Damen Irridval

Lycée |:| 4°1, Tradition

Trop différents pour se comprendre. Peut-être. Sûrement, même, c'est difficile d'imaginer la réalité autrement. Entre celui qui a embrassé de toute son âme son propre poison, incapable d'admettre qu'il est capable de faire autre chose que de détruire tout ce qu'il touche, et celui qui cherche autant que possible à se sortir des tréfonds de l'enfer qui lui a donner naissance, la compréhension est un luxe impossible. Gamin ? Non, il ne se plaignait pas. Parce que la prison n'avait pas sauté. Parce qu'il était ce qu'on voulait qu'il soit, petite poupée facile à manipuler, à faire sourire pour les photos. Les prisons dorées ont ça de vicieux qu'on ne les voix qu'à partir du moment où elles s'effondrent, et que la vie perd son sens. On ne devient pas comme lui sur un coup de tête. Il connaît des riches excessifs pour le plaisir. Même eux, ils ne sont pas de son monde.
Personne n'est de son monde.

» Tu ne sais rien des gens comme moi. Rien du tout. Tout comme tu ne sais rien de ce que Lily a pu vivre par le passé.
» Toi non plus. On peut jouer à ce jeu toute la journée, si tu veux.

Le passé importe peu. L'avenir importe peu. Seul compte le présent. Et dans le présent, ils sont prisonniers de leurs masques et des regards qui se posent sur eux. Comme Eri. Comme tout le monde.

» Tout ce que tu peux faire, c'est nous regarder durant les heures de cours à travers ton prisme de petit gosse de riche rebelle tentant de se trouver son identité propre en faisant n'importe quoi.
» Et tout ce que tu peux faire, c'est me regarder à travers ton prisme de jalousie ou de mépris qui ne voit pas plus loin que l'or et les paillettes, comme tous ceux qui se plaisent à imaginer que si tu as de l'argent, la vie devient facile.

Conneries. L'argent complique tout. Relations superficielles, émotions factices, masques et identité maîtrisée, tout doit être parfait, bien calibré, aligné sans le moindre écart pour ne pas risquer de tout perdre. Oui, de l'extérieur, tout est parfait. C'est un décor, une illusion que sa simple existence tend à briser. C'est pour ça que son père et ses semblables ne l'aiment pas. Il est la tâche sur leur toile parfaite.
Il n'a pas besoin de trouver une identité, elle est gravée partout où il regarde. La différence, c'est qu'il a conçue celle-ci lui-même au lieu de gentiment rentrer dans la boîte qu'on lui a gravé sur mesure.

Même s'il doit admettre qu'il a vu juste. Essayer d'exister. Oui, sans doute. À quoi bon vivre si tu n'existes pas ? C'est ce qu'il a dit à la rouquine lors de leur première rencontre, donc ça ne l'étonne pas de l'entendre lui revenir au visage dans la bouche de son mec. Il hausse les épaules. Il a besoin d'exister. Pour résister à l'appel du vide, pour maintenir sa mère en vie, pour maintenir Emily en vie. Parce que pour une raison qui lui échappe toujours, elles ne se remettraient pas de le voir disparaître.

» Tu es un poison ? Oui, c'est vrai. Tu es un poison. Et tu as conscience de l'être, ce qui est encore pire. Tu détruis et abîmes les gens qui cherchent à t'approcher simplement parce que tu cherches à exister. Et en plus, tu choisis cet état de fait !
» Pire ? Parce que je sais ce que je suis ? Au contraire, c'est mieux que de se voiler la face. Et ne confond pas tout. Il y a une différence entre savoir et choisir.

C'est quand il n'avait pas conscience d'être dangereux qu'il l'était le plus. C'est quand il ne se rendait pas compte du poison qui suintait dans ses veines que le monde avait décidé de le lui faire exploser au visage. S'il l'avait compris avant, peut-être...

Eri.
Quoi ?
Sa main se fige sur la table, crispation qui fait blanchir ses jointures autour du bord du plateau. Eri. Oui, c'est vrai qu'il la connaissait. Damen avait complètement oublié ce détail. Et même sans ça, leur relation est assez apparue dans les magazines pour que la plupart des gens soient au courant.

» Tu n'as pas la moindre putain d'idée de ce dont tu parles.

Lui, détruire sa relation avec Eri ? Non. Eri est une des seules choses qu'il a fait de bien ces dernières années. À défaut de pouvoir l'aider, il a détruit - essayé de détruire - l'influence qu'avait sa mère sur elle. Détruit les fils, la cage de diamants qui l'empêchait de vivre. Et il l'a laissée partir, surtout. Il ne l'a pas enfoncée plus bas que terre quand elle allait mal, préférant confier sa protection à Emily plutôt que de prendre le risque de la faire basculer dans le vide. Un rire nerveux s'échappe de sa gorge. On ne peut pas laisser la gentille petite idol échapper aux chaînes qu'on lui a serrées à la gorge. Maman Tanaka a repris sa fille pour essayer de la remettre en cage, et le gentil maire de Londres lui a fourni tout ce dont elle avait besoin. Et c'est sa faute à lui, vraiment ? Parce que son père considérait Eri comme un caillou sur son chemin, et parce que la mère d'Eri la considérait comme une gentille marionnette ? Qu'ils n'ont pas hésité à essayer de la briser pour ne pas mettre en danger leurs intérêts personnels ?

» Ils l'ont renvoyée au Japon pour l'éloigner de moi. Parce que notre relation était mauvaise pour la sainte réputation de sa mère. Celle de mon père. Tu aurais voulu que j'aille la chercher ? Que je la ramène ici pour qu'elle puisse mourir dans mon sillage ? S'empoisonner un peu plus à mesure qu'elle s'attachait à moi comme si elle avait une seule bonne raison de le faire ? Quel putain d'égoïste j'aurais été, si je l'avais gardée près de moi, hein ?!

Eri, toujours Eri. Emily aussi, lui parle d'elle trop souvent. Pourquoi tout le monde semble être aussi pressé de la retrouver à l'état de cadavre ? Peut-être qu'elle n'est pas heureuse, là-bas, peut-être que l'emprise de sa mère a empiré - ou peut-être, au contraire, qu'elle a envie réussi à lui tenir tête. L'essentiel, c'est qu'elle soit encore en vie. Que la moitié du monde les sépare et qu'elle ne subisse plus son influence. Parce que plus les gens sont proches de lui, plus le fil qui les raccroche à la vie s'affine.
Même si c'était le plan de son père. Même si c'est son père qui a comploté avec la famille d'Eri pour l'éloigner de Londres. Même si elle lui manque. Son poing se serre un peu plus. Il la voyait déjà se détruire avant qu'ils l'emmènent. Elle aurait fini par s'étioler totalement. Disparaître. Elle ne reviendra jamais, mais au moins elle est en vie. C'est tout ce qui compte.

» Non, je n'essaye pas d'être quelqu'un d'autre. Je sais ce que je suis. Je sais parfaitement ce que je suis et ce n'est pas ta petite leçon de morale qui changera ça.

Ferme-la. Bien sûr qu'il a besoin de tout ça pour se sentir vivant. Pour oublier l'appel du vide. Pour avoir la paix. Parce que c'est tout ce qui lui permet d'oublier.

» Faire semblant de quoi ? J'ai assez fait semblant. C'est précisément à ça que je servais. À faire semblant. Je suis né pour ça. Il n'avait juste pas prévu que je développerais une personnalité dans le processus.

Il n'avait jamais été que ça. Jolie décoration pour son père trop obsédé par le pouvoir pour se rendre compte que les apparences avaient l'effet d'un coup de pinceau sur un mur envahi de moisissure. Cacher l'évidence, compter les sourires, briller pour les caméras, et voir combien de temps tout ça tiendrait. Dire que Damen a développé une personnalité est un peu fort. Il a surtout pris un coup de poignard en plein dans sa vision du monde avant d'avoir l'esprit assez stable pour le comprendre. Mais le résultat est le même.

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» Être riche et être né dans mon monde sont deux choses très différentes.

L'argent est un élément, mais ce n'est pas un tout. S'il a commencé sa vie en "rampant dans la boue pour survivre", par définition, non, il ne sait pas ce que signifie être riche. Le devenir, oui, peut-être. Mais il suffit d'avoir côtoyé un instant son petit voisin pour saisir la différence. Entre les riches comme eux, les petites poupées de pâte à modeler, et ceux qui ont juste de l'argent, le gouffre est bien trop grand pour considérer qu'ils font partie du même monde.

» Mais là où tu pourrais user de ton influence pour faire le bien, tu choisis de te saborder, et de détruire tout ce que tu touches au passage.
» Ha ha ha ha. Tu penses que je peux faire le bien. C'est presque... utopique. Je détruis tout ce que je touche, peu importe comment j'agis, autant que les gens sachent à quoi s'attendre.

Finalement, la seule différence entre avant et maintenant, c'est que sa nature toxique est écrite sur sa tête au lieu d'être caché. Ça évite aux gens trop fragiles de s'approcher de lui, ça fait comprendre aux personnes dotés d'un tant soit peu de bon sens qu'il est plus intelligent de le détester. Quant à ceux qui l'approchent quand même eh bien... pour la plupart, ce sont déjà des cas désespérés. Assez aveugles pour avancer malgré le panneau clignotant qui indique le précipice.

» Comme j'ai dit, tu n'as pas la moindre idée de ce dont tu parles.

Son avis à elle ? Viens me chercher, Damen... Un sourire amer étire le coin de ses lèvres. N'importe quoi. Idée absurde, dangereuse, destructrice. Pas dans son état, pas alors qu'elle était si proche de ne pas faire un pas de plus à la surface. Bien sûr que non, il ne sait pas de quoi il parle. Quel que soit son lien avec Eri, il ne l'a pas côtoyée assez longtemps pour savoir. Pour comprendre l'impact de Damen sur son mental. Pour comprendre à quel point elle était proche de basculer.

» Tu ne sais rien du tout. Eri s'était perdue. Consumée, noyée dans le poison. Elle voulait que je me serve d'elle comme d'une marionnette, que je l'utilise pour atteindre des objectifs imaginaires comme si elle n'avait pas plus de valeur qu'une poupée de chiffon. Son avis ? Il était biaisé. Elle ne voyait qu'à travers moi comme si j'étais la solution à tous ses problèmes, la seule chose qui comptait au monde. Et quelle importance, elle n'en aurait plus si elle était restée près de moi.

Un jour, quelqu'un va mourir à cause de toi.
Pas elle.
Juste, pas elle. Ni Emily. Ni sa mère.

» Quels faits ? Quelle fierté ? Tu ne sais pas de quoi tu parles et tu poses tes petites cases étriquées comme si tu me connaissais, comme si tu la connaissais. Tu ne sais rien ni sur elle, ni sur moi. La revoir ? Pourquoi ? Pour m'assurer qu'elle était bien gangrénée jusqu'à l'os et qu'elle y passerait avec ou sans moi ? Ou pour la pousser dans le vide une bonne fois pour toute ?

Il n'est pas assez égoïste pour essayer de la revoir. Même si elle le suppliait. Même si elle lui avait envoyé d'autres messages avant qu'il se force à supprimer son numéro. Elle est loin. Elle doit rester loin, jusqu'à ce qu'elle l'oublie, jusqu'à ce qu'elle guérisse, jusqu'à ce qu'elle le déteste. Alors, seulement, elle pourra commencer à régler ses autres problèmes. Tant qu'il est là, quelque part dans un coin de sa tête, il reste une pointe de corruption prête à se distiller dans ses veines.

» Toi qui t'amuse tant à poser des questions, dis-moi pourquoi j'aurais cherché à la rejoindre ou à la ramener, alors qu'elle est hors de mon champ d'influence, loin de la corruption que j'avais insinué dans ses veines ?

La tristesse ne dure pas éternellement. La mort, si. Mieux vaut une douleur temporaire qu'une condamnation définitive.

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Ah, il l'attendait, celle-là. Le même discours, répété en boucle. L'ironie parfaite de son existence. Peu importe comment il vit, comment il existe, comment il agit, tout est toujours ramené à son père, dans un sens ou dans l'autre. Tu fais ça pour plaire à ton père, ou tu fais ça pour provoquer ton père, encore et toujours, comme s'il n'avait aucun droit d'exister sans lui. Il ne se déferait de ce lien qu'en quittant la ville à jamais, sans doute, mais il aime trop Londres pour la laisser derrière lui. Bien sûr, oui, le bal dont son père n'avait rien à foutre vu qu'il s'agissait d'un événement scolaire sans incidence n'était là que pour le provoquer.

» Vous êtes tous si pressés de tout ramener à mon père. Cette obsession est presque malsaine. Il n'a rien à voir là-dedans.

Oui, bien sûr, c'est lui qui a aidé la mère d'Eri à la ramener, mais elle l'aurait fait avec ou sans lui. Elle a juste profité de son influence pour partir sans faire trop de vagues, au lieu de devoir l'arracher de force à Indarë. Mais le petit jeu que Charles avait mis en place pour tenter de la briser et de la renvoyer queue entre les jambes n'avait pas marché. Parce qu'ils n'avaient rien compris. Tout comme le type en face de lui n'a rien compris.

» Eri était déjà sabordée bien avant de te connaître, sans vouloir te contredire.
» Je sais. C'est une constante chez les gens qui ont l'inconscience de s'attacher à moi. Ce n'est pas une raison pour finir le travail.

Il l'avait récupérée à moitié morte à un bal où elle lui avait réclamé "de l'alcool, de la drogue ou ton corps" pour ne pas sombrer immédiatement. Évidemment, qu'elle était brisée. Ce sont les gens qui n'ont plus rien à perdre qui acceptent aussi facilement la main tendue par le diable. Il l'a fait bien avant elle.

» Malgré ton profil perdu, ta personnalité toxique, et la sienne, vous êtes parvenus à vous trouver l'un l'autre et à vous apporter quelque chose, de ce que j'ai compris.
» Alors tu n'as rien compris.

Qu'aurait-il pu lui apporter, à elle ? Naïvement, pendant un instant trop alcoolisé, il s'est cru capable de l'aider à échapper à l'emprise de sa mère, et il n'a fait que l'attacher à lui, à la place. Elle n'était pas faite pour la liberté. Et lui, pas assez cruel pour la laisser mourir à cause de la mentalité que sa mère avait gravée dans sa tête et qui ne pourrait jamais en sortir.

» Mais si ton poing est serré, comme en ce moment, justement parce que c'est une chose rare, ne crois tu pas que tu es en train de passer à côté de la possibilité de prouver à ton père que tu n'es pas sa chose ? Que tu es capable d'agir en ton âme et conscience et de faire un choix ? Un de ceux qui comptent, pour une fois ?!

Ils sont tous tellement prévisibles. Encore et toujours son père, comme s'il en avait quelque chose à foutre. Il a tiré un trait sur le moindre semblant de lien qui aurait pu exister avec Charles Irridval il y a bien longtemps. Il ne peut retenir un rire. À moitié faux, à moitié sincère, tant il trouve cette obsession insupportable.

» Je n'ai rien à lui prouver. Tu parles comme si Eri n'existait que comme un pion entre moi et mon père. Tu parles comme lui, en fait, ce que je trouve profondément ironique. Je me fiche de ce qu'il pense d'elle. Il peut croire que je suis incapable de ressentir des émotions si ça lui chante et penser qu'Eri n'était qu'un jouet pour passer le temps. Mes choix ne dépendent pas de lui. Ce n'est pas pour lui que j'existe, quand bien même tout le monde persiste à croire le contraire. Vous me fatiguez. Arrêtez de tout ramener à lui.

"Tu fais ça pour saboter ma campagne". Une façon facile pour son père d'ignorer le problème, de le ranger dans une case et de ne jamais avoir besoin de regarder à l'intérieur. Quelle que soit la raison, les gens trouvent toujours un moyen de mêler son père à sa vie. Sans doute que s'il finissait vraiment par sauter dans le vide, on mettrait ça sur le dos de son père, aussi. Ou les gens verraient ça comme une ultime provocation.

» Seule manque la détermination. Celle dont tu t'es servi pour ouvrir un cabaret...
» C'est un strip-club.

Correction machinale. C'est la manière la plus simple de ne pas lever les yeux au ciel à chaque fois que son père entre dans la conversation. Obéir ? À quoi ? il y a bien longtemps que son père a renoncé à lui donner des ordres. Est-ce qu'il l'a laissé gagner quand la vie d'Eri est entrée dans la balancer ? Peut-être. Sa guerre familiale ne vaut pas de sacrifier des vies.

» Je me fiche de ce qui s'est passé entre Eri et toi. Mais non, ce n'est pas différent. Elle m'a demandé droit dans les yeux de prendre sa liberté, de me servir d'elle, malgré tous les efforts qu'elle avait fait pour se libérer de sa cage. Eri n'a pas à mourir à cause de moi. C'est gentil de croire que je ne suis pas dangereux, mais c'est idiot.

Il parle sans savoir. Encore. Evidemment, personne ne peut vraiment savoir. Le poison est plus vicieux que la violence. Il s'insinue comme une raison absolue jusqu'à ce que les gens soient persuadés d'être seuls décideurs de leur fin. Mais ce n'est pas parce qu'il ne tient pas la lame qu'il n'est pas responsable des veines qu'elle tranche.

» Mais cesse d'invoquer la carte de la toxicité à la moindre de tes décisions de fuite. Ca marche une fois. Ca ne marchera pas éternellement. Il viendra un jour où tu devras réellement faire tes propres choix. Ceux qui comptent.
» De fuite..?

Oh, c'est ça, son nouvel argument ? "Tu as fui parce que tu ne voulais pas admettre qu'il y avait quelque chose entre vous ?" Tss. Ridicule. Il n'est pas comme l'autre qui s'éloigne des gens dès qu'il se sent un peu s'attacher comme si avoir des sentiments allait lui brûler les entrailles.

» Eri était le seul choix non égoïste que j'ai fait dans ma vie. Le seul qui compte. Ne viens pas lui retirer son sens juste parce que tu en aurais fait un autre. Que crois-tu que j'ai fui ? Mes sentiments pour elle ? Bien sûr que non. Je n'ai ni cherché à les ignorer, ni à les cacher. Je sais très bien ce que je ressens pour elle. Je sais aussi qu'elle n'y aurait pas survécu. Alors oui, elle sera malheureuse, peut-être, un temps. Si elle décide de se battre, elle échappera peut-être à l'emprise de sa mère. Sinon, elle finira bien par trouver quelqu'un d'autre à qui sacrifier sa liberté comme elle l'a fait avec moi.

Quelqu'un qui sera capable de l'aider à remonter à la surface au lieu de tenter désespérément, et en vain, de la pousser vers le haut sans être capable de l'y suivre. Sa voix se calme, son expression aussi. Il est peut-être condamné à se noyer jusqu'à ce que l'air finisse vraiment par lui échapper, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Les tenir à distance est la seule manière dont il peut les aider. Quitte à sombrer encore plus loin.

» Si je dois souffrir pour qu'elle reste en vie, le prix n'est pas cher payer.

Il s'est habitué à la solitude éreintante qui va de pair avec la vie dont il a hérité. Il sait comment la combler. Mais il ne peut pas voir quelqu'un d'autre mourir par sa faute.

» Sur ce point précis, nous avons beaucoup en commun...
» Non. Nous n'avons rien en commun.

Ce n'est même pas pour le contredire. C'est un constat, comme s'il soulignait soudainement le retour de la pluie. Il est épuisé. Par la faim, la fatigue, la solitude, l'ennui, la lutte contre tous les démons à qui les gens persistent à donner le visage de son père, alors qu'il est si loin de ses pensées. Le poison et les armes n'ont en commun que la capacité de tuer. Tout le reste diffère. Et la mort n'est jamais un bon élément de comparaison.