Famille : Mère de Zack et Scarlett (05/2011) & Aydan Raykin (09/2014)
Pays d'origine : Allemagne
Nationalité : Britannique
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Date d'inscription : 15/03/2022
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12.08.23 19:20
Épreuve 5 - Miroir et bouclier Kobe High School
Parfois, c'est dans les situations les plus banales que survient l'inattendu.
Vous étiez au beau milieu de l'activité la plus anodine qui soit. Un petit déjeuner, la vaisselle, une promenade dans un parc. Rien ne laissait présager que quoi que ce soit sortirait de vos habitudes et pourtant, une fraction de seconde plus tard, vous voilà dans la peau d'un autre. Ou plus exactement : votre peau, mais sur un corps de sexe opposé.
Ou comment transformer une journée ordinaire en crise existentielle.
Règles du Rp Solo : Chaque joueur un unique texte de 1500 mots maximum pour répondre au sujet de l’épreuve. Il n’y a pas d’autres contraintes particulières, laissez libre court à votre imagination.
Conditions de l'épreuve : C'est plus une demande qu'une condition, mais évitez de tomber dans les clichés (les règles après le changement de corps par exemple). Petit rappel aussi que le contenu 18+ est interdit sur le épreuves (ça ne coûte rien de le redire vu le contexte).
Deadline et commentaires : L'épreuve dure 24 heures et prendra fin le 13 août à 23h59. Si vous ne voulez pas que votre participation soit commentée, indiquez-le directement sur votre premier post - si vous changez d'avis, vous êtes libres de l'indiquer sur le discord ou dans le flood de l'interforum.
Kobe High School a un contexte à tendance réaliste school life qui se passe au Japon, en 2018, dans la ville de Kobe. Le lycée et l'université (situés sur le même campus) sont de renommée internationale, la culture japonaise se mêle donc aux cultures des autres pays via les différentes nationalités présentes sur le campus. Le slogan de l'université de Kobe ? Faire naître le meilleur en chacun de nous !
Présentation synthétique du personnage:
Vous avez déjà vu une marmotte sous acide ne pas trouver le sommeil au début de l’hiver ? Yukio non plus. Pour un professeur d’histoire, c’est plutôt normal. En effet, l’enseignant chercheur en science historique n’est pas une espèce qui peuple les Alpes. Son milieu naturel, propre à sa nidification, est la salle d’archives où, méticuleux, il saura trouver de quoi nourrir ses appétences sinoques pour le papier jauni qui pue. Mais Ogawa-sensei n’est pas un simple historien. Représentant rare d’une sous-catégorie taxinomique propre au biotope du campus de l’université de Kobé, Yuyu sans tabous est assez particulier. Il parle, beaucoup, trop, et par de longs discours lénifiants, sait endormir ses proies, pour mieux les surprendre. Ce qu’il dit est souvent très insignifiant, mais quand on planque du latin après chaque virgule, le niveau de l’homélie s’élève de lui-même. Bien sûr, la carapace pontifiante de notre humble animal referme bien des surprises, à commencer par un goût immodéré pour l’accomplissement des formalités administratives de toutes sortes. Excité du formulaire sans quérulence outrageuse, Yukio saura vous aider dans la constitution d’un dossier complet, déposé dans les délais, auprès du service compétent, le tout en arrachant un sourire à la sténographe du guichet unique en décompensation professionnelle.
Expansif avant même le premier verre, le professeur vous contera, à mi-chemin entre Indiana Jones et Père Castor, sa jeunesse dissolue, passée à parcourir le monde pour y semer les graines de son propre recul critique. Le ton passionné et le cœur lyrique, il étalera sans honte aucune la nostalgie de ses nuits passées sur tous les continents, tissées de souvenirs moralement très pédagogiques. N’espérez pas ravir le fond de sa poitrine, il a depuis peu trouvé quelqu’un capable de supporter ses diatribes enflammées. Vous l’aurez deviné, ça n’était pas vraiment gagné d’avance. Bref, Yukio est embêtant, beaucoup, et attachant, un peu. Après tout, ici bas, et comme tout le monde, il ne cherche qu’un peu d’affection sur les blessures éthérées de ses pensées.
Longtemps, je me suis levé de bonne heure, embrassant le Soleil à ses premières aurores, plongeant dans la réalité crue du monde avec une délectation coupable. Je pensais, au grand désarroi des gardiens du temple des désabusés, qu’il s’agissait là d’un acte de militantisme. Si la résignation était un suicide quotidien, je brûlais de vivre, et pour ne pas naufrager mon existence sur les récifs acérés du cynisme abdiquant, j’enflammais les phares de la côte à les faire s’en consumer. En un sens, je réduisais en cendres mes journées pour mieux les illuminer. Triste habitude que celle de revendiquer sa propre vie à coups de bombes sales, l’on en ressort jamais vraiment indemne.
Un matin, donc, que j’irradiais mes yeux clos de la dualité ondoparticulaire d’un flot de photons, je les ouvrais avec le sentiment diffus d’être différent. Du soir au matin, était née cette impression soudaine de m’être fait enflé d’un écart salarial de 24,5 % en 2017 selon l’OCDE. Seul dans mes draps tissés de certitudes, je me dressais avec vigueur, et constatais horrifié qu’une part de moi ne l’était pas. La stupeur me prit de son étreinte, et je tentais de comprendre, armé de pensées balbutiantes et encore ensommeillées, ce qui pouvait bien se passer. Deux minutes plus tard, devant le miroir, de pied-en-cap, aucun doute possible : j’avais perdu un chromosome durant la nuit. Simone de Beauvoir avait donc raison : on ne naît pas femme, on le devient.
Je réagissais immédiatement, avec âpreté, à l’apprentissage de ma nouvelle condition féminine. Martin Matin n’avait jamais été mon dessin animé préféré, et quitte à choisir, j’aurais préféré me réveiller en homme de Cro-Magnon. Car, si j’avais été un homme de Cro-Magnon, un singe ou même un poisson, j’aurais pu, sur la terre en toutes saisons, tourner en rond, tourner en rond. Musique donc, rage against the matines, j’avais envie de tout casser, y compris le patriarcat.
Pour me détendre, je cuisinais quelque chose de simple et de méticuleux ; la concentration m’avait toujours calmé. Passage par la case cambuse, et me voilà devant le plan de travail, avec mon couteau mais sans l’autre truc. Découpage appliqué de la gousse d’ail sur la planche : on part sur un aïoli, je n’avais pas prévu de séduire qui que ce soit aujourd’hui, encore moins maintenant. Machinalement, je réduis la portion calorifique d’une vingtaine de pourcents, en soupirant. Il y a des choses que je peux tolérer, mais ça, quand même, c’est particulièrement vicieux. A deux doigts de chercher sur la toile comment se provoquer une hyperthyroïdie.
***
Sept heures, vingt-huit minutes, quarante-deux secondes, l’astre stellaire poursuit sa course. Face à la fenêtre, je finis mes carottes. Prise de conscience soudaine du long processus institutionnel à venir. Le formulaire idoine existe-il seulement ? Le législateur a-t-il prévu le coup ? La précarité de ma condition administrative m’assaille de manière vertigineuse. J’en suis presque ému. S’il n’y a pas de procédure ad hoc, il faudra saisir le médiateur du ministère de la santé et des affaires sociales en charge de l’état civil, et faire une demande de modification dérogatoire du Koseki. Je retrouve quelques couleurs. Motivé jusqu’au bout des ongles, pourquoi attendre ? La régularisation paperassière, plus qu’un hobby, une passion malsaine.
Problème de taille. Ma poitrine a pris du volume. Et je n’ai pas vraiment de quoi soutenir vestimentairement les sphères en présence contre l’attirance gravitique qui les envoie vers le sol. Envie de gifler Newton. Je veux me balader, mais c’est plus comme avant, je chanterai le quartier toute ma vie, même si je fais le tour du monde. Le binks ne me quitte pas, et quand on souffre du manque, il faut l’épouser. Si je mets un costume un peu trop grand pour moi, en mélangeant les couleurs, ça fait baroque, ça fait camp, et c’est donc parfait. Chauffez le tapis rouge les claque-pains, faites de la place les sabouleux, la plus bonne des plus bonnes de vos copines débarque sur le campus, et c’est pas pour coller des gommettes.
***
Lunettes noires, démarche fière, habillée des regards admiratifs des gamins noyés dans leurs hormones, je passe les portes de l’université comme une reine, toisant la populace estudiantine sans même y porter un regard. J’étais théâtral, me voilà spectaculaire. Expansive, déclamatoire, outrancière et délicieusement grandiloquente, plus personne ne pourra m’ignorer. J’étais un citoyen de Kobe. Désormais, je suis l’aristocratie possédante de cette ville, les névroses à la Jane Austen en moins. Car si tous les rois avaient leur reine sur le trône, nous sabrerions le champagne et lèverions nos verres. A toutes les reines en lutte esseulées, désormais vous ne dansez plus abandonnées. Yukeyona est là.
Un péquin s’approche. Du haut de ma stature hypsométriquement surplombante, je ne le reconnais qu’au dernier moment : c’est ce corniaud de Ryuji-san. Il est professeur de design. Enfin, c’est ce qu’il dit. Personnellement, je n’ai jamais pu le vérifier. Je crois qu’il me demande si je suis nouvelle. Je n’ai pas vraiment fait l’effort de l’écouter. Avoir mon oreille, ça se mérite. Du pouce combiné à l’index, je fais glisser sur le bout de mon nez le verre de mes lunettes de Soleil, jaugeant le petit pendant deux secondes, juste assez pour afficher mon dédain le plus indifférent. Je remets en place mes montures, et plante là le myrmidon, le laissant interloqué aussi bien que fasciné, seul, dans le hall résonnant de l’université. Empruntant l’escalier sans laisser transparaître la difficulté que j’éprouve à monter les marches, avec les chaussures à talons achetées sur le chemin du turbin, je pénètre dans l’étage dédié à l’intendance par des mouvements emphatiques, directionnant tout droit sur le bureau du Doyen, dont j’ouvre la porte sans frapper.
Le vieil homme, assez musclé malgré le poids évident de l’âge, me regarde avec circonspection. Je sens l’incompréhension transpercer jusqu’au fin fond de son âme. D’un geste adroit du talon, je renvoie la porte dans ses gonds, m’approche et m’assieds en face de ses yeux troublés. Puis, d’une voix langoureuse, j’expose la situation :
- Doyen, mon cher Doyen, je suis votre ancien, et votre nouveau professeur d’histoire. Si vous acceptiez de bien vouloir faire les changements administratifs afférents à la grande aventure du changement psychophysiologique que je suis en train de vivre, vous seriez un ange.
Toujours coi, le responsable du campus ne sembla pas réagir, sûrement paralysé par la rigidité de ses préconceptions de petit notable de province. Il fallait le sortir de sa transe métaphysique en employant les grands moyens ; en ayant recours, si nécessaire, à la juste violence révolutionnaire. On ne cassait pas le plafond de verre avec des méthodes de bons élèves, et Yukio était déterminée. S’il fallait tordre le bras au doyen, elle le ferait.
Léger rapprochement, tout en subtilité, et me voilà qui parle d’une voix toujours alanguie :
- Doyen, mon cher Doyen, j’ai confiance en vous. Vous ferez les changements nécessaires. Vous voyez, je m’en voudrais d’aller raconter à votre charmante épouse à quel point vous êtes un homme séduisant. Déjà que tout le secrétariat m’a vu rentrer sans rendez-vous dans votre bureau. Si j’en sors avec les cheveux ébouriffés, ça va jaser, c’est sûr. Carisa, aut amat, aut odit, nihil est tertium, pensez-y.
***
Dix-huit heures, cinquante et une minutes, treize secondes, j’attends Gareth dans son salon, tranquillement assise dans un fauteuil, en face de l’entrée, les jambes croisées, en dominance de l’environnement immédiat. Ça fait dix minutes que je patiente. Dans mon esprit, c’était plus classieux. Il ne sera pas dérangé par la tournure des événements. Enfin, je subodore. Mais bon, quand même, il n’a pas conçu un enfant avec son ex-femme par la puissance de la pensée triomphante.
La poignée bascule, il passe la porte, et je sens sur son visage le bégaiement assaillir son cerveau. Qu’il est gentil. On dirait une poule face à son reflet, un canard qui aurait trouvé une centrifugeuse moléculaire.
Après de longues secondes, il lance, à moitié pantois :
« On se connaît ? »
L’occasion pour moi d’enlever ces saletés de lunettes noires. Ainsi équipé, dans la pénombre naissante de la fin de journée, je ne voyais rien. C’est là qu’on voit que Matrix, ça reste du cinéma. Élégante et noble, je me relève, et m’approche de lui, calmement.
Sans dire un mot, je le regarde, et m’approche encore, attendant qu’il me reconnaisse, laissant le moment se lover dans sa solennité. Le silence tombe sur la pièce comme s’il s’était agi de pluie, et tout ce qui nous entoure se met à disparaître, emporté par la componction déferlante. Les bruits extérieurs, étouffés par la gravité de l’instant, nous couvrent du monde entier, et alors que nos regards se croisent, je vois ses yeux s’éberluer d’un début de compréhension réprouvée. J’approche, encore, encore, jusqu’à me porter dans ses bras prudents, qui ne savent comment réagir. Là, d’une voix faussement timide, et réprimant un sourire, je lui murmure au tympan :
- Tu ne vas pas me croire, c’est une histoire sans queue ni tête.