Alexandre aide son épouse à se relever de son siège avec élégance. Victoria et Jules se dirigent vers la salle à manger, laissant les deux époux tranquilles quelques instants. Victoria sait quel affreux projet peut naître dans le perfide crâne de piaf de Cassandra notamment sur le plan de table. L'ex fiancée d'Alexandre savait être tenace et s'accrocher à l'espoir de l'avoir un jour pour elle comme une moule sur son rocher. Les années de mariage entre les deux De Chatelet et la grossesse d'Olivia n'ont en rien entaché son projet, pas plus que l'animosité élégante qui émanait de Monsieur pour la rejeter, d'ailleurs. Après tout, n'était-ce pas la signature des fous de toujours essayer la même chose dans l'espoir d'avoir un résultat différent ? Dans ce cas-là, Cassandra était la plus obstinées des folles... Alexandre la chasse de son esprit alors qu'il admire sa femme d'un regard tendre et amoureux. Il est si ému qu'il s'autorise même à poser sa tête contre celle d'Olivia, lui murmurant tout près de l'oreille d'une voix douce et chaleureuse.

Votre couteau est magnifique, ma chère. Je n'ai jamais eu le plaisir de voir de mes propres yeux une passation aussi belle que celle-là. Je peine encore à contenir mon émotion...

Il porte la main de sa femme à ses lèvres et l'embrasse à plusieurs reprises de petits baisers. Il respire le délicieux parfum de sa main et se décide finalement à suivre le reste de leur famille pour rejoindre la salle à manger, escortés par leurs fiers chiens de garde. Alors qu'Alexandre tire la chaise pour faire s'asseoir son épouse, à côté de Victoria, l'un des domestiques de la famille l'interroge sur le repas des chiens. Les instructions du maître ne se font pas attendre.

Artémis et Apollon suivent un régime particulier, ils mangeront du boeuf et du veau ce soir, je vous prie. Pas de volaille.

Une fois Olivia bien assise et la commande du repas canin passée, Alexandre s'installe à la droite de sa femme qui se fait haper par un commentaire de sa belle-soeur préférée qui ne manque pas une occasion de plaisanter.

Quelque chose me dit qu'ils auraient bien aimé mordre dans une belle grosse dinde bien dodue, pourtant...

Victoria se permet un petit rire en direction du couple marié. La volaille. La poule qui ne pond pas d'oeufs. La dinde. La grue. La bécasse. Tous ces noms de volatiles quelque peu gauches ou disgrâcieux, étaient tous des synonymes de Cassandra, et ce, depuis la première fois qu'elle l'a rencontrée. Elle l'a toujours particulièrement détestée et l'aversion d'Olivia pour sa propre soeur n'a pas encouragé la benjamine De Chatelet à revoir sa copie au sujet de celle qui, le ciel soit loué, n'a pas épousé son frère. Elle poursuit, à haute voix, afin d'être sûre d'être entendue.

Oh ! En parlant de grosse dinde, j'y pense..!

La réaction de Cassandra ne se fait pas attendre. Elle fait les gros yeux à la duchesse, comme si elle allait lui faire peur sur son propre domaine. Alexandre lève un sourcil en voyant la femme en face de lui s'énerver contre sa soeur alors que Victoria fait comme si de rien n'était et la regarde avec nonchalance.

Vous sentez-vous concernée, Cassandre ? J'allais parler de celle que nous avons dégustée à la soirée de Noël dernier.

Alexandre garde un oeil sur Cassandra qu'il sent à la limite de répliquer d'une manière qui va certainement lui déplaire à en juger par l'expression de ses traits. Victoria poursuit alors son histoire de volaille festive...

La recette de la dinde de votre cuisinier a ravi nos convives et le repas fut un véritable succès. Ils nous parlent encore de cette merveilleuse sauce. J'en ai eu une nouvelle fois vent avec la Comtesse des Landes pas plus tard que la semaine dernière !
Tu n'as jamais goûté son gibier, c'est absolument exquis. Il faudra que je te fasse parvenir sa recette. Ou mieux encore, que nous t'invitions en notre demeure.

Magnifiquement bien rattrapé. Alexandre fait un sourire, hochant la tête d'approbation. Bien sûr, ils étaient déjà au courant que cette recette avait été très appréciée de l'autre côté de la Manche. Mais la tentation de se moquer au nez trop poudré et à la barbe de Cassandra sans qu'elle ne puisse vraiment comprendre ou répliquer était bien trop forte et hilarante pour la laisser passer. Victoria a toujours pris exemple sur Olivia concernant ses habitudes de remettre la bécasse à sa place et retrouver cette complicité de l'époque de son enfance lui fait pousser des ailes... Elle lui semble si loin, l'époque où il fallait sauver Alexandre de la conversation navrante de Cassandra, mais rien n'a changé pour autant.

Alors dites-nous tout. Comment se passe votre vie à Londres ? Êtes-vous heureux là-bas, après toutes ces années ?
Bien sûr, Père. Nous sommes heureux comme jamais nous ne l'avons été et notre bonheur est complet maintenant que nous savons pour notre enfant...

Il observe avec amour sa tendre épouse, déposant sa main sur la sienne, sur la table et à la vue de tous - surtout des envieuses - avec un large sourire aux lèvres, ce qui était devenu presque rare depuis qu'il est devenu un adulte. Il a réussi à épouser la fillette de douze ans pour qui son coeur s'était emballé deux décennies plus tôt. Il a réussi à en faire sa femme, à écarter à jamais Cassandra de la prestigieuse lignée des De Chatelet et la nouvelle de la grossesse de l'ancienne Du Barrois a comblé de bonheur les deux familles. A une exception près, mais qui allait la pleurer..?

Le duc profite d'un instant volé avec son épouse avant de rejoindre le reste de sa famille. Jamais il n'avait vu une passation de couteau aussi belle et solennelle de toute sa vie. Même la sienne, à ses yeux, l'était moins. Cependant, Madame De Chatelet serait ravie d'en connaître le déroulé. Alexandre lui sourit, avant de lui répondre, les lèvres posées sur les doigts fins de son épouse.

Ce sera avec plaisir que je vous la conterai, ma chère. Je ne peux rien vous refuser, voyons...

Une fois dans la salle à manger, la plaisanterie de Victoria fait immédiatement réagir sa belle-soeur dans sa répartie assassine et chirurgicale. Alors que le couple est installé, la duchesse sourit à Olivia d'un air mauvais pour relancer les comparaisons concernant Cassandra.

C'est sûr que nous avons déjà eu des cas de salmonellose avec ce genre de dinde, il faut s'en méfier, c'est très mal conservé...

Son insolente politesse était irréprochable en apparence pour qui voulait bien prendre les paroles de Victoria au premier degré. Mais Olivia et elle jouaient à un jeu bien amusant auquel elles sont devenues toutes deux expertes avec le temps. L'art d'avoir une conversation parallèle et de lancer toutes sortes d'insultes et sens cachés au nez et à la barbe de toute personne ne se trouvant pas dans leur jeu. Alexandre l'a constaté par lui-même, sa soeur et son épouse sont redoutables à ce jeu, probablement bien meilleures que lui, par ailleurs...

Ca fait plaisir de vous revoir en France.
Vous nous manquez, parfois.

Alexandre hoche la tête respectueusement. Les paroles de son père ont toujours su se faire entendre. Il y détecte une élégante phrase à base de "Nous serions honorés de vous recevoir plus souvent". En effet, Alexandre est le seul de la fratrie à être parti, à avoir quitté le domaine pour vivre son amour avec sa duchesse de l'autre côté de la Manche. Il prend la parole sobrement, sa main n'ayant pas quitté celle de son épouse.

Nous sommes très touchés. Nous aussi, nous pensons à vous tous très régulièrement, en tout cas.
Alex...
Oui, Cassandra, même vous. J'ai toujours le portrait de vous que vous m'avez offert il y a de cela tant d'années. Je le trouve même encore plus beau qu'à l'époque...
Pardon..?

Victoria, dubitative, observe son frère suite à ses paroles, bien qu'elle ait beaucoup apprécié qu'il ait coupé la parole de la volaille avant qu'elle ne sorte une nouvelle idiotie. Il poursuit.

Votre soeur, ma femme, ma merveilleuse épouse, est une véritable virtuose dans l'art et la manière d'entretenir les belles choses...

La duchesse observe la concernée avec un petit sourire malicieux en coin. Le destin de cet affreux tableau l'intéresse tout particulièrement maintenant qu'Alexandre a précisé qui s'occupait de son entretien. Elle n'en sait rien, mais elle suppose qu'Olivia est une maîtresse dans l'art de la rénovation et de l'entretien de telles oeuvres d'art, ou plutôt de desastres en ce qui concerne la vieille fille Du Barrois.

A ce propos, avez-vous rencontré un homme à qui faire ce genre de présent, aujourd'hui ?
Oh, le sujet sensible... J'adore...

Victoria ne peut réprimer son sourire carnassier jusqu'aux oreilles. Avec le temps, elle était pourtant parvenue à faire taire son rire, à s'empêcher de se frotter les mains, mais son sourire la trahit toujours, surtout avec ses petits yeux malicieux. Elle approche la tête de sa belle-soeur adorée et s'exprime d'une voix claire et douce.

Olivia ? Sentez-vous comme moi ce savoureux parfum de sel et d'épices amères émaner de cette volaille ? Un plaisir délectable, n'est-ce pas ?

L'occasion est trop belle. De la volaille est au menu des De Chatelet, mais c'est d'une toute autre dont il est actuellement question. Alexandre n'avait jamais abordé ce sujet avec son ex fiancée, supposant qu'elle avait fermé son coeur ou qu'elle l'avait trop bradé, faute de preneur. La faute à Madame Du Barrois, certainement... Mais cette fois-ci, il refuse de lui épargner cette humiliation devant toute la famille. Il a toujours eu l'art et la manière de poser des questions avec une élégance rare. Combien d'ex fiancés auraient agi comme lui, après tout ? En tout cas, la question arrive à l'oreille de Cassandra comme un silencieux coup d'estoc en plein coeur. Le spectacle va pouvoir commencer...

Le duc converse avec la Du Barrois. Malgré sa politesse naturelle, son impatience devient de plus en plus palpable au fil de la conversation et Madame De Chatelet peut la ressentir dans la main de son époux posée sur la sienne. Ses doigts se crispent doucement, petit à petit. Il est toujours irrité lorsque Cassandra est face à lui et qu’il doit lui faire la conversation, quand elle ressent le maladif besoin de se faire remarquer, d’être le centre de son attention. Ça n’a jamais changé. Victoria, éclairée par les lumières d’Olivia acquiesce avec un sourire en imaginant le magnifique tableau que ce portrait doit être aujourd’hui, bien plus reluisant que la personne qu’il représentait...

Oh, je comprends mieux... C'est vrai que tel que vous m'en parlez, il me paraît être bien plus beau qu'à l'époque où j'ai eu le déplaisir de le voir... Ce portrait était une véritable horreur, il m'arrive encore d'en faire parfois des cauchemars...

Elle ne l'a jamais aimé. Ni le tableau ni la femme qui est peinte dessus. Pourtant, aujourd'hui, elle accepterait volontiers de le voir avec les restaurations faites par sa belle soeur et sa maîtrise de l'aiguille. Au passage, Mademoiselle Du Barrois revient à la charge, comme si elle ne savait faire que ça. Victoria souffle du nez en entendant les absurdités qu'elle ose dire à son frère. En revanche, elle pouffe discrètement de rire en entendant Olivia intervenir dans la conversation qui manque de piquant dans un échange déséquilibré. Elle est désormais servie... S'en suit alors un combat de regards entre les deux soeurs. Mais Cassandra se sent pousser des ailes, aujourd'hui, oubliant la présence des parents. Ce n'est plus une querelle de soeurs adolescentes, mais ce sont deux adultes qui règlent leurs comptes.

Tu n'as jamais mérité d'être avec lui, Olivia, tu as toujours été le vilain petit canard de la famille, ce n'est qu'un hasard si aujourd'hui, tu t'appelles De Chatelet.
Il suffit, Cassandra !

La voix autoritaire, sèche et froide d'Alexandre vient mettre fin à la tirade de sa belle-soeur. Le duc a appuyé sa voix en frappant du poing la table. Madame De Chatelet peut sentir le sang de son mari bouillir dans ses veines. Cette fois, il va être impitoyable. Il l'a prévenue. Elle n'a pas écouté.

Alexandre, je ne me laisserai pas manquer de respect par ma soeur.
Par ma femme. Je vous interdis d'employer le terme de soeur lorsque vous parlez de ma femme. Vous invoquez un lien familial dont vous ne voulez pas sauf quand il vous arrange et sachez que jamais vous n'avez eu, n'avez, ni n'aurez l'ascendant sur elle de quelque manière que ce soit. Elle a raison, de surcroît. C'est elle que j'ai épousée, pas vous ! Il vous faudra bien accepter un jour que mon coeur lui appartient, qu'il ne sera jamais vôtre et accepter de vous marier avec le premier bon parti venu qui sera assez fou pour bien vouloir vous épouser !

Cassandra a amélioré sa verve depuis ses douze ans. Mais face à celui qui est devenu professeur de français et de littérature, elle reste aussi éloquente qu'une enfant capricieuse énervée avec le nez qui coule. Le regard d'Alexandre est froid, noir, dur. Elle ne l'a vu qu'une seule fois avec ces yeux si sombres. Lorsque sa chère Olivia était en Angleterre. Lorsqu'elle essayait de s'approcher de lui pour trouver des intérêts communs. Elle avait été assez folle pour vouloir s'essayer à l'escrime avec lui... Aujourd'hui, il la pointe sans son épée, ses touches sont assassines, son estocade est chirurgicale. Jules regarde son frère, choqué de le voir ainsi énervé. Mais il s'y attendait. Jamais il n'aurait laissé quelqu'un manquer de respect à sa femme. Les parents, quant à eux, observent la scène. Même Madame Du Barrois ne défend pas sa fille comme une louve, cette fois. Victoria se penche doucement vers Olivia, clarifiant un point de détail sur la conversation.

Ce qu'elle a oublié de préciser sur ces soi-disant prétendants, c'est que personne n'en voulait... Votre mère a bien essayé de la brader comme une volaille sur le marché, mais ses fiançailles rompues avec Alexandre ont porté un coup fatal à sa réputation qui n'était pas vraiment glorieuse à la base comme vous l'imaginez...

Alexandre maintient le regard, fixant son ex-fiancée, imperturbable, le regard sévère, comme celui qu'il a lorsqu'il doit réprimer un étudiant tire au flanc ou insolent. Cassandra ouvre la bouche, s'apprêtant à cracher son venin en réponse. Aux yeux et aux oreilles de tous, une nouvelle fois.

Il va vous falloir mieux tenir votre femme, Alexandre, investissez donc dans une troisième laisse !
Pardon ?

C'en est trop, même pour Victoria qui ne peut pas rester muette ou faire des messes basses avec Olivia. Comme s'ils avaient entendu, Artémis et Apollon délaissent leurs gamelles et grognent. Alexandre écarquille les yeux, plein de colère. Elle a osé. Bien que la perspective de mettre une laisse à Madame De Chatelet s'est déjà présentée par le passé, c'était dans un tout autre contexte que celui que la Du Barrois présente. Le duc prend une profonde mais silencieuse respiration. Elle tient vraiment à le pousser à bout ? Elle ne sera pas déçue...

Ma femme est une femme libre. Libre de faire ses choix, d'avoir ses propres pensées, de lire, de travailler, de vivre, ce que vous n'avez vous-même, par ailleurs, jamais fait. Ma femme n'est pas une chienne qu'on fait taire lorsqu'elle fait peur, d'autant plus que c'est vous, Cassandra, qui l'avez provoquée avec vos scandaleux sous-entendus et vos insultes. C'est plutôt vous qu'on devrait museler.

Il ne la ménage pas. Elle l'a cherché. Elle l'a trouvé. Il compte bien lui faire regretter ses mots jusqu'a le moindre de ses virgules. Chacune des siennes est un coup d'estoc qu'il lui porte avec fermeté, comme s'il avait gardé enfoui au fond de lui plus d'une décennie de rancoeurs contre elle. Mais ce n'est pas assez. Il lui en faut plus. Il doit la détruire de manière définitive. Alors qu'elle s'apprêtait sûrement à répondre, il enchaîne. Hors de question de lui laisser le moindre droit de réponse. S'en prendre à sa femme, c'est s'en prendre à sa déesse...

Votre conduite prouve que j'ai fait le bon choix en ne vous épousant pas. Je n'aurais jamais été heureux avec une femme au coeur aussi pourri que le vôtre. À défaut d'être intelligente ou intéressante, vous auriez pu avoir l'élégance de reconnaître votre défaite. Là où ma femme me voit comme un homme, vous, m'avez toujours vu comme un trophée. Tant d'ambition pour n'être personne aujourd'hui. Je serais mort de honte à votre place...

Comme un dernier clou planté dans le cercueil des espérances de la Du Barrois, Alexandre porte la douce main de son épouse à ses lèvres avant d'y déposer de doux baisers amoureux. Mais est-ce qu'il était vraiment nécessaire ? Après tout, elle n'a pas abandonné son objectif même en sachant Olivia enceinte. Elle ne s'est pas améliorée le moins du monde. Bien au contraire. De vin passable, elle était devenue un exécrable vinaigre.

L’aiguille de Madame De Chatelet se plante dans le mur derrière Cassandra dans une précision et avec une netteté chirurgicale. Une mèche quitte sa chevelure à la suite du jet. Le cri de l’ancienne fiancée d’Alexandre se fait entendre dans un silence de mort. C’est bien la première fois qu’on voit Olivia agir de la sorte à la table des De Chatelet. Alexandre reste impressionné par la précision de son épouse, bien qu’il a conscience qu’elle s’est longuement entraînée sur l’affreux tableau. Olivia se retire avec Artémis et Apollon, sans doute avec un grand besoin d’air frais. Il profite du rapide baiser de sa femme et lui répond.

Bien, ma chère, je vous rejoins séance tenante...

Mais alors qu'elle quitte la pièce, Cassandra, la voix cassée par l'effroi se permet une nouvelle attaque. Alexandre la fixe avec un profond regard noir. Quoi qu'elle ait à dire, ça ne lui plaira pas...

Tu es folle, Olivia ! C'est pour cette raison que tu as été envoyée dans cette école de gens à problèmes, tu ES le problème !

Le duc lève la main en direction de son épouse. Signe qu'il va régler le problème lui-même. Il la laisse s'éloigner et prend la parole.

Vous avez manqué de respect à ma femme une fois de trop, Cassandra.

Sa voix est sèche, cassante, froide, signe qu'il est en colère. Autant dans le fond que dans la forme. Il laisse son épouse sortir avant de démarrer son exécution à grands coups de verve implacable et tranchante comme le plus aiguisé des couperets de guillotine.

Je vais chercher ma femme, Cassandra. À mon retour, je veux... Non. J'exige. Que vous ayez quitté les lieux. Je ne tolèrerai plus votre présence sur le domaine des De Chatelet. Jamais plus. Si l'on ne vous a même pas appris à régler vos griefs avec élégance, vous n'avez rien à faire en cette demeure. La place d'une oie ne saurait être tolérée ailleurs que dans sa basse cour. Nous en avons terminé. Je ne veux plus vous voir sur notre domaine.
Alexandre ?
Cette discussion est close. Disparaissez de ma vue.

Sans attendre de réponse, le duc tourne les talons et quitte la pièce, laissant derrière lui un froid glacial. Victoria le regarde partir du coin de l'oeil avant d'observer la dinde originelle d'un oeil mauvais. Bien fait ! Depuis le temps qu'elle cherche à titiller le dragon qui dort, la voilà brûlée vive. Le duc rejoint son épouse dehors, alerté par son chien. Son pas est rapide. Très rapide. Le voilà qui court vers sa femme pour la rejoindre, dans l'herbe fraiche et sèche du domaine.

Ma chère, je suis là. Nous étions habitués aux coups d'éclat de votre volaille de supposée soeur, mais je dois bien reconnaître que cette fois-ci, elle est allée beaucoup trop loin. Votre tir était merveilleux, bien que légèrement trop sur la droite à mon goût...

Il prend avec délicatesse la main de son épouse et la porte à ses lèvres avec tendresse. Il ne la quitte pas du regard, inquiet pour elle. Sa meilleure amie, sa femme, son amante, sa maîtresse, sa déesse, son univers. Elle est tout pour lui. En s'attaquant à elle, Cassandra s'est attirée les foudres d'Alexandre. Pour la dernière fois, du moins, il l'espère...