Le couple De Chatelet roule en voiture sur une route française. Jenkins, le majordome et chauffeur des époux a déjà pu par le passé réaliser ce long trajet depuis Londres. Alexandre appréciait beaucoup le professionnalisme dont le domestique pouvait faire preuve. Il était capable de faire la route d'une seule traite. Cependant, aujourd'hui, le trajet est plus segmenté. En effet, la voiture devait s'arrêter à plusieurs reprises afin de permettre à Madame de se reposer. Alexandre tenait à ce qu'Olivia puisse apprécier le voyage du mieux possible dans son état actuel. Le premier trimestre de grossesse de Madame De Chatelet s'achèvera bientôt et plus la date du terme approche, plus Monsieur est aux petits soins avec son épouse. A l'arrière de la voiture, Monsieur a la main posée sur celle de Madame qu'il caresse du bout des doigts dans une douce élégance.  

Nous arrivons bientôt, ma chère. Bientôt, vous pourrez vous reposer dans un lieu plus confortable...

La voiture n'avait rien d'inconfortable, mais il la préférerait mille fois allongée dans un lit douillet, assise sur un sofa à siroter un thé chaud ou même pourquoi pas dans un bain moussant. Il aime que Madame ait ce qu'il y a de mieux à l'instant même où elle le désire. Après tout, c'est sa reine. Il porte la main d'Olivia à ses lèvres avant de l'embrasser à plusieurs reprises sur ses doigts délicats et à l'odeur si raffinée. Elle qui était si radieuse, elle devient divine aux yeux de son mari qui ne cesse de la complimenter.

Votre parfum est enivrant, ma chère. J'en suis fou...

Il admire la beauté de sa femme. Elle est rayonnante. Sa peau est douce, soyeuse, magnifique. Qu'est-ce qu'il peut l'aimer... La voiture entre dans le domaine des De Chatelet et arrive finalement dans la grande cour après avoir passé le grand portail de fer. Ils sont arrivés dans la demeure des Ducs De Chatelet. Jenkins, sous les instructions d'Alexandre se gare le plus près possible de la porte afin d'éviter à Madame de trop se fatiguer. Bien sûr, elle pourrait largement se déplacer comme elle le veut sans être dérangée par son petit ventre rond, mais Alexandre ne prend pas le moindre risque. Jamais lorsqu'il est question de sa femme. Le professeur ajuste sa cravate avant de détacher sa ceinture et de sortir de la voiture. Il ouvre la portière du côté d'Olivia et lui tend la main pour l'assister à en sortir.

Nous sommes arrivés, ma chère.

Le manoir de l'enfance d'Alexandre n'a pas changé. Il est toujours aussi grand, somptueux, aux grandes fenêtres et à la façade grise. Le foyer est resté le même. Jenkins sort du coffre deux valises qu'il transporte à bout de bras sans trembler. Alexandre interpelle son majordome lorsqu'il ferme la voiture.

Annoncez-nous et faites porter nos bagages dans notre chambre, Jenkins. La chambre en face de la notre vous a été réservée le temps de notre séjour. Demandez à ce qu'on vous serve un repas et reposez-vous, vous avez beaucoup roulé. Je prends le relais.
Bien, Monsieur. Merci Monsieur.

Sans aucun accroc dans la voix, le majordome transporte les valises du couple jusqu'à l'intérieur de la demeure. La porte s'ouvre et laisse apparaître une belle jeune femme à la longue chevelure noire, aux yeux d'un beau bleu profond et au sourire malicieux, vêtue d'une élégante robe noire et aux rubans mauves et rouges dans les cheveux. Sa voix pleine d'énergie transperce l'air et apostrophe Monsieur De Chatelet.

Alexandre !

Elle descend un à un les escaliers et rejoint celui qu'elle vient d'appeler, se jetant dans ses bras. Son rire éclatant sonne clair dans le crépuscule ambiant. Il n'y a aucun doute, ils sont bien de retour à Nantes.

Bonsoir, Victoria.

Elle embrasse la joue de l'homme qui lui rend volontiers. Puis elle met fin à l'embrassade avant de diriger son regard vers Madame De Chatelet. Elle lui fait un sourire malicieux, une petite révérence avant de lui tendre finalement les bras et de l'enlacer cordialement, des étoiles dans les yeux et de la joie plein la voix.

Olivia !

Victoria a toujours aimé sa belle-sœur, même quand n'était pas destinée à le devenir. Son affection pour elle n'a jamais baissé et n'a fait que croître. Même si elle ne la voit pas souvent, même si les nouvelles sont encore trop rares à son goût, elle n'en reste pas moins sa meilleure amie à ses yeux. C'est pourquoi dès qu'Alexandre avait signalé que le couple viendrait en France pour passer quelques semaines de vacances, Victoria a été la première au courant et n'a pas hésité à éviter soigneusement d'en parler aux Du Barrois pour pouvoir les accueillir dans leur demeure. Hélas, la nouvelle était tout de même arrivée dans la famille d'Olivia du fait de Madame Marie-Thérèse De Chatelet...  

Bienvenue chez vous... Vous avez fait bon voyage ?

Le couple De Chatelet est arrivé à destination et chaleureusement accueilli par la jeune sœur de Monsieur. Victoria n'hésite pas à prendre son frère et sa belle-sœur dans ses bras, submergée par le bonheur de les retrouver. Elle porte une attention toute particulière au ventre d'Olivia qu'elle touche avec douceur du bout des doigts. Elle a été la première à être mise au courant, conformément à sa demande. Elle a toujours aimé avoir tout savoir avant tout le monde... Devenir tante, c'était un des plus beaux cadeaux dont elle pouvait rêver. Madame De Chatelet fait sortir leurs chiens et leurs chevaux du van alors que la jeune duchesse poursuit sa conversation avec les deux époux alors que la ménagerie des mariés se dégourdit les pattes.

Je vais très bien, Olivia, merci... Je suis très heureuse de vous revoir ! Nous vous attendions avec impatience.
Nous sommes très heureux d'être arrivés.

Hélas, bien vite après être arrivés, le calme, la quiétude et la bonne ambiance de la cour des De Chatelet s'est vu prendre brusquement fin lorsqu'une voix retentit et qui hérisse le poil des deux époux. Alexandre se tourne vers le porche du manoir d'où provient la voix qu'il reconnaîtrait entre mille.

Madame Du Barrois.

Il se retient de terminer sa phrase par « Quel déplaisir de vous voir. » après avoir entendu sa belle-mère rabaisser sa femme devant lui. Monumentale erreur. Si un De Chatelet protège toujours sa famille coûte que coûte, dans le cas d'Alexandre, cette maxime est poussée à l'extrême quand il est question de son épouse, à fortiori si elle est enceinte. Il est hors de question que cet affront fait à sa femme reste impuni. Comme il l'a toujours fait, il prend sa défense alors que Victoria s'approche de son frère et de sa belle-soeur qui se tiennent la main.

Sachez, Madame Du Barrois, que nos animaux font partie intégrante de notre famille et que nous leur portons un amour au moins tout aussi fort.
Vous qui avez une poule pour fille aînée, vous devriez le savoir...

Victoria non plus n'aime pas vraiment Madame Du Barrois qu'elle trouve parfaitement antipathique. Elle est relativement courtoise lorsqu'il s'agit d'elle ou de cracher son venin dans des messes basses, dans son dos ou dans d'élégants et habiles sarcasmes. En revanche, celle avec qui Victoria n'a jamais pu faire d'efforts pour paraître aimable passe le pas de la porte et interpelle le duc revenu au pays.

Bonsoir, Alexandre !
Tiens, quand on parle de la volaille... On en voit les plumes.
Artémis ! Apollon ! Couchés !

Le rottweiler et la doberman grognent dès l'apparition de Cassandra. Cette image, les chiens la connaissent très bien. Ils voient leur maîtresse se défouler sur un tableau d'elle tous les soirs où elle est en colère et que Monsieur a déjà été puni. Ils s'installent de part et d'autre du couple alors qu'Alexandre répond à celle qui aurait pu être son épouse dans ses cauchemars les plus affreux.

Cassandra.
Olivia.

Le professeur De Chatelet fronce les sourcils. Il n'aime pas ce ton. Ils viennent à peine d'arriver que les femmes Du Barrois se liguent pour rendre leur arrivée la plus désagréable possible. Alexandre serre la main d'Olivia dans la sienne et questionne sa soeur.

Victoria. Que fait-elle ici ?
Mère a prévenu les Du Barrois de votre arrivée et elle a tenu à organiser un repas avec nos deux familles.
Mère restera toujours une incorrigible commère...
Et Cassandre étant bien partie pour finir vieille fille...
Nous devrons donc en conséquence subir sa présence, je vois... Quelle plaie.

Madame Du Barrois regagne l'intérieur de la demeure, laissant Cassandra seule sur le porche. Elle descend les marches avec grâce jusqu'à arriver à quelques pas des deux époux. Elle lève la main, invitant Alexandre à la saluer comme autrefois, visiblement encore de le déni de voir « son » Alexandre au bras d'une autre femme, sa propre sœur, de surcroît. Victoria prend congé du couple alors que les chiens de garde grognent devant Cassandra, faisant ce qu'ils font le mieux : Protéger leur famille des dangers et des nuisibles.

Je m'occupe de Diablo et de Libertine, rentrez vous reposer.
Merci, Victoria. Prends garde avec Libertine, elle peut être difficile. Si tu as des difficultés avec elle, je viendrai t'aider.

Sans jeter le moindre regard pour la pintade qu'elle appelle Cassandre, Victoria va voir l'étalon d'Olivia. Elle le connaît depuis des années, mais s'occuper de Libertine, cette forte tête que personne ne parvient à calmer ou à soumettre à l'exception de ses maîtres et plus particulièrement Monsieur De Chatelet, relevait du miracle. La main de Cassandra reste en suspens pour appeler un baise-main du duc. Voyant qu'elle n'allait pas avoir gain de cause, la maléfique Du Barrois ne manque pas de commenter le ventre de sa petite soeur. Elle n'est sûrement pas au courant, si Alexandre a veillé à ce qu'elle n'en sache rien. Après tout, ça ne la regarde pas.

Je constate que la nourriture est abondante en Angleterre et que tu ne t'en prives pas, Olivia.

Alexandre lève alors doucement la main. Il jurerait avoir entendu un commentaire en rapport avec le fait qu'il a refusé de lui baiser la main. Mais le duc se contente de simplement la poser sur celle d'Olivia dans un geste tendre et amoureux, comme si Cassandra n'était même pas là. Les deux mains s'unissent dans une harmonie parfaite sur le ventre de la future mère. Alexandre est heureux comme jamais il ne l'a été. Il esquisse un sourire avant d'embrasser tendrement les lèvres rouges, parfumées, douces, humides et délicieuses d'Olivia. Il hume l'odeur de son parfum avant de murmurer à l'oreille de sa tendre épouse.

Je vous la laisse, ma chère. Punissez son insolence et son affligeante stupidité, elle est à vous...

Alexandre aurait pu se débarrasser de la collante belle-soeur sans faire d'efforts. Mais hélas, l'étiquette protégeait son fessier a fini par céder sous la pression d'Olivia et d'Alexandre. Il connait son épouse. Le stress, la pression, tout ça la met dans une certaine colère, dans un état subtil. S'il n'a pas la moindre objection quant au fait d'être soumis à la volonté de sa femme pour apaiser son courroux, il ne s'attendait certainement pas à voir dès leur retour en France cette gazelle idiote déambuler de la croupe en face d'une lionne. Il sait que son épouse doit se reposer et il est le premier à lui signifier de limiter le stress et les émotions fortes. Mais aujourd'hui, il ne peut pas lui refuser de s'attaquer à un tel repas, une telle distraction, un tel cadeau pour ces retrouvailles familiales. La gazelle va se faire dévorer par la lionne. Malheureusement, la métaphore animale s'arrête là... Quelle dommage.

Le couple fait face à un obstacle de taille en la personne de Cassandra Du Barrois sur leur route. Olivia a l'autorisation de s'occuper de l'impertinente et détestable demoiselle pourrie gâtée qui était sa sœur durant de nombreuses années. Si le lien du sang persiste, l'épouse d'Alexandre a tranché net les ponts avec elle et la majeure partie de sa famille, ce qui expliquait pourquoi leur destination de vacances se trouve être le domaine de Monsieur. Cassandra apprend avec horreur que sa jeune sœur a non seulement épousé un homme avant elle, celui qu'elle aurait dû épouser, de surcroît, mais pour ne rien enlever à l'affront qui lui a été fait, qu'elle porte son enfant à naître. Madame De Chatelet a décidément tout pris à cette malheureuse femme à la matière grise limitée. Olivia se tient droite, fière et bouscule sa sœur aînée sans ménagement d'un coup d'épaule. Artémis suit sa maîtresse pour prévenir d'un éventuel coup de la part de la Du Barrois. Elle n'en fait rien en voyant les crocs de l'animal et ses yeux lui disant « Ne t'approche pas de ma maîtresse. » Madame De Chatelet entre finalement dans la demeure et se fait recevoir cordialement par ses beaux parents, son beau père étant le plus enjoué à l'idée de revoir sa belle fille, surtout avec un nouveau De Chatelet dans son ventre.

Bonjour, Olivia. Nous vous félicitons pour votre grossesse. Vous êtes chez vous, maintenant, faites à votre aise et ne vous fatiguez surtout pas, ménagez-vous.

Il pose une main bienveillante, douce et aimante sur l'épaule de sa belle fille, la laissant se diriger vers l'escalier pour accéder à l'étage alors que son fils est encore aux prises avec celle qu'il aurait dû épouser. La légitime aux yeux de Marie-Thérèse De Chatelet, même si les années ont su adoucir quelque peu son jugement sur le mouton noir des Du Barrois en sachant son fils heureux dans ce mariage. Après tout, elle aussi avait eu la chance de pouvoir épouser un homme qu'elle aime. Cassandra entre alors dans une conversation avec Alexandre qui reste impérial, droit et fier, Apollon assis à son pied, prêt à grogner pour défendre son maître. Ces deux chiens de garde étaient incontestablement une excellente idée...

Enceinte..? Alors vous avez passé le cap, Alexandre.
Oui, Cassandra.
Je dois vous avouer que je suis déçue. Je ne voyais pas vos standards de beauté aussi bas...
Que voulez-vous insinuer ?
Si j'avais pu porter votre enfant, il serait beau à coup sûr...

Comme s'il avait compris la phrase de la Du Barrois, le rottweiler se met à grogner. Sans doute sent-il l'aura de colère d'Alexandre qui commence à émaner de lui. Il l'aurait exécutée sur place si ses yeux avaient été des fusils. Il pointe sa canne menaçante vers elle, ce qui la fait reculer. Elle l'a déjà vu en colère avec une arme. Elle connaît son talent d'escrimeur pour l'avoir, malheureusement pour elle, subi durant l'exil d'Olivia en Angleterre. La voix d'Alexandre est forte. Elle gronde alors que la canne pointe dangereusement Cassandra.

N'insultez. Jamais plus. Ma femme ou mon enfant. Devant moi !

Apollon grogne plus fort en entendant son maître. Il se lève, prêt à recevoir l'ordre d'attaquer celle qui s'en est pris verbalement à sa maîtresse. Cassandra garde le silence alors qu'Alexandre se rappelle qu'ils sont en vacances. Il n'a pas à s'énerver. Ce n'est bon ni pour lui, ni pour Madame, ni pour le bébé. Le regard sévère, il donne un ordre à la Du Barrois. Après tout, son obéissance n'était-elle pas la seule réelle qualité qu'il lui reconnaissait par le passé ?

Disparaissez de ma vue avant que je ne décide de lâcher malencontreusement nos chiens à vos trousses. Ils sont affamés, ce serait dommage...
Me menaceriez-vous, Alexandre ?
En ma présence, Cassandra, nul ne manque de respect à ma femme. Prenez-vous en à elle, et vous vous en prendrez à moi. Nous n'avons plus douze ans. Je ne serai plus aussi clément à votre égard que lorsque nous étions promis l'un à l'autre. Vous devez le respect à mon épouse comme à n'importe qui ici. Il serait de très mauvais ton d'insulter une Dame De Chatelet sur son propre domaine. Me suis-je bien fait comprendre ?

Alexandre n'a plus rien du garçon qui était patient avec elle, bien que sans une réelle once de sympathie à l'égard de Cassandra. Il est désormais un homme. Un adulte protecteur vis-à-vis de son épouse. Les cambrioleurs s'étant infiltrés dans sa maison et pris Olivia en otage s'en sont mordu les doigts et s'en souviennent certainement encore aujourd'hui. Nul ne menace sa femme. Nul ne lui manque de respect. Sa femme est son monde. Le fait que Cassandra ait le même sang qu'elle ne lui permet pas les privilèges qu'elle s'octroie. Il la laisse seule dans la cour du domaine des Ducs avant d'entrer dans la demeure, les valises dans les mains et Apollon surveillant ses arrières. Si Olivia avait été violente physiquement, Alexandre, quant à lui, l'avait tétanisée rien que par les mots. C'est quand ses yeux retrouvent leur tranquillité qu'il croise dans l'entrée ses parents.

Père. Mère.
Bonjour, Alexandre.
Nous sommes ravis de te revoir, mon fils.
De même.
Toutes nos félicitations pour la grossesse d'Olivia, nous sommes très heureux d'apprendre que notre lignée perdurera !
Les Du Barrois n'étaient pas au courant. Est-ce normal ?
Merci, Père. Quelle importance, Mère, puisqu'ils le sont aujourd'hui ? J'imagine qu'ils ont été invités pour cette raison...

Alexandre ne peut taire le sarcasme qui lui brûlait les lèvres comme la morsure de Madame. Victoria a été la première à savoir pour l'heureuse nouvelle et a bien pris garde à ne pas prévenir la famille de sa belle soeur. Alexandre n'aime pas voir Madame Du Barrois et sa fille chez lui. Oh que non. Ce qui l'importe à l'heure actuelle, c'est de rejoindre son épouse.

Le voyage fut long. Je vous prie de m'excuser de devoir me retirer aussi tôt, je suis exténué. Je désirerais me rendre auprès de ma femme le plus vite possible et me reposer, moi aussi.
Devons-nous faire monter votre repas dans votre chambre ?
J'en serai votre obligé si vous le permettiez.
C'est entendu. Nous serons ravis de vous voir faire une apparition Olivia et toi.
Je ne peux vous le promettre, nous verrons si mon épouse dispose d'assez de forces pour cela.

Alexandre serre la main de son père qui lui fait la même tape paternelle sur l'épaule qu'à Olivia. Il reprend les valises et se met à gravir les marches une à une, escorté par Apollon. Lorsqu'il arrive devant la porte de leur chambre, Jenkins se tient prêt à lui ouvrir. Le professeur le remercie d'un signe de tête avant de pénétrer dans la chambre de son enfance. Les rideaux n'ont pas changé depuis qu'il est rentré d'Angleterre avec Olivia. Le lit est toujours aussi grand, confortable, la table est toujours là et le piano n'a pas bougé non plus. Il sourit à son épouse, fermant la porte derrière lui et rejoint sa femme après avoir déposé les valises.

Mille excuses, ma chère, j'ai été malheureusement retardé. Je fus contraint de recadrer la gueuse qui vous sert de soeur. Je comprendrais que vous soyiez courroucée de sa présence et des propos qu'elle a tenus à votre égard, je le fus moi-même... Une tasse de thé pour oublier cela vous ferait-elle plaisir ?

Il s'installe à ses côtés, l'aidant à s'asseoir sur le confortable lit. Olivia est sa reine et le moindre de ses désirs est un ordre pour lui. Il est parfaitement hors de question de la faire attendre et s'il avait pu éviter d'avoir Cassandra lui tenant la jambe pour pouvoir gravir les escaliers avec elle et pénétrer dans leur chambre à deux, il l'aurait fait avec plaisir. Il embrasse tendrement la main de sa bien aîmée avant de respirer l'odeur de sa longue chevelure noire. Il sent la colère dans les veines de son épouse. C'est alors qu'il lui murmure à l'oreille.

Sachez que si vous désirez apaiser votre colère, j'accepte d'être puni par vous ce soir... En toute discrétion...

Alexandre connaît bien sa femme. Il lui arrive d'avoir besoin de décharger sa frustration lors de divers jeux intimes qu'ils font la plupart du temps dans la Chambre Rouge. Si cette dernière se trouve à Londres, le Duc De Chatelet est prévoyant et a pris quelques petits jouets pour leur permettre de décompresser. Après tout, ils s'attendaient à s'énerver durant leurs vacances en France rien qu'en sachant Cassandra présente. Ce n'est pas bon pour le bébé et Alexandre veille sur le bien-être de ses deux trésors. Il embrasse tendrement la joue d'Olivia et lui caresse les cheveux en douceur. Il commence toujours ainsi pour la calmer, l'apaiser.

Le Duc rejoint son épouse dans leur chambre. La route a été longue et le couple n'a qu'une hâte depuis leur arrivée sur le domaine De Chatelet, pouvoir se reposer. Alexandre présente ses excuses à son épouse avant de lui proposer une tasse de thé. Il n'aime pas la savoir en colère ou stressée, encore moins depuis qu'elle porte la vie en son sein. Elle accepte avec plaisir la tasse.

Très bien, je vous sers cela tout de suite.

Alexandre se lève et se dirige vers le meuble à côté du piano où se trouve tout le nécessaire pour préparer n'importe quelle boisson chaude ou froide à toute heure. Il l'avait expressément demandé pour leur arrivée. On ne refuse rien à une femme enceinte, et encore moins lorsque cette femme enceinte se nomme Olivia De Chatelet. Tout avait été préparé pour permettre au couple d'avoir à sortir de ses appartements le moins possible pour éviter de trop fatiguer Madame. Le duc verse dans la bouilloire de l'eau claire et pure qu'il fait chauffer en préparant la tasse. Il sait comment elle préfère son thé, mais il lui prépare néanmoins un plateau afin d'ajuster le goût de sa boisson comme il lui sied. Ses goûts étant susceptibles de changer, il est prêt à tout pour lui être agréable. Rien ne doit perturber la tranquillité de Madame De Chatelet et tout se cache dans les détails. Chaque assaisonnement, la moindre patisserie, la moindre caresse, tout, absolument tout est calculé pour que la Dame De Chatelet se sente le mieux possible. Pour apaiser le courroux de Madame, Alexandre lui propose une session de jeux intimes qui semble plaire mais peut-être est-il encore trop tôt pour envisager un tel amusement. Lorsque le manoir sera endormi, en revanche, ce sera une autre histoire...

Bien sûr, ma chère, comme il vous plaira.

Une fois le thé servi à Madame, Monsieur passe ses mains sur le corps délicat de son épouse. Leur contact a été maintenu durant toute la durée du trajet. On aurait juré qu'ils ne pouvaient pas se quitter la moindre seconde. Ce qui n'était pas particulièrement faux. Ils s'allongent l'un contre l'autre dans le confortable lit. Ils peuvent enfin se reposer tous les deux... Les souvenirs des premiers instants dans ce lit reviennent à l'esprit d'Alexandre. Il n'était encore qu'un jeune adulte lorsqu'ils ont partagé cette couche pour la première fois, alors que c'était mal vu de le faire avant leur mariage qui était néanmoins prévu... Olivia embrasse son époux sous la garde irréprochable des deux chiens. Alexandre passe sa main sur le ventre de son épouse et le caresse comme un précieux trésor, pensif.

Je me demande vraiment s'il était absolument nécessaire de faire venir votre famille pour notre arrivée... Je me serais volontiers passé de l'intervention de votre soeur. J'en suis encore brûlant de colère, j'ose espérer que notre enfant ne le ressentira pas...

Si Cassandra venait à être responsable du mal-être ou ne serait-ce même que du moindre petit inconfort pour l'enfant ou sa mère, Alexandre sait qu'il sera bien moins clément avec celle qui fut sa promise. Il a cessé de lui faire des ronds de jambe et des paroles élégantes supposées maintenir la paix entre eux dès l'instant où il a passé l'alliance au doigt d'Olivia. Lui jurer fidélité en toutes circonstances passe aussi par l'aversion de Mademoiselle Du Barrois. Il ne l'a jamais vraiment portée dans son coeur, après tout. Il n'était pas loin de montrer à cette femme stupide à quel point il est dangereux de s'en prendre à Olivia. Pauvre Apollon qui a dû se retenir de l'attaquer pour défendre l'honneur de sa maîtresse. Avec de la chance, le message d'Alexandre était assez explicite pour une dame aussi limitée qu'elle et ils ne la verraient plus de toute la durée de leur séjour. Mais le professeur est lucide. Il surestime grandement les capacités cognitives de sa belle-soeur...

Alexandre passe sa main sur le ventre de son épouse avec une infinie douceur. Le sévère professeur, l'implacable ex-fiancé de l'aînée Du Barrois a retrouvé toute sa tranquillité, sa gentillesse et sa tendresse auprès de sa femme. Les vacances démarrent bien... Le contretemps dénommé Cassandra est, du moins il l'espère, que temporaire. Il n'est vraiment pas enchanté de la voir et ce depuis qu'il a passé à l'annulaire gauche d'Olivia une bague qu'il était supposé mettre au sien. Quel gâchis cela aurait été. Une si belle alliance mise au doigt d'une sombre idiote dont la seule prouesse était de toujours briller par sa bêtise. Certes, elle était belle et obéissante, ce qu'on pouvait clairement estimer suffisant pour être une bonne épouse un siècle auparavant. Mais hélas, les mœurs comme les temps changent et Olivia s'avérait être un bien meilleur parti pour le jeune duc qu'Alexandre était. Il est heureux dans les bras d'Olivia et, il en a toujours eu la certitude, jamais il n'aurait pu l'être autant entre ceux de Cassandra. Le duc sent l'apaisement gagner les veines de sa femme. Sans doute est-ce par mimétisme qu'il sent le feu de son cœur se calmer à son tour ?

Nul ne pourra vous reprocher votre courroux... Cette sotte a voulu faire une démonstration de sa verve, mais elle a oublié à qui elle se frottait... Peut-être qu'elle apprendra un jour de ses erreurs...

Mais Alexandre reste encore bien trop optimiste envers sa belle soeur. Jamais en vingt ans elle n'a évolué ne serait-ce que d'un iota. Le sévère professeur l'était peut-être au final un peu moins que ce qu'il imaginait, bien qu'il maintenait fermement que la stupidité n'a jamais été un droit et que la volaille humaine, comme ses adelphes aimaient parfois l'appeler, en a tout de même abusé. Il lâche un soupir, laissant courir son autre main dans les cheveux de son épouse.

Reposez-vous, ma chère, vous portez la vie, vous n'avez pas à supporter son affligeante stupidité.

Il prend une longue respiration, comme pour suivre son propre conseil. Les heures de voyage s'étant achevées sur la confrontation avec les Du Barrois n'avaient pas aidé à s'autoriser le repos tant désiré. Sans doutes les circonstances auraient été différentes si Madame Du Barrois et sa fille aînée n'étaient pas venues sur le domaine des De Chatelet. Victoria avait certainement fait tout son possible pour éviter cette catastrophe. Elle non plus ne les aimait pas... Alexandre dépose de tendres baisers sur le visage et les lèvres d'Olivia, comme s'il s'agissait du parfait remède contre la colère montante.

Je vous aime tant...

Il se laisse bercer par l'atmosphère rassurante, chaude et douce de la chambre dans laquelle ils ont passé leur première nuit. C'est un bien délicieux souvenir qui revient à l'esprit du duc. Ils n'avaient pas fait que dormir ensemble, non... La discrétion n'était pas encore leur point fort. Mais qu'importait ! Ils s'étaient déjà promis l'un à l'autre et Alexandre était parti lui-même la chercher en Angleterre. Jamais la benjamine Du Barrois n'aurait pu rêver d'un mari plus dévoué et amoureux. Elle lui rendait d'ailleurs très bien. Le fait d'être la seule alternative inenvisagée par les parents pour lier les deux familles n'avait même pas joué. Ils étaient amoureux et leur mariage supposément arrangé était en réalité un réel mariage d'amour. Alexandre clot à son tour les yeux, sa femme tout contre lui, dans la paix, l'harmonie. Il sombre dans l'inconscience, dans ce cocon de sécurité et d'intimité qu'est leur chambre.

Il est tiré de son sommeil sans rêve une demi-heure plus tard après avoir entendu quelqu'un approcher de la porte. Les deux chiens de garde s'étant déjà levés, les oreilles droites, prêts à intervenir au besoin de leurs maîtres. Alexandre se concentre en écoutant la manière que la personne dans le couloir a de frapper à sa porte. Il y reconnaît le début de la cinquième symphonie de Beethoven. Sauf qu'un détail l'interpelle et le fait sourire en coin.

Hmm..? La même faute... Les années n'ont rien changé, on dirait... Un instant, je vous prie, ma chère.

Il dépose un baiser sur la joue de sa femme et se lève lentement, veillant à ce qu'elle reste bien installée dans le lit conjugal. Alexandre se déplace d'un pas lent et silencieux, ne manquant pas de caresser Artémis et Apollon au passage. Les braves chiens de garde retrouvent leur position initiale lorsque le maître s'approche de la porte qu'il ouvre sans bruit. Les souvenirs remontent dans son esprit. La cinquième symphonie. La même faute... Il s'adresse à son visiteur la voix douce, mesurée, presque taquine.

Vous jouez toujours un sol de trop, Monsieur le Duc.
C'est pour que vous sachiez que c'est moi, Monsieur le Duc !

Alexandre reconnaît bien là son petit frère. Le temps ne l'a pas changé, lui non plus. Les deux frères s'enlacent le sourire aux lèvres. L'embrassade fraternelle terminée, l'aîné s'écarte pour laisser le puîné de la fratrie pénétrer dans la chambre. Il a un grand sourire en voyant sa très chère belle soeur qu'il salue d'une élégante et joyeuse révérence.

Mes hommages, Madame la Duchesse !

Olivia a toujours été très bien accueillie dans la famille De Chatelet, et ce depuis la première fois qu'elle a mis le pied sur le domaine familial. La fratrie l'adorait. Il faut avouer qu'Alexandre n'avait pas été avare de compliments sur sa première expérience avec elle. Entre son cheval, sa conversation, son art de balayer d'un revers de verbe les commentaires et les paroles de sa soeur aînée avec une insolente élégance et sa magnifique facilité à jouer de la musique, elle était faite pour leur plaire. Elle leur plaisait à point tel que l'annonce des fiançailles entre Cassandra et Alexandre brusquement brisées par ce dernier pour se diriger vers la belle aux cheveux d'aile de corbeau que son coeur a choisi a provoqué un grand soulagement. Même en épousant un De Chatelet, Cassandra n'aurait jamais réussi à être digne de ce nom, de ce titre, contrairement à Olivia qui en avait déjà l'esprit à leur première rencontre. Jules s'approche d'elle, à voix basse, sous les conseils de son frère, avant de s'adresser à elle, désignant le ventre de Madame De Chatelet, un grand sourire aux lèvres.

Mes félicitations, Madame la Duchesse.

Il était heureux quand il a appris la bonne nouvelle de Victoria. Enfin Cassandra allait arrêter de lui tenir la jambe à lui parler d'Alexandre et du mauvais ménage supposé dans lequel il était avec Olivia. Jules n'en avait cure. Il savait que celle qu'il appelait "La poule qui ne pond pas d'oeufs" avec sa soeur, l'aimait encore et qu'elle caressait encore l'espoir de l'épouser. Il a bien pris le soin de ne rien dire à Cassandra, afin que le dernier clou dans le cercueil de ses espérances soit planté par sa propre soeur et qu'elle l'enterre définitivement. Mais contrairement à Alexandre, lui, restait lucide. Il sait que c'est peine perdue et que même après la naissance de l'enfant, la Tante Cassandra ferait tout pour devenir sa nouvelle maman... Cassandra est un de ces fromages qui s'affinent mal et qui ne sont jamais bons, qui sont fades, sans la moindre saveur. Même lui ne se risquerait pas à essayer d'en faire quelque chose...

Jules est très heureux de revoir Olivia dans le manoir des De Chatelet. Elle y a toujours été reçue avec tous les honneurs, toute l'hospitalité. La première fois qu'elle a posé le pied sur le domaine, elle était déjà aimée, adoptée par la famille, avant même de s'attirer la profonde tendresse de l'aîné de la fratrie, comme si elle était prédestinée à être une des leurs. Le ciel a épargné à Alexandre le bien triste futur de devoir épouser la plus insipide de toutes les femmes de la Haute, en y ayant envoyé son ange le plus parfait pour tirer le jeune duc de l'abyssal vide, intellectuel et le reste, qui l'aurait attendu. Hélas, même si cet exemple parfait d'ennui mortel n'était pas marié à l'aîné De Chatelet, ils devaient cependant le supporter. C'était d'ailleurs un miracle qu'elle se trouve encore en ces lieux malgré les années. N'avait-elle donc pas trouvé de prétendant après s'être vu refuser le prestigieux jeune duc par ce dernier en personne ? Madame Du Barrois rencontrait-elle des difficultés à marier sa fille pourtant belle et obéissante à un parti intéressant ? Ou est-ce que la nouvelle des noces annulées avec son précédent fiancé avait fait tellement de bruit qu'elle s'était retrouvée déshonorée ? Alexandre ne s'en était jamais soucié, même si elle fut celle qui a attrapé le bouquet de sa sœur lors de son mariage et qui devait être, selon la tradition « Mariée ou pendue dans l'année ». Heureusement, elle ne fut pas mariée dans l'année. Hélas, elle ne fut pas pendue non plus... Jules est enchanté de voir le ventre de sa belle-sœur de ses propres yeux. Elle porte la vie, son neveu ou sa nièce qui naîtra dans quelques mois, de quoi faire du duc le plus heureux des oncles. Non seulement pour voir la descendance De Chatelet et Du Barrois grandir, mais aussi et surtout pour désintégrer les espoirs de Cassandra qui espérait toujours pouvoir avoir la place qui lui avait été promise et honteusement retirée. Ou pas. Jules, en homme bon, écoutait la jeune dame trahie, piquée dans son ego. Sans doute était-ce aussi par sentiment de culpabilité qu'il acceptait de l'écouter. Il n'avait pas non plus été tendre avec elle lorsqu'il était un enfant. Alexandre écoute sa femme qui suggère de descendre. Il lui tend finalement la main en guise de réponse.

Si vous vous sentez assez reposée et apaisée, nous le pouvons, ma chère.

Jamais il ne permettrait qu'elle prenne des risques, qu'elle sollicite trop son corps ou son esprit dans son état. Alexandre a peut-être tendance à beaucoup préserver son épouse, mais il sait ce qui les attend en bas. Il s'en doute. Les deux familles seront là, prêtes à discuter avec la Duchesse de Chatelet, comme Jules l'a si bien relevé non sans une légère ironie. L'étiquette est encore très présente parmi la génération des parents des deux époux, même si la coutume a quelque peu tendance à s'effacer sur leur génération. Jules sort des appartements du couple en premier, suivi par son frère et sa belle-sœur se tenant par la main. Les deux chiens les suivent à leur tour, prêts à accomplir leur devoir. Le duc tend la tête vers son épouse afin de s'adresser à elle à voix basse alors qu'ils descendent les escaliers.

N'oubliez pas que nous pouvons remonter au moindre signe d'inconfort. Personne ne vous en voudra, moi le premier...

Toujours prévenant avec son épouse, il la tient tendrement, marchant à son rythme. On annonce bien vite l'arrivée imminente du couple dans le petit salon où les attendent déjà Victoria, Cassandra et Edouard. Le frère aîné d'Olivia salue bien élégamment son beau-frère d'une poignée de main franche et ferme.

Bonjour Edouard. Je suis ravi de vous revoir.

L'aîné Du Barrois pose son regard sur sa jeune soeur avec un grand sourire aux lèvres une fois la main d'Alexandre lâchée. Il ose à peine demander à sa petite soeur s'il peut toucher son ventre, certainement ravi lui aussi d'être oncle comme son homologue Jules qui se range du côté de Victoria.

Alors, ce petit bébé à naître ? Que sera-t-il ? Quelqu'un a-t-il une idée ?

Alexandre, le sourire aux lèvres, garde le silence alors qu'à tour de rôle, Jules, Victoria et Cassandra, sirotant un verre de vin rouge, font leur petit pari sur le sexe de l'enfant à naître.

Un garçon !
Une fille !
Une fausse couche...

Le duc hausse un sourcil. Que venait-elle de dire ? Sous le toit des De Chatelet, de surcroît ? Et devant les parents ?! Alexandre souffle du nez avant de lâcher sans la moindre retenue un commentaire qu'il aurait volontiers gardé pour lui ou pour Madame De Chatelet au lieu de le jeter à l'assemblée autour d'eux comme il le fait.

Bonté divine, mais qu'on la bâillonne...

Le désir de faire taire Cassandra ne lui a jamais été étranger. Il a longtemps voulu le faire, d'autant plus que le couple ducal dispose d'outils et autres jouets parfaits pour le faire dans leurs valises qui n'avait, certes, pas grand chose à voir avec ce qu'ils peuvent trouver d'ordinaire dans leur chambre rouge. Mais ce serait souiller ce qui la ferait taire, sa salive étant aussi corrosive que le plus virulent des venins... Cependant, son regard noir trouve son chemin pour glacer les veines de la Du Barrois.

Enfin, Alexandre, c'était une plaisanterie, je ne me serais jamais permise de manquer de respect à une Dame De Chatelet sur son propre domaine...
Sauf votre respect, personne n'a ri.
Rendez-nous service, Cassandre, noyez-vous dans votre verre de vin.

Comme s'ils avaient lu dans l'esprit de leur frère, Victoria et Jules répondent instantanément à la belle-sœur frustrée. La colère d'Alexandre monte cependant graduellement, entendant l'écho de sa propre voix dans les paroles de Cassandra. Ainsi donc, elle veut insulter son épouse et son enfant devant lui, sur son propre domaine. Si seulement il avait été seul avec elle, il lui aurait donné une bonne leçon. Qu'est-ce qu'il peut regretter de ne pas l'avoir épousée, il aurait eu une excuse pour la battre ! Même si l'idée de frapper une femme le répugne, hors un contexte très particulier avec Madame, il se sentirait presque prêt à faire une exception pour Cassandra. Alexandre sent la main de son épouse dans la sienne et regagne son calme dans une réponse neutre.

Qu'importe son sexe, ce qui compte, c'est que notre enfant grandisse dans une famille aimante.

Après quelques minutes, les parents De Chatelet et Du Barrois entrent dans le salon, avec une flûte de champagne ou un verre de vin à la main. L'heure est à la fête. Mais hélas, ça n'en sera une pour Olivia et Alexandre que lorsque l'immonde sorcière nommée Cassandra aura enfourché son balai pour quitter la demeure dans laquelle elle n'a jamais été la bienvenue. Jean De Chatelet, dans son habituelle bonne humeur, sourit au couple formé par son fils aîné et sa belle-fille, posant sa main libre sur l'épaule de la Duchesse.

Ah, vous vous sentez mieux, Olivia ? Formidable ! Nous sommes très heureux de vous voir...

Alexandre sent la colère monter dans ses veines quand Cassandra ose parier sur le malheur du couple De Chatelet. Olivia peine également à garder son calme. Alexandre le ressent dans la main de son épouse rien qu'en la touchant. Elle est tentée d'aller gifler sa sœur. Lui aussi l'est. Mais Edouard met fin au combat de regards qui commençait à s'instaurer entre ses deux sœurs. Il a certainement sauvé une vie en faisant cela et ça, Alexandre le sait très bien. Le conflit désamorcé, Monsieur réplique suivi par Madame. Les parents du couple entrent alors dans le salon et Jean De Chatelet, très bienveillant avec sa belle-fille lui sourit encore. Depuis qu'Alexandre lui a parlé des sentiments qu'il éprouvait pour Olivia, il a tout de suite compris qu'il ferait tout pour l'épouser. C'est un De Chatelet, après tout, rien n'arrête leur volonté. Lui aussi a eu la chance de pouvoir faire un mariage d'amour avec Marie-Thérèse. Cette dernière rebondit sur les paroles de sa belle-fille concernant le repas.

Ne vous en faites pas, Olivia, les plats n'ont pas encore été dressés, vous n'êtes pas en retard. Je suis très heureuse que votre repos ait été réparateur.

Alexandre observe sa mère du coin de l’œil alors qu'on fait s'asseoir Olivia sur un des canapés du salon. Il la rejoint volontiers, heureux que sa mère ait accepté ce choix qu'elle a pourtant eu quelques difficultés à accepter en premier lieu. Là où Cassandra cochait toutes les cases pour être l'épouse parfaite pour son fils, il ne lui en manquait qu'une seule, la plus importante pour être parfaite. Des sentiments réciproques. Ce qu'Olivia avait largement réussi à obtenir. Alexandre prend la main de son épouse quelques instants et y dépose de tendres petits baisers alors qu'elle regarde sa sœur du coin de l’œil.

Ne succombons pas, à la colère, ma chère... Profitons de la présence de ceux qui comptent pour nous. Elle est jalouse car vous avez tout ce qu'elle n'aura jamais, elle ne mérite même pas d'être regardée par nous, elle s'étouffera dans son propre venin...

En disant cela, lui-même essaye de se convaincre de ne pas la regarder, de l'ignorer. Elle était définitivement la dernière personne qu'il voulait voir ici. Mais c'est alors que Jean, accompagné par Marie-Thérèse s'adresse à celle qui était la benjamine Du Barrois, sur un ton presque solennel, bien qu'il n'a pas perdu de sa sympathie.
Olivia, j'ai le grand plaisir de vous offrir ceci. Merci de rendre mon fils heureux... Je ne pourrais pas être plus fier d'avoir une belle-fille comme vous.

Il montre alors une belle boîte en bois et en laiton. Victoria et Jules s'approchent alors du couple, un grand sourire aux lèvres alors que le petit coffre n'est pas encore ouvert. Alexandre, voyant la scène et ayant lâché la main d'Olivia, demande des explications, perplexe.

Père ? Qu'est-ce donc que cette boîte ?
Un cadeau pour ta femme, Alexandre.
Il est temps, maintenant.
Que voulez-vous dire par "Il est temps, maintenant", Mère ? Cela fait des années que nous sommes mariés, pourquoi avoir attendu tant de temps ?

Les parents d'Alexandre le regardent puis c'est Jean qui répond avec un grand rire amusé.

C'est la tradition de notre famille, tu le sais bien !
Oh. La tradition, bien sûr...
Ah, ça y est, c'est l'heure !
Quelle émotion !
Olivia. Vous portez notre nom et notre descendance. Ainsi, comme à toute épouse De Chatelet, ma femme et moi vous offrons ce modeste présent.

Le ton du duc est bien plus sérieux, sans jamais avoir perdu de sa chaleur. Le coffret est alors ouvert par Olivia qui peut alors voir à l'intérieur deux magnifiques couteaux à fromage, à la lame brillante et au manche de bois parfaitement sculpté et dont l'un des deux a gravé en lettres d'or dans une magnifique calligraphie le prénom d'Olivia le long du manche. Alexandre comprend. La tradition... Il prend alors la parole.

Deux ? Mais... Pourquoi y en a-t-il deux dans cette boîte ?
Selon toi, pourquoi un seul des deux porte le nom d'Olivia sur le manche ?

Pour la première fois depuis bien des années, Alexandre se sent idiot. Il fait le rapprochement seulement maintenant. Mais c'est évident. Un seul des deux couteaux possède un nom sur son manche. Ce qui signifie que le second n'en a pas encore un et que son propriétaire attitré n'est pas encore né.

Pour notre enfant. Évidemment...

La joie de voir son épouse acceptée une nouvelle fois comme étant une De Chatelet de par ce cadeau particulier est indescriptible. Il sourit à son épouse très vite solllicitée par les attaques de câlins de Victoria et Jules. Les parents De Chatelet s'éloignent alors du canapé et applaudissent la Duchesse De Chatelet. Ils sont vite suivis par les autres personnes présentes dans la pièce.

Félicitations, Olivia ! Ca va lui fermer, son clairon, à la volaille ! On va moins l'entendre, maintenant, Cassandre la Bécasse...
C'est très vendeur, comme nom. Tu devrais en faire un livre.
Vous étiez au courant, n'est-ce pas ?
Nous, ne pas être au courant de quelque chose qui rendra notre ennemie mortelle verte de rage ? C'est mal nous connaître, Alexandre !
J'aurais dû m'en douter...

Alexandre pousse un rire. Rien ne pourrait le rendre plus heureux que cette nouvelle. En espérant que cela coupe toute ambition à cette fameuse volaille si détestée des De Chatelet...

Olivia est applaudie, acceptée une nouvelle fois dans la famille De Chatelet. La tradition ne faisant que renforcer davantage la pleine intégration de la duchesse à l'intérieur de la famille qu'elle avait rejointe. Alexandre sourit, heureux de voir cette si douce attention de la part de ses parents vis-à-vis de la femme qui porte en son sein la descendance ducale. Il applaudit à son tour son épouse avec toutes les autres personnes présentes dans la pièce. À l'exception d'une personne, bien moins enjouée que les autres. Alexandre n'est qu'à moitié étonné à savoir de qui il est question. Il n'a même pas besoin de tourner la tête vers elle pour confirmer ses suppositions. Mais il le fait tout de même et observe Cassandra en train de fusiller sa sœur du regard. Il affiche l'espace d'un instant un air sévère, froid, dur. Même celui qu'il réserve à ses élèves les plus médiocres, voire mauvais est plus chaleureux que celui qu'il lance à sa belle-sœur. Elle semblait vouloir le couteau qu'Olivia venait de recevoir. Il s'autorise cependant une réflexion en imaginant qu'elle lui donnerait volontiers. Mais pas de la manière dont Cassandra l'imagine et dans le sens de la longueur. Plusieurs fois, de préférence... Donner un couteau aiguisé et pointu à une femme enceinte passablement énervée n'était sans doute pas la plus brillante des idées. Mais ce couteau, bien trop précieux ne pourrait être utilisé pour un si sombre dessein. Il pose à nouveau les yeux sur son Olivia adorée, dans les bras de Victoria et de Jules, heureuse comme jamais. Il s'approche à son tour.

Dites donc, vous deux, puis-je vous emprunter ma femme, moi aussi ?
Tu la vois tous les jours, laisse-nous un peu profiter !
Ouais, garde Cassandre à distance, le bébé pourrait attraper sa bêtise...
J'espère bien que non !

Il s'autorise un petit rire, le sourire aux lèvres avant de prendre délicatement la main gauche de sa femme qu'il embrasse deux fois. D'abord, sur le dos de la main, puis sur les doigts, notamment sur son alliance. Il l'a toujours embrassée de la sorte, même lorsqu'ils étaient enfants. Maintenant qu'ils sont mariés depuis longtemps et bientôt parents, il n'y a même plus besoin de maquiller cette conduite comme une erreur d'étiquette d'Alexandre, qu'il maîtrisait parfaitement depuis son plus jeune âge. C'était devenu un geste d'amour intime dans son sens le plus pur, le plus noble. Quel bonheur de ne pas être obligé de passer pour un sot ou de singer une perte temporaire de mémoire lorsqu'il s'agit d'embrasser Olivia. En revanche, pour Madame Du Barrois ou pour Cassandra, il s'en souvenait subitement. Alors qu'il lâche la main de son épouse, Alexandre tourne la tête vers son père qui lui sourit et vient à sa rencontre, posant sa main sur l'épaule de son fils.

Merci beaucoup pour ce cadeau, Père.
Ta femme est une De Chatelet jusqu'au bout des ongles, maintenant, Alexandre.
Sauf votre respect, Père, Olivia est à mes yeux une De Chatelet depuis bien plus longtemps. Même avant que je ne lui passe la bague au doigt. Elle n'a jamais eu besoin de porter notre nom pour me prouver qu'elle était digne de posseder un couteau à son nom.
Nous n'en avons jamais douté. Depuis le jour où tu m'as avoué vouloir l'épouser, j'ai tout de suite su qu'elle serait une merveilleuse épouse pour toi.
Chaque jour, je remercie le ciel de m'avoir envoyé son plus bel ange pour faire de moi le plus heureux des hommes sur cette terre...
Tout comme je le remercie chaque jour de t'avoir donné le courage nécessaire pour écouter ton coeur.

Les deux ducs regardent la duchesse d'un air tendre. Un ange. Olivia a été l'ange qu'Alexandre avait attendue pour le sauver de ce mariage malheureux initialement prévu avec la catin du Diable en personne. Son regard est cependant attiré vers du mouvement un peu plus loin qu'il décide de rejoindre. Cassandra s'approche. Hors de question de la laisser faire, d'autant plus qu'elle a fait déjà assez de dégâts. Il s'interpose entre son amour et l'objet de sa haine qui brise le silence instauré la première.

C'est une belle cérémonie, Alexandre, votre famille a le sens du...
Vous n'en croyez pas un traître mot, Cassandra. Cessez immédiatement votre hypocrisie, elle me rend malade. Mieux encore. Taisez-vous, je vous prie.

Le tableau avait été parfait du début à la fin. Il était absolument hors de question que cette ombrage indésirable s'invite sur une si belle toile. Il ne tolère pas la présence du moindre bémol dans cette partition parfaite puisqu'elle concerne son épouse adorée. Alexandre a beau être heureux comme rarement il l'a été, il demeure très en colère contre une Cassandra bien trop collante à son goût. Collante et détestable. Les années n'ont pas aidé cette pauvre femme à être plus intéressante, intelligente ni même bienveillante. La colère, la frustration de voir son fiancé partir avec sa soeur n'ayant certainement pas aidé la jeune femme qu'elle était pour se bonifier. Le vin qu'elle était s'avérait déjà être un très mauvais vinaigre, âpre. Acre aussi, d'ailleurs. Elle était parfaitement imbuvable aujourd'hui. Une véritable insulte à son nom, très ironiquement... Victoria avait parfaitement exprimé la pensée des quatre De Chatelet dans la pièce à ce moment-là, en comptant Madame la Duchesse : Qu'elle s'étouffe dans son verre de vin les aurait non seulement soulagés, mais aussi probablement amusés. Apollon rejoint son maître, à son pied, puis grogne comme pour appuyer les propos de ce dernier. C'était hélas le meilleur moyen de la convaincre qu'il était temps de se taire.

C'est lorsqu'on annonce que le repas est prêt à être dressé que tous les convives se dirigent petit à petit vers la salle à manger. Alexandre, escorté par son gardien canin se dirige vers son épouse et lui tend élégamment la main pour prendre la sienne.

Avec votre permission, ma chère...

Il lui adresse un charmant et élégant sourire, toujours parfait, comme si le duc sévère, froid et au regard noir s'était instantanément volatilisé en posant ses yeux sur son épouse. Elle a toujours eu le don d'apaiser sa colère, quelle que soit la situation. Calmer le courroux du duc après un accrochage avec son exécrable belle-sœur ne faisait pas exception. Le repas était servi, il était alors temps de se restaurer en espérant que Cassandra Du Barrois soit à l'autre bout de la table et que les autres convives la retirent du champ de vision du couple de professeurs. Une mission toute trouvée pour Victoria qui se ferait sans doute un immense plaisir de mettre des bâtons dans les roues de "Cassandre la Bécasse". Il y a des choses que le temps n'a jamais effacées...