec hésitation, les jambes légèrement tremblantes pour donner l'illusion qu'elle était à deux doigts de s'effondrer comme un château de cartes.

Et à vrai dire... elle était vraiment à deux doigts de tomber dans les pommes. Mais nous y reviendrons...

Un bref hochement de tête vint confirmer qu'il acceptait sa requête. Ce qui ne voulait clairement rien dire à ses yeux, entendons-nous bien. Elle le savait parfaitement capable de lui tirer une balle dans la tête, sans défense et de dos, en bon lâche et traître qu'il était. Mais cela aurait pu être la réaction d'une personne apeurée, donc...

Elle se tourna vers le mur, levant les bras au-dessus de la tête avec une lenteur infinie. Le moindre geste brusque signerait son arrêt de mort, sans le moindre doute. Elle avait l'impression de se retrouver dans l'un de ces films de mafieux qu'elle avait regardés, et d'être l'otage d'un hold-up bancaire. Décidément, se plonger dans le cinéma hollywoodien avait été la meilleure idée qu'elle avait eue ces derniers jours.

Lorsqu'elle fut totalement dos à lui et face au mur, un sourire étira brièvement la commissure de ses lèvres. Elle savait pertinemment ce qu'il cherchait. Mais, manque de bol pour lui, si Black Thorn avait commis cette erreur avec Falcon, ce qui n'aurait de toutes façons rien changé dans la mesure où les deux hommes se connaissaient, ce serait les imaginer plus bêtes qu'ils étaient que de considérer qu'ils referaient deux fois la même erreur.

Ainsi, délicatement, et avec autant de lenteur que lorsqu'elle avait relevé les bras, elle détacha le large collier qui ornait son cou du bout de ses doigts.
Lorsqu'elle écarta les bras de sa tête, elle frôla de nouveau sa boucle d'oreilles, faisant mine de rabattre ses longs cheveux brun sur sa poitrine pour dégager sa nuque.




T-Bug retint un soupir de soulagement lorsque le programme se désactiva. Une chose était certaine, si elle en réchappait, elle aurait besoin de dormir au moins 24h d'affilé pour récupérer. Le programme étant à l'état de Bêta et n'étant pas censé le tester ni à ce moment, ni dans ces conditions, il était plutôt dangereux de faire appel à lui plus longtemps. Elle risquait de se griller la cervelle dans le cas contraire.

Ceci étant, l'état de fatigue qu'il avait provoqué dans son corps, tétanisant certains muscles et la vidant d'une bonne partie de ses ressources énergétiques, pouvait peut-être l'aider dans la situation présente. Donner le sentiment d'être à deux doigts de tomber dans les pommes ne pouvait qu'être dans son intérêt. Même si, si elle avait le choix ce qui n'était pas vraiment le cas, elle préfèrerait tout de même éviter de tomber dans les vapes en sa présence.

Si son absence d'émotions était un handicap majeur dans cette mission, pour une fois lui servait-elle à quelque chose. Car pour n'importe qui d'autre dans sa situation, il aurait sans doute fallu extirper des trésors de self-control pour ne pas se réjouir de la déconvenue mordante qui allait être celle du Corbeau lorsqu'il ne découvrirait rien d'autre qu'une nuque à la peau légèrement dorée, sans aucune trace du précieux tatouage qu'il était certain d'y trouver.
Mais en l'occurrence, cela lui passait à mille lieux au-dessus de la tête. Après s'être brièvement réjouie parce qu'il allait échoué dans sa quête, elle observait la situation avec circonspection et d'un oeil presque plat. Du moins, dans son esprit en tout cas.

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- Je ne m'attends pas à ce que tu comprennes tout ce qui se passe, alors ne cherche pas...

Voilà. Enfin. Le doute commence à s'immiscer... lentement mais sûrement il gangrène son esprit comme une vilaine tumeur. Au début on n'y prend pas garde. Puis on commence à assembler plusieurs données. Elles ont un sens. Une certaine cohérence s'installe dans le paysage. Et cette cohérence se renforce petit à petit, de manière insidieuse, sournoise, discrète, au fil des informations qui s'assemblent les unes aux autres. Survient alors le doute. Et si j'avais tort ? Et si toutes mes belles certitudes ne reposaient sur rien ?

Ce serait par ailleurs fort bien qu'il accélère un peu la cadence, bien que la balle qui passa à quelques centimètres d'elle se voulait tout de même assez pressante comme ça... Car elle était de plus en plus au bord de l'évanouissement. Même lorsqu'elle désactiva ALPHA, ça n'eut pas le soulagement durable escompté. Finalement... c'était même le contraire. Au départ elle s'était sentie soulagée. Mais cette douce plénitude avait bien vite été remplacée par des symptômes encore pire que lorsque le programme était activé. Tout a un prix en ce bas monde. Les mutations génétiques, les modifications corporelles et principalement celles qui touchent le cerveau, d'autant plus.

Elle n'aurait jamais du l'utiliser... mais a contrario, peut être n'aurait elle pas réussi à le faire douter de la sorte sans son aide. Peut être... lui avait-il sauvé la vie, elle et sa mission, aussi imparfait pouvait-il être encore. Comme quoi... les imperfections peuvent parfois avoir du bon. Mais ne lui posez surtout pas la question tout de suite, vous risquez de ne pas obtenir le même son de cloche.

Toute sa concentration était focalisée sur tenir debout. Simplement ça. Alors autant dire qu'elle ne le sentit ni ne l'entendit se rapprocher. Ce qui était plutôt une bonne chose dans la mesure où la proximité physique aurait parfaitement pu troubler la scène digne de Shakespeare qu'elle réalisait juste pour lui. Il pourrait se sentir flatté tout de même... Ah... les hommes, tous des ingrats. Il devait bien se marrer depuis la tombe Falcon. Enfin passons.

Elle se retourna doucement pour lui faire de nouveau face. Elle était pâle comme un linge. Il était assez évident qu'elle ne se sentait pas très bien. Et dans pareille situation, une arme pointée sur elle, avec tout le stress que cela aurait du provoquer chez un être normalement constitué, rien de bien invraisemblable. Dans un cas similaire, certains se seraient évanouis ou auraient rendus tripes et boyaux depuis belle lurette.  
D'ailleurs en parlant de ça... Alors qu'il s'écartait, consentant ENFIN à lui lâcher la grappe et à la laisser partir, T-Bug tomba à genoux et c'est là que son estomac choisit un bien mauvais moment pour rendre l'intégralité de son déjeuner à la terre.

- Merci Articula-t-elle avec difficulté alors que sa tête était toujours penchée vers le bitume et qu'elle s'essuyait péniblement les lèvres d'un geste mal assuré, à l'aide du revers d'une manche de sa chemise.

Tant pis pour la chemise. Les machines à laver c'est fait pour ça.
Non seulement il venait de lui briser les ovaires très sévèrement, mais en plus il fallait qu'elle le remercie pour poursuivre le jeu de la dominée. Mais quelle journée de merde. Elle lui aurait bien balancé qu'il fallait vraiment qu'il investisse dans une psychothérapie, mais ce serait plutôt mal joué, vu qu'elle était en train de s'en sortir. Conserva-t-elle donc son attitude de victime, les dommages collatéraux du programme aidant plutôt bien sur ce coup là, même si elle s'en serait clairement passé.

Elle finit par se remettre sur ses pieds bonant malant. Mais elle n'était clairement pas dans son assiette. Ses jambes la portaient à peine et sa peau présentait toujours cette pâleur cadavérique qu'elle n'arborait pas du tout en temps normal. Il fallait qu'elle sorte de cette ruelle, qu'elle trouve un taxi et une fois à la planque elle s'injecterait le sérum régénérant fabriqué exprès pour ce genre de situations. Mais pour arriver à tout cela... autant fallait-il qu'elle tienne.

Elle finit par le dépasser, son collier était resté par terre plus loin, elle n'avait même pas pensé à le ramasser. Et finalement qu'importe. Ce n'est pas comme si elle n'en avait pas d'autres fournis généreusement par Black Thorn pour la rendre plus "jolie". Comme si elle en avait besoin... Enfin passons, là aussi.
Il l'interpella et cette fois, entre la désactivation du programme et son état plus que précaire, elle manqua vraiment de se tourner et de l'envoyer se faire foutre. T-Bug ne faisait généralement pas preuve de grossièreté, mais là elle était prête à faire une exception juste pour lui.

Main collée contre le mur, qui était le seul soutien qu'elle pouvait s'attendre à recevoir à cette minute, elle resta de dos quelques secondes alors qu'il lui adressa la énième menace de la journée. C'est ça mon grand... crois y fort si tu veux.
Elle ne prit même pas la peine de répondre. Elle hocha juste une fois la tête. Si cela ne suffisait pas tant pis. Toute son énergie était déjà consacrée à mettre un pas devant l'autre. Y a un moment où même le plus demeuré des hommes est censé savoir quand s'arrêter. Non ? Ah mince... bon bah tant pis.

T-Bug tint bon autant que faire se peut. Se dirigeant dans la direction du cabaret devant lequel elle avait stoppé il y a quelques longues minutes de cela, elle marchait avec une lenteur d'escargot, pas à pas, comme si elle avait pris 100 ans en une fraction de secondes. Elle entendait ses pas. Mais il n'était pas encore assez loin... pas assez... Sa vue commença à se troubler. Le trottoir dansait sinistrement sous ses prunelles, derrière les verres fumés de ses lunettes de soleil.

*Non... pas maintenant... pas ici... allez T-Bug... un petit effort ma vieille...*

Ce fut peine perdue. Les lunettes tombèrent sur le sol dans un très léger bruit de verre cassé, rapidement suivies par la jeune femme qui heurta les pavés de la rue sans la moindre délicatesse. Alors que l'inconscience la gagnait, le front brûlant et le regard vitreux perdu dans le vague, une seule pensée lui vint avant qu'elle ne perde connaissance.

Corbeau... ça... tu vas lui payer... et très cher...

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