Désert.

Cette nuit a été un foutoir sans nom. Une multitude de pensées embrouillées est venue l'envahir pour une profonde insomnie, cacophonie sans bruit, bousculade incontrôlée de mots et divers souvenirs. Une véritable bouillie désordonnée. Son corps alourdi a longuement traîné sous son immense couette, elle-même séparée de sa housse a force de supporter ses brusques mouvements. Agacement. Décompte. 1h03, un soupire d'exaspération. 1h07, un râle. 1h32, il appuyait plus fort sur le bouton d'allumage. 2h01, la lassitude s'est pointée. 2h03, il s'est redressé par dépit. Sont ensuite venues les phases du deuil de son sommeil.

A commencer par le déni.

"Bon. Si j'arrive à m'endormir dans une dizaine de minutes ça ira. Je vais y arriver. Il n'y a pas de raison, hum."

Pour la colère, un majeur adressé au plafond accompagné d'insultes proférées à l'encontre de divines forces mystiques supérieures ou engeances profanes qui l'auraient potentiellement maudis.

Le marchandage.

"Allez, je vais m'occuper une trentaine de minutes et je serai assez fatigué pour avoir au moins un peu de repos."

La dépression.

"J'vais pas dormir. Je hais ma vie."

La reconstruction s'est vue ignorée et l'acceptation rejetée tandis que l'instant fatidique approchait. Un rayon de soleil s'est doucement frayé un chemin entre ses rideaux noirs pour s'échouer sur son pauvre visage meurtrit.

Ah ça, pour entamer sa matinée quoi de mieux que se laisser griller les rétines. Ca ne lui manquait pas, ces phases abominables de nuits blanches insupportables. A la moindre source de lumière Ian avait l'impression de devenir dingue. Il s'essayait d'abord à s'enrouler sous sa couette en grommelant. Tant pis pour ses projets, heureusement qu'il n'a pas de cours à donner. Son crâne heurtait sa table de chevet à forcer de bouger dans n'importe quel sens. Il enrageait dans son oreiller. Un flot de grossièretés incompréhensibles s'étouffaient dans le coton épais alors qu'il mordait dedans.
Enfin, en bon vampire peu amateur de bains de lumière aveuglante donc, l'homme s'est levé dans le but de se préparer à affronter sa rude journée. Journée de merde on va pas se mentir. Déjà envie de tout péter. Il shootait dans un meuble au hasard. Nouveau grondement sourd après s'être démonté le pied dessus.

Subtilité, finesse, le Ian dans toute sa splendeur et sa sauvagerie.

Malgré ses difficultés cependant, le Ian préservait un semblant d'espoir pour l'avenir. Il s'est donc rapidement évadé jusqu'à la cafétéria -non sans enfiler une de ses tenues les plus formelles- de l'école pour boire un smoothie aux fruits rouges. Une maigre consolation pour ses précédentes mésaventures. Néanmoins, un gamin avec une occupation reste plus tenable qu'un gamin en pleine crise existentielle. Ainsi, penché sur son siège les yeux rivés sur son écran de portable, il se concentre. Voilà un long moment qu'il s'applique à défier des vagues de monstres sur un petit jeu random de son répertoire. Il dérouillait fièrement les ennemis les plus redoutables: de quoi se défouler tout en remportant des coffres rares. D'ailleurs, l'un, unique, lui décrochait un fin sourire. Une jolie couleur avec des paillettes brillantes indique souvent un niveau de rareté qu'il n'a, d'ordinaire, pas la patience d'atteindre.

Oh, oui. Vous vous doutez que ses misères ne devaient pas s'arrêter là? En effet, lorsqu'on blâme en vain les hautes instances divines le karma veut qu'on en paye les conséquences. Hors, un "putain de bordel de merde de putain de...chier" équivaut à un coup de vent indéterminé venu lui ôter soudainement son unique petit plaisir. En réalité, dans son passage une inconnue frôlait brièvement la chaise sur laquelle il se balançait. Paf. Un simple petit son ténu s'est élevé dans la salle. L'objet lui a échappé des mains pour s'écraser violemment sur le sol carrelé.

Ahuri, il s'est figé plusieurs secondes. Quand il réalisait, sa main s'est empressé de ramasser le portable: l'écran est noir. Eteint. Il appuie plusieurs fois sur le bouton d'allumage, sans résultat. Il tente d'étouffer intérieurement sa haine. C'est ce qu'il a cru faire du moins. La main gauche qui tenait son smoothie venait de l'éclater. Son contenu s'est répandu sur sa main à travers la paille pliée.

- J'vais tout cramer. C'est officiel.