Le mois d'octobre. Synonyme de changement de saison, il voit naître en son sein une période débordante de créativité et ce malgré la plongée d'un long sommeil pour la nature qui, de prime abord, arbore ses couleurs les plus vivifiantes avant de s'éteindre pour de bon jusqu'à ce que la brise légère du printemps ravive ses troupes. En clair, entre ça et les fêtes qui couronnent cette ère de grands travaux, il s'agit d'un motif pour notre jeune couturier de parcourir les allées, les rues et les écrins de verdure à la recherche de l'inspiration du moment.

C'est alors sur cette base qu'il prit la peine de se lever plus tôt que prévu, de se préparer et de vadrouiller dans la ville, carnet de croquis à la main et radar aux idées allumé pour l'occasion. Bien qu'il ne soit pas difficile pour lui de créer, malgré la présence évidente de certaines pages blanches sur lesquelles il bute comme n'importe qui, une pêche aux informations reste de mise pour s'assurer de la pérennité de son art.

Il faut dire que confectionner est son leitmotiv. Les couleurs, les tissus, les matières, les sensations, les saisons, la faune et la flore, les gens et même les paysages demeurent une source inépuisable de savoirs, d'informations et d'inspiration. Alors il gambade, il flâne, s'arrête face à la devanture de certaines boutiques pour le moins intrigantes. Il prend des notes, il croque, il photographie avec les yeux et imprime directement l'image dans sa tête. Elles sont triées, certaines sont démantelées et d'autres défigurées. Des ensembles se créent, à partir de tout ou avec rien. Elles se construisent, puis se déconstruisent, s'assemblent et se séparent, créant ainsi une panoplie d'idées sommaires sur lesquelles travailler à l'avenir plus en profondeur.

A cette heure-ci, certains magasins sont encore fermés malgré l'éveil progressif de la ville de Londres. Les premiers froids arrivent et il se surprend plusieurs fois à entrer la totalité de son cou dans son pull, un geste réflexe face aux légers picotements du matin qui éveillent sa peau ou qui la taquinent en signe d'avertissement pour les prochains jours. Oui, m'habiller plus chaudement, se dit-il à lui-même en frottant succinctement ses mains entre elles. Pourtant, il le sait bien, l'avancée de la journée réchauffera les températures. Et puis, le froid, il ne le craint pas vraiment, il lui sert plutôt d'électrochoc avec comme étrange pensée de confirmation quant au fait d'être en vie et en pleine santé.

Tout en traversant la route pour rejoindre le petit parc situé non loin de l'endroit où il se situe, Timaé jette rapidement un coup d'œil autour de lui avant de rapidement sortir une clope de son paquet et de l'allumer dès lors où elle est portée à sa bouche. Pas qu'il se cache de sa consommation vis-à-vis de cette drogue, mais plutôt qu'il cherche à éviter d'avoir des commentaires qu'il n'a pas envie d'entendre, provenant souvent de mêle-tout bien plus âgés que lui poussés par un désir de le faire culpabiliser de nuire aussi bêtement à son propre corps à un âge aussi peu avancé. Les moralisateurs, il déteste et il a suffisamment donné.

Après être entré dans le parc, il zieute un peu partout pour se trouver un endroit tranquille où s'asseoir, consommer sa dose de nicotine et peut-être commencer à dessiner. La cigarette, bien que solidement entamée, toujours pendue à ses lèvres, il sort son bloc de dessin et feuillette son contenu. De nature peu conservateur d'éléments faisant partie du passé, il détient une fâcheuse manie de garder chaque croquis n'ayant pas encore servi à la réalisation de son œuvre physique. A compter de l'instant où le vêtement est sur pied, il peut se débarrasser des traces concernant sa fabrication. Avec ça, on évite les vols, on balaye le copiage. Et si, quand bien même, des petits malins s'y essayeraient, comme on le dit souvent : souvent imité, jamais égalé. Pourtant, en comparaison, en ce qui concerne les dessins à proprement parlé, de ceux qui ne font pas partie de son industrie de la mode, paradoxalement, les préserver demeure plus naturel que tout le reste.

Attrapant sa cigarette entre son index et son majeur, il laisse la fumée quitter ses prisonnières et s'élever dans l'air, s'amusant par la même occasion à faire quelques cercles avec cette dernière. Une fois arrivée à sa fin, il l'écrase contre le banc avant de la jeter dans la poubelle située un plus loin du banc sur lequel il est installé en la propulsant avec ses doigts.

Il attrape un crayon et se lance. Cherchant rapidement un sujet, il regarde autour de lui et puis aperçoit deux pigeons se courant quelque peu après. Timaé trouve la scène comique et se décide à en faire une sorte de caricature.

Initialement concentré sur son travail, une personne le rejoignant sur le banc le tire de ses rêveries et ce n'est que lorsque l'individu s'adresse directement à lui en se rapprochant qu'il relève la tête dans sa direction. A sa surprise, il s'agit de Nathan, l'un des gars avec qui il partage la chambre. Il doit avouer ne pas en savoir beaucoup sur lui. Après tout, cela ne fait qu'un mois qu'ils se "côtoient" et sans plus. Néanmoins, il doit avouer apprécier son style.

- Ah, salut, toi ! Je dessine… des… pigeons… Ils ont l'air de se chamailler et je trouvais ça drôle.

Instinctivement, son regard se porte sur ses mains durant un fragment de secondes avant de se diriger vers son visage. Sa coupe de cheveux l'a toujours amusé et son grand sourire d'enfant trop joyeux détient de quoi créer une forme de mimétisme poussant les autres à lui sourire. Ce gars est trop heureux, ça a quelque chose d'attendrissant.

- Tu cours comme ça tous les matins ? Je t'avoue que je ne m'attendais pas à ce que tu sois un si grand sportif.

A la question qui lui est posée concernant son heure de départ, il reste dubitatif, ne sachant pas trop quoi répondre. Il serait tenté de dire à l'aube, mais ça fait un peu trop théâtral et il sait pertinemment que l'école ne les laisse pas sortir avant une certaine heure.

Ses doigts se perdent dans ses propres cheveux, secouant sa tignasse brune un peu en pagaille, comme à son habitude. De son point de vue, il estime que ça fait partie de son charme et qu'une coupe trop soignée ne lui donnerait aucun autre air que celui du petit premier de classe anglais ou du jeune qui se fait passer pour un vieux. N'étant dans aucune de ces situations, le désordre lui va à merveille.

- Et sinon, p'tit champignon rose, t'es là depuis longtemps ? Dans cette école, j'veux dire.

Choisir un surnom en faisant allusion à des traits physiques, c'est aussi l'une des spécialités de Timaé. Souvent affectif, parfois dans une optique de provoquer quelques vives réactions, c'est principalement un jeu qu'il effectue avec lui-même, pour passer le temps, pour s'écarter de ce qu'on appelle si impunément la normalité. Et puisqu'on lui a déjà collé l'étiquette de la différence, autant cultiver cet attrait et le pousser à son maximum.

En regardant Nathan, il sourit. De nature trop curieux, il veut en savoir plus sur lui. Selon ses standards, on ne peut pas posséder une couleur de cheveux aussi flamboyante sans être un minimum intéressant.

Ce garçon, à ses yeux, semble être l'innocence incarnée. Souriant, toujours de bonne humeur, il n'avait jusqu'à présent jamais éveillé de soupçon auprès de l'artiste excentrique donnant de quoi jouer, comme une faille ou un excès de quelque chose dont il aurait adoré la capture. Pour s'amuser. Pour se changer les idées. Cette mauvaise manie qui l'a d'ailleurs trop souvent poussé à se créer des histoires dont il se délecte, même si elles lui coûtent cher, ainsi que des ennemis féroces où seules la haine et la rage se veulent maîtresses de la relation.

De ses yeux marrons, il l'observe, tente d'analyser sa gestuelle afin d'y desceller quelque chose ; une fragilité, un toc ou les bribes d'un secret bien gardé. Il a un peu du mal à se faire à l'idée que toute sa vie soit aussi parfaite qu'il semble essayer de le montrer à travers son attitude ou son physique. Il est doté d'une taille plutôt modeste, mais il le dépasse alors ça le fait doucement grincer des dents, il assume une part folle avec sa coupe de cheveux et il promet à quiconque s'adresse à lui ou croise son chemin l'illusion d'un gars bien dans ses bottes, ouvert et amical. Son sourire, et par la même occasion le rire qui découle de leurs premiers échanges concernant les pigeons et son surnom, peut devenir irritant. Cette insouciance. Cette gentillesse. Timaé prie pour qu'en plus de ça, il ne soit pas serviable.

- Les jeux olympiques ? Cette réflexion est-elle référence de rêve pour toi ?

Curieux à cause de cette inattendue précision concernant une compétition mondiale de sports, il cherche à comprendre pourquoi il l'a faite. Lorsqu'une comparaison est trop précise, c'est qu'il y a quelque part un sentiment caché. Devenir connu pour ses prouesses physiques, est-ce là son leitmotiv ? Si tel est le cas, cela ne ferait qu'accroître son incapacité à comprendre le désir si maladif des gens pour la célébrité. A moins que cela ne soit pas son cas, c'est pourquoi il lui pose directement la question, afin d'en apprendre plus sur lui.

D'ailleurs, la réflexion du sportif porte à ses pensées une réalisation quant à leur collocation jusqu'à présent très calme. Bon, il faut dire qu'ils ne sont pas en tête-à-tête dans leur chambre, mais cela l'étonne lui-même de ne pas avoir été tenté par l'une ou l'autre provocation de sa part. En toute honnêteté, il n'y a jamais réellement pensé. Pas que l'intérêt n'y était pas, mais il faut dire que la rentrée scolaire avec Dan a été plus mouvementée et déroutante que prévue. Oui, surtout déroutante. Dès lors, il n'y a pas une journée sans laquelle il y pense une fois, guidé par la simple volonté de comprendre pourquoi ils en sont arrivés là et quelle est la signification des actes et des paroles qui en ont découlé. La preuve, cela lui traverse l'esprit juste à l'instant alors que son partenaire de chambre -n'y voyez là aucune allusion-, va au-delà de la question et s'aventure dans une explication brève de sa vie, de sa situation familiale et personnelle.

Et si les oreilles du couturier captent avec flou les informations de son interlocuteur parce que trop enfoui dans ses propres pensées, il continue de poser son regard sur ce dernier. Il le regarde sous toutes ses coutures ou presque, à défaut de ne pas avoir une prise de dos. A cet instant précis, il remarque un changement radical de son expression. La lumière faiblit, le sourire s'enterre. Il en était sûr. Personne n'est à cent pourcents heureux dans sa vie. Alors, comme pris par un électrochoc, le plus petit des deux rebondit immédiatement sur la conversation.

- Si tu sous-entendais que je suis petit, je te suggère de bien y réfléchir avant d'oser l'affirmer. Je ne voudrais pas que quelque chose de fâcheux se produise entre nous alors que tu ne sembles pas être un mauvais bougre.

Ah, les voilà enfin, ces menaces parfumées de provocation qui lui siéent si parfaitement au teint. Touché dans son orgueil par une phrase semblant somme-toute inoffensive se présente comme la première pierre d'un édifice dédié à leur future relation, quelle que puisse être sa nature. Au départ, tout le monde est logé à la même enseigne sous le toit de la maison Amber. Le reste, c'est l'avenir qui le rédigera.

- Visiblement, tu ne sembles pas t'entendre avec ta mère. Pourquoi je ne suis pas étonné…

Tout en s'exprimant de la sorte, un peu détaché, et continuant de jongler entre les volatiles qu'il était en train de dessiner et le garçon avec lequel une conversation a été engagée, il se fige un bref instant avant d'agiter ses épaules en réponse au parcours d'un frisson ayant furtivement effleuré son dos de bas en haut. Par la même occasion, il se racle la gorge en commentant brièvement sur le responsable ; la clope. En vérité, les gestes adoptés par le p'tit champignon rose y sont pour quelque chose, mais il se refuse pour l'instant d'y aller franchement. Ça serait trop facile et cela pourrait pousser le pauvre petit ange à fuir. Cela étant dit, la chaleur provoquée par ce léger désagrément n'est pas à plaindre à la vue de la fraicheur du matin provoquée par le changement de saison.

- C'est quoi ton nom, encore ?

Sans le vouloir, sa question s'entremêle avec celle posée par son vis-à-vis. Il étouffe un léger rire avant que le sourire décorant son visage ne se change en expression dubitative, accompagnatrice d'un sourcil arqué.

- Quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire ? T'essayes de me draguer ou quoi ?

Il ne peut s'empêcher de foncer tête baissée lorsqu'on lui tend le moindre semblant de perche, volontaire ou non, et malheureusement, la plupart du temps, ça finit toujours par envenimer une situation qui, au départ, était des plus cordiales. Mais sur l'instant, il n'y prête pas attention, il ne répond même pas à la question qui lui a été posée, préférant se concentrer sur celle qui veut recevoir.

L'intonation employée n'est pas spécialement agressive, si ce n'est la tonalité quasi-naturelle du garçon au caractère puissant qu'il est. A cela, on peut même dénicher une petite part de jeu. Lui qui s'en voulait presque de ne pas avoir testé plus tôt celui avec qui il partage sa chambre, on dirait bien qu'il agit en conséquence, visiblement désireux de rattraper le temps perdu.

Du répondant, voilà quelque chose que possède ce garçon, sur lequel il peut enfin étiqueter un prénom, dont Timaé ne se serait pas douté un seul instant. A la vue de leur premier échange et de la légère analyse comportementale qu'il a faite en l'espace de leurs quelques minutes passées ensemble, il pensait avoir réussi à comprendre son mode de fonctionnement. En bref, qui il était ; un garçon plutôt mignon, ni trop grand, ni trop petit, suffisamment sportif pour courir tous les matins et entretenir sa forme, gentil au possible, souriant à toute épreuve et docile comme un le parfait petit agneau qu'il est. Cependant, c'est face aux réponses imbibées de provocation que le dessinateur réalise la fausse route qu'il avait déjà entamée, trop sûr de lui et de ses instincts. Sa capacité à cerner les autres perdrait-elle de son efficacité ou se retrouve-t-il face à un être plus mystérieux qu'il n'y paraît ?

Surpris, il hausse un sourcil et écarquille légèrement les yeux tout en fixant ce colocataire haut en couleur. Il ne parvient pas à comprendre comment il a fait pour être aussi loin de la vérité dans son jugement. Décidément, les relations humaines ne sont pas faites pour lui. Alors, il hausse les épaules et écoute les réponses du p'tit champignon rose, celui-ci s'exprimant dès lors sur la question du potentiel rêve concernant les jeux olympiques. Elle le fait sourire. A moins que ça ne soit les mimiques qui accompagnent son discours qui rendent ça plus caricatural et ironique.

Cependant, il butte sur plusieurs vicieuses intentions formées au coin de ses lèvres. "Petit", "mignon", des mots que bien trop de personnes s'amusent à lui coller sur le front simplement parce qu'il ne mesure pas 1m80 et qu'il a une gueule d'ange. Ça l'agace. Profondément. Il se mord la lèvre inférieure pour essayer de ne pas directement lui cracher au visage, au sens propre comme au figuré. Bien qu'il soit un peu trop loin de lui pour la première option.

En parallèle, il sert et détend l'un de ses poings à plusieurs reprises, faisant craquer quelques phalanges au passage. Il ne se veut pas forcément menaçant, car il se le sait suffisamment pour lui foutre les jetons sans grands efforts de sa part, mais tente une approche un peu différente de d'habitude. En temps normal, seuls les mots suffisent. Seulement, avec la rentrée mouvementée qu'il a passée et le fait qu'il soit tôt le matin, en plein mois d'octobre, et que le froid lui picote le corps, il aurait bien besoin de se défouler un peu.

- Tss.

Un léger bruitage, presque semblable à un sifflement, retentit au contact de sa langue contre ses dents. Il l'effectue en déplaçant son carnet de croquis de ses genoux au banc et en se redressant de ce dernier. Ensuite, il s'étend le corps, rejoignant ses mains, pointant ses bras tendus vers le ciel avant de les plier au-dessus de sa tête, tordant son bassin dans un sens et dans l'autre, son pull remontant un instant pour que l'on puisse voir le début de son nombril. Inconscient ou acte délibéré ? Après tout, il s'agit de Timaé.

- Tu m'as l'air bien mignon, en tout cas. Dans tous les sens du terme, bien sûr. Mais il y a des choses que tu dois savoir avec moi, c'est que je te déconseille de sous-entendre et encore moins d'affirmer que j'suis mignon ou p'tit. Ça peut très très très rapidement me mettre en colère.

Tout en faisant craquer quelques zones, il soupire de bien-être, peut-être un peu trop fort, d'ailleurs. Son regard se pose à nouveau sur sa cible dès l'instant où il lui adresse à nouveau la parole. Puisque ce cher Nathan possède toutes les armes requises pour prétendre à un match amical de provocations, ne serait-il pas temps de lui en proposer un ?

Son sourire charmeur accroché aux lèvres, il reluque sans honte le mec planté devant lui, de la tête aux pieds, une première fois, puis une seconde fois avec un peu plus de lenteur dans l'action. Tout ça n'est qu'un jeu. Il veut voir jusqu'où ce type est capable d'aller. Titiller les limites, jouer avec les interdits étant sa spécialité, il se prive rarement de toute chose, quitte à y laisser sa peau.

D'un air innocent, mais totalement décontracté, il fait semblant de regarder autour de lui pour prendre connaissance du terrain qu'il a déjà eu le temps de mémoriser dans les plus grandes lignes, simplement pour accompagner la petite phrase toute pensée dans sa tête.

- Bon, j'ai bien envie de pisser, là. Tu m'tiens mes affaires ? A moins que t'aies envie de tenir autre chose ?

Le manque de subtilité, c'est aussi tout un art. Dépendamment de la situation, le couturier jongle aisément entre pleine franchise ou perversion masquée. Or, en l'occurrence, mettre les pieds dans le plat lui paraît l'option la plus optimisée. Celle qui, très souvent, donne des résultats plutôt rapidement.

Volontairement, il va à contre-sens et élude la question qui lui est posée une seconde fois. Deux choix s'opposent alors au p'tit champignon rose ; soit il abandonne, soit il tente de braver la tornade qu'est Timaé. Quoi qu'il en soit, de son côté, le jeune Amber ne relâchera jamais sa proie.

Se méfier des apparences, voilà quelque chose qui sied si bien au petit Timaé. Ironie du sort ? Il est le premier à se faire avoir par ce qu'il instaure. Et si beaucoup se font bien trop souvent duper par son physique "mignon" et sa p'tite gueule d'ange, il vient de tomber dans le piège entourant le jeune Nathan. Lui aussi, il semble adorable et aussi docile qu'un chien et pourtant, il vient aisément de prouver le contraire sous le regard ébahi de l'artiste.

D'abord, la surprise d'avoir été aussi facilement berné par un garçon dont il pensait ne faire qu'une seule bouchée. Ensuite, la réalisation, la prise de conscience du manque de jugeote de la part d'un garçon pourtant très sûr de lui et qui est passé maître dans l'art de la domination verbale. Et enfin, la frustration, la colère que l'on ressent lorsque l'on ne peut plus cacher le fait de s'être fait avoir par ce qui pourtant nous semblait si évident.

Dès lors, il lui faut riposter et ne pas montrer la moindre déstabilisation, aussi futile soit-elle. Le jeune couturier ayant eu l'habitude de ce genre de situation, il est bien conscient du danger que peu représenter la baisse d'une garde ou le fait de foncer tête baissée dans un leurre. Il ne se fera pas avoir.

Alors, il joue le surpris, l'étonné et continue sur sa lancée avec cette nonchalance si caractéristique de l'artiste.

- Moi, surprenant ? Oui, c'est ce que beaucoup disent après m'avoir rencontré. J'imagine que cela doit être vrai, n'est-ce-pas ?

Une fois encore, il élude la partie susceptible de lui faire défaut, car exposer des failles ne signifierait rien de plus que donner des armes gratuites à ses adversaires. A quoi bon expliquer que ses interactions avec Dan en début d'année l'ont perturbé et que l'ignorance qui en a découlé depuis maintenant un peu plus d'un mois le fait souffrir ? Il pourrait s'en moquer ou pire, l'utiliser contre lui. Cependant, il s'agit d'un sujet bien trop sensible pour pouvoir se retrouver dans les mains de n'importe qui. A moins que ces personnes ne craignent pas les coups. Sinon, il y a son attrait pour les mains d'hommes et les gants et le fait que celles de Nathan soient grandes et désormais couvertes transmettent des informations pour le moins... perturbantes auprès du rebelle. Là encore, l'avouer serait trop simple.

Pour l'heure, il se réjouit plutôt de se dire que le garçon lui faisant face montre enfin les crocs ou du moins qu'il prouve avoir plus d'un tour dans son sac. Il faut dire que les gentils petits agneaux sont un peu trop ennuyeux. Ici, au moins, il y a du répondant et c'est suffisant pour faire bouillir d'excitation le sang du provocateur en herbe.

- Me suivre, carrément ? Tu sais, souvent ça commence comme ça et puis ça finit par déraper plus rapidement qu'on ne le pense. Je me suis peut-être trompé sur toi, t'es p'têtre pas aussi pur qu'on le pense.

Sous-entendre une forme de perversion, qu'il soit potentiellement guidé par un désir de le plaquer dans un coin discret pour toucher à une petite partie bien particulière, en somme le faire passer pour plus désinhibé qu'il ne l'est réellement est désiré, afin de voir comment le garçon va réagir. Pour certains, il n'y a rien de pire que de se faire accuser à tort sur quelque chose qui s'avère être faux. Et si monsieur est aussi parfait et a réponse à tout, il ne se mettra pas en colère pour si peu, pas vrai ?

Timaé attend et il jubile déjà d'impatience, certain que son coup sera fatal -ou du moins qu'il fera quelques délicieuses explosions-. Et afin d'enfoncer le clou un peu plus profondément, une étincelle de génie apparaît dans son esprit, le sourire diabolique accroché aux lèvres.

- Oh et donc si je ne suis pas suffisamment indépendant pour la tenir tout seul, alors... tu viendras m'aider ? J'en conclus que ça n'est pas l'envie qui te manque.

Jouer sur les mots, c'est toujours aussi amusant. Avoir l'air ne signifiant pas que la personne l'est obligatoirement, cette nuance dans la phrase fut suffisante pour que le couturier s'en serve avec le plus grand plaisir. Et en prime, ce dernier n'ayant jamais catégoriquement exprimé un refus, Timaé se permet de réitérer la question.

Ce Nathan, il a quelque chose de sympathique, il faut bien le dire et ce n'est pas Timaé, avec son grand sourire accroché aux lèvres, qui prétendra le contraire. Nié la réalité serait se tirer une balle dans le pied et il ne trouve aucun intérêt à le faire si ce n'est amuser la galerie. Seulement, il n'en est pas là et préfère demeurer aussi franc et transparent qu'il est dans la vie de tous les jours. C'est d'ailleurs pour cette raison que sa proposition qui, en soi, n'était que de la provocation pure peut tout aussi bien être une naturalité dépassant tout entendement.

Un manque cruel de pudeur et des valeurs basiques de la bienséance. Au diable les courtoisies empreintes d'une hypocrisie dégoulinante, il préfère grandement le bon-vivant à la nature morte. Avoir son intimité tenue par un beau garçon, ami, amoureux ou amant, quelle est son importance ? Si le plaisir du moment est partagé et qu'en plus il est utile, rien n'est trop gênant pour l'artiste excentrique.

Cependant, il doit admettre que la répartie insoupçonnée d'un agneau égaré est tout aussi alléchante que les accessoires ajoutés à sa tenue du jour. D'ailleurs, lorsque le jeune sportif lève les mains dans une volonté d'accompagner des propos, il ne peut s'empêcher d'admirer ces deux masses sombres allongées par des doigts de pianistes.

- Décidément. Celui ou celle qui aura la chance d'en profiter aura gagné le jackpot, dis-moi.

Inutile de préciser à quoi fait référence sa réflexion. Si le garçon est malin et attentif, il comprendra, sans quoi l'interrogation sur son visage sera tout aussi délicieuse que leur petite joute verbale du moment.

Avec attention, il le fixe encore quelques instants, puis passe une main sous son propre pull afin de se gratter le ventre tandis que son regard se perd aux alentours.

Après quelques instants, il s'avance vers lui avec aisance et assurance jusqu'à ce que les derniers pas qu'il lui reste à faire risquent de résulter en une accolade ou en un baiser passionné. Mais, pour l'instant, il lui tend une main.

- Histoire d'officialiser notre rencontre. Timaé Amber.

Passer du coq à l'âne, ne pas toujours garder une ligne conductrice fixe lors des discussions ou des échanges, quels qu'ils puissent être, c'est aussi l'une de ses spécialités ; être le plus imprévisible possible ou tout simplement se laisser aller à ses envies de l'instant. En somme, dès que quelque chose lui passe par la tête, il détient ce besoin d'y accéder et le met trop naturellement à exécution.

A l'instant t, il a besoin de sentir sa poigne. Selon ses propres croyances, elle définit une personne en fonction de la force qu'on lui insuffle, de la durée désirée et de la façon de l'y amener ou encore de la positionner. Observateur depuis sa tendre enfance, il apporte une importance capitale à bien trop de détails. La façon de se tenir, l'expression générale du visage, la coiffure que l'on désire adopter, la couleur de cheveux que l'on a choisi d'arborer, le style vestimentaire ou les pièces sélectionnées du jour, les accessoires ajoutés, l'odeur dégagée par un parfum, un gel douche, une crème ou un shampoing, parfois celle du corps, de la peau, la sensation de cette dernière, la température qui la caractérise ou encore la moiteur d'une paume. Un assortiment presque extensible à l'infini capable à lui seul de suggérer des hypothèses préconçues sur à peu près tout le monde. Parfois, elles se confirment avec le caractère. Et parfois, elles s'infirment et prouvent que l'on a été dupé.

Comme une sorte de connexion indirecte avec la personne lui faisant face, il attend que celui-ci accède à sa requête silencieuse. Il le défie de l'accepter. Et l'adrénaline provoquée par l'extension de cette action lui interdit de perdre son sourire ravageur.

Cet instant attendu finit par se réaliser, ce moment important où leurs deux mains se lièrent par la paume et qu'une salutation sincère se fit entre les deux adolescents pourtant colocataires, au sein même de l'école dans laquelle ils étudient tous les deux. Cette poigne, ferme, un tantinet virile, mais avant tout guidée par le cœur eu l'effet d'une véritable secousse auprès de l'artiste excentrique qui se crût désormais capable de lire plus aisément dans l'esprit du sportif à la crinière rose. Son expression changea à plusieurs reprises durant cet échange, de la surprise à un sentiment agréable par le biais du toucher de cette matière l'empêchant de profiter de sa chair en passant par un contentement distinct.

Tel il l'avait prédit, cet échange lui permit, en tout cas selon ses propres croyances et interprétations, de pleinement prendre conscience de la personne lui faisant face depuis le début, en plus d'être celui avec qui il partage sa chambre. Un gaillard un peu plus grand que lui, appréciant le sport en guise de défouloir sans pour autant s'y adonner corps et âme, mais surtout pourvu d'une grande fragilité enfouie derrière un sourire destiné à se sauver de n'importe quelle situation. En clair, un brebis égaré et blessé, mais qui n'hésite pas à charger le premier loup qui se présente à lui semblant mettre en péril sa propre sécurité.

Timaé mit un certain temps à relâcher la main de celui qui se prénomme Nathan et s'arrangea, lors du moment crucial, pour emporter avec lui ce tissu qui cacha la couleur de ses doigts, s'emparant de l'accessoire en question, le faisant tournoyer par l'une des lanières désormais vidée du moindre habitant, sourire aux lèvres et satisfaction répartie sur tout le visage.

- Si tu veux récupérer ton gant... et par la même occasion recevoir quelques réponses... il va falloir venir le chercher...

Aussi rusé qu'un renard, le couturier sait pertinemment comment jouer avec les nerfs des autres et s'arrange continuellement pour les pousser dans leurs retranchements, les forçant à agir selon leurs propres impulsions, dévoilant leurs secrets inavoués, les parts de leur personnalité que seul leur inconscient peut connaître. En soi, quelle importance détiendrait ce bout de chiffon ne servant qu'à maintenir au chaud ces petites mains lors des hivers les plus rudes ? En quoi cela pourrait-il être un indice concernant sa personnalité ? Peut-être rien de tout cela, mais qui ne tente rien, n'a rien et Timaé n'a, en l'occurrence, absolument rien à perdre si ce n'est la chance d'en savoir plus. Tous les moyens sont bons, des plus vicieux aux plus directs pour arriver à ses fins et aucun obstacle n'est assez haut, large et épais pour le dissuader d'agir de la sorte. Et s'il s'avère que la muraille est indestructible, la forteresse impénétrable ou le marais infranchissable, les égratignures résultant aux nombreuses tentatives vouées à l'échec ne feront que toujours plus lui procurer le goût de persévérer.

Il a la tête dure et admet volontiers être trop borné pour facilement laisser tomber la moindre quête se présentant à lui. Après tout, il aime se mettre dans le pétrin et a continuellement besoin de se changer les idées, de se transmettre à lui-même, par le biais d'autrui, des sensations diverses et variées.

En suivant cette logique, il commence à reculer en le narguant avec la partie manquante de sa tenue du jour, puis passe sa main voleuse dans son dos au cas où son colocataire s'avouerait être plus vif qu'il n'y paraît, ce qui rendrait son petit tour plus court que prévu. Qui sait quelles autres cachettes pourraient être utilisées dans le cas où le p'tit champignon rose s'avouerait être véritablement désireux de récupérer ce qui lui appartient.