31 août 2021. La rentrée était dans quelques jours et c'était l'occasion pour les professeurs et les autres membres du personnel de se retrouver, de rencontrer leurs nouveaux collègues, et de prendre un café pour se préparer à une nouvelle année scolaire. Comme chaque année, une petite réunion de pré-rentrée était donc organisée dans la salle du secrétariat - parce qu'il faut un accès permanent aux machines à café, quand même ! - et tout le monde était convié. La soirée était, comme souvent, prévue pour continuer dans un bar local avec les intéressés.

C'était une petite tradition comme une autre et, avec le temps, ça avait plutôt bien fait ses preuves alors Martel avait continué de l'organiser. Les gens venaient à peu près quand ils voulaient, même si l'heure "officielle" de début de cette pré-rentrée détente était quatorze heures.

Elle ouvrit la porte du secrétariat et lança la cafetière, consciente que la moitié des gens présents, si ce n'était plus, allait se ruer dessus. Autant que ce soit prêt avec un peu d'avance. Elle n'eut pas à attendre longtemps pour voir les premières têtes arriver. À son habitude, le chargé de maintenance prit un café et se mit un peu dans son coin, même s'il échangea quelques bouts de conversation avec elle, et Mme Chapman, arrivée évidemment pile à l'heure, se pointa directement avec son petit thermos de tisane.
Certaines choses en changeaient jamais.

En ce jour de pré-rentrée, Monsieur De Chatelet est comme chaque année très serein. A chaque année, il espère découvrir dans son cours de nouveaux élèves qui sauront l'impressionner, trouver grâce à ses yeux. Le français et la littérature française sont des matières tellement fascinantes et exaltantes qu'il aspire à rencontrer sur les bancs de l'école le prochain Baudelaire, Hugo, ou même ce fameux Zola qui est la source d'un doux souvenir datant d'il y a plus de vingt ans, maintenant.

Depuis plusieurs mois maintenant, le professeur appréhende cependant un tout autre événement qui surviendra durant l'année, mais pas la rentrée des classes... En effet, il sait que durant le courant de l'année scolaire à venir, il deviendra père. Madame De Chatelet et lui-même, très heureux de devenir parents en ont profité pour passer quelques semaines de vacances bien méritées en France, au Domaine familial de Monsieur où tout le monde était ravi de les voir. A une ou deux exceptions près, mais au vu des personnes dont il était question, ça n'avait rien d'étonnant ni même important... En revanche, celle qui était la plus heureuse d'apprendre cette nouvelle était sans nul doute la jeune sœur d'Alexandre. Victoria avait toujours adoré Olivia et savoir qu'elle portait désormais la descendance de la famille en son sein décuplait son affection pour elle. Elle faisait déjà des plans pour donner à ce bébé à naître la meilleure tante du monde. La meilleure tante, mais aussi certainement la marraine, même si la question n'avait pas encore été abordée dans le couple de futurs parents, il n'en était pas moins un des choix les plus logiques. Depuis que Madame De Chatelet est enceinte, Monsieur est aux petits soins avec elle, encore plus qu'avant d'apprendre la merveilleuse nouvelle. Il tient à prendre personnellement soin de son épouse et à satisfaire la moindre de ses envies à tout moment. Elle est son trésor le plus précieux depuis toujours et rien n'est trop parfait pour elle, que ce soit déguster un plat particulier à n'importe quelle heure, quitte à le cuisiner lui-même, monter à cheval tant qu'elle le peut encore, passer un moment avec lui ou jouer du piano pour ou avec elle, Alexandre met un point d'honneur à satisfaire le moindre désir de sa femme.

Le couple se dirige alors vers le secrétariat afin de participer comme à leur habitude à la réunion de pré-rentrée, pile à l'heure. Il salue les personnes déjà présentes dans la salle. C'est alors qu'Alexandre arrive à la hauteur de la directrice qu'il salue courtoisement d'une poignée de main.

Mes hommages, Madame Raykin.

Son impeccable politesse fait partie de ce qui caractérise le mieux le professeur de français dans le corps enseignant. Pour les élèves, c'était une autre histoire. Toujours courtois, ça ne fait aucun doute, mais sa sévérité prend certainement le pas dessus. Son exigence aussi, d'ailleurs... Il espère d'ailleurs que la prochaine promotion d'étudiants saura relever le niveau de leurs prédécesseurs, dont le niveau était, il fallait l'avouer franchement, quelque peu bas. Il se dirige avec son épouse à la machine à café et se sert une tasse après lui en avoir servi une. C'est en discutant au hasard avec un autre de leurs collègues qu'Olivia engage la conversation avec Madame Calvelli, la professeur d'Italien, arrivée plus tard. Alexandre prend congé de son collègue quelques instants afin d'aller la saluer.

Mes hommages, Madame Calvelli.

Il lui serre la main à elle aussi, courtoisement avant d'écouter les plaisanteries de la blonde et d'Olivia qui suit volontiers la conversation. Alexandre pousse un rire discret après avoir bu une gorgée de café. Il intervient alors lorsque sa femme mentionne l'idée d'échanger. Voilà qui est intéressant. Une conversation à laquelle Monsieur De Chatelet serait ravi de participer.

Permettez-moi dans ce cas de m'inviter dans cette conversation. Je pense qu'échanger sur nos méthodes serait excellent pour entretenir notre créativité.

Tout est dans l'art subtil du double sens. Bien entendu, dans le contexte de la phrase, il peut autant s'agir d'enseignement que de punition, même si le terme de torture a été mentionné par deux fois. Il n'a aucune idée des méthodes de l'italienne mis à part ses coups d'éclat à base de lancers de gomme à ses élèves dont il a déjà dû parler au détour d'une conversation. Néanmoins, pour ce qui est d'apprendre aux étudiants les bonnes méthodes pour travailler et acquérir un savoir qui leur sera essentiel dans le futur, Alexandre s'avoue se demander si sa pédagogie ne pouvait pas être améliorée au contact de ses collègues. Tout avis est bon à prendre, après tout...