Tout a commencé par des photos qui n'auraient jamais dû être prises. Des images soutirées de force, pour de l'argent, pour sa sécurité, pour ne pas finir brisée. N'est-ce pas cohérent que ce soit une photo qui détruise tout ce qui restait d'intact ?
Chelsea ne pouvait détacher son regard de l'image qui s'affichait trop nettement sur son écran. Une photo qui n'aurait jamais dû être prise... C'était difficile de passer à côté, ça avait été trop difficile pour que l'image passe entre les mailles du filet, parce que ses yeux avaient été irrémédiablement attirés par la couleur devenue familière. Et celle, nettement moins familière, collée contre lui. Son cœur se serra une nouvelle fois et elle déglutit de force, tentant encore de se convaincre de poser l'appareil sur la table et de ne plus le regarder. Mais ses mains étaient comme vissées sur le plastique.
Tu restes mon refrain préféré. Un goût amer remonta dans sa gorge, le poids d'une existence qu'elle n'avait jamais eu la force de porter.
La musique que j'entends dans ma tête depuis notre première rencontre. Un sourire tout aussi amer étira le coin de ses lèvres. Qu'avait-elle espéré ? Les adolescents étaient tous les mêmes. Menteurs, fourbes, lâches, égocentrique, obsédé par une seule chose.
Ses yeux descendirent malgré elle le long de la photo, quittant les visage collés l'un à l'autre pour s'attarder sur les courbes trop moulées qui avaient été bien mises en valeur par le photographe. Rien de surprenant là-dedans. C'était la seule chose qui comptait, non ? Son visage était mal cadré, par contre. Un peu flou. Moins important. Suffisamment dans le cadre pour voir ses lèvres, et celles auxquelles elles étaient accrochées.
Qu'est-ce que tu croyais.Elle se força à inspirer longuement pour calmer les fourmis qui remondaient dans ses doigts crispés et dans ses orteils. Un son qu'elle pouvait entendre ; le vent dans les arbres du parc. Une odeur qu'elle pouvait sentir ; l'odeur de l'herbe encore humide de la pluie de la veille. Quelque chose qu'elle pouvait percevoir ; la chaleur du banc contre ses jambes. Quelque chose qu'elle pouvait voir... Non. Non, elle devait se concentrer sur tout sauf sur ça si elle voulait espérer reprendre le contrôle. Elle ne connaissait pas cette fille. Depuis combien de temps connaissait-elle Luka ? Combien de fois était-ce arrivé ? Est-ce que ça avait seulement de l'importance ? L'air vide, Chelsea sentit son angoisse tenter de reprendre le dessus, et elle se recroquevilla sur elle-même. Comment avait-elle pu ne serait-ce qu'un instant penser qu'elle était plus qu'une simple marionnette entre les mains des autres ? C'était ainsi qu'elle avait passé sa vie, il n'y avait aucune raison que ça change.
Quelque chose remonta dans sa poitrine. Une indignation qu'elle avait trop longtemps contenue, trop longtemps rejetée. Elle pensa à sa rencontre avec sa mère, à toute la colère qui avait brûlé dans ses veines en la voyant - un mensonge de plus dans une vie qui n'avait au final contenu aucune vérité. Son poing se resserra sur son téléphone. À quoi bon en avoir un ? Elle ne pouvait l'emmener nulle part et quand elle le regardait, c'était pour tomber sur ce genre de chose. Son bras agit avant elle. Poussé par la force et l'habitude, il se releva et projeta le petit appareil avec toute la puissance acquise après des années à taper dans un ballon. Le téléphone s'éclata contre un arbre, faisant sursauter quelqu'un qui passait par là et qui la regarda avec des yeux écarquillés avant d'accélérer le pas.
- C'est ça, dégage.Qu'on la laisse tranquille. Elle ne voulait plus être en contact avec la moindre engeance qui pouvait apparaître dans un lycée. Qui avait osé prétendre que l'adolescence était une période agréable ? À quoi bon côtoyer des personnes aussi méprisables ? Non, les adolescents ne méritaient pas son attention. Il lui restait deux ans à tenir. Deux ans, et elle serait adulte, elle pourrait laisser toute cette pitoyable tranche d'âge loin derrière elle. Tout laisser derrière elle. Elle avait eu tort. Il n'était pas resté l'enfant qu'elle connaissait. Il était juste comme les autres. Elle bascula la tête en arrière avec un soupir. Les années à venir promettaient d'être un calvaire beaucoup trop long. Ne pouvait-elle pas juste partir maintenant ?
Elle se leva maladroitement de son banc.
J'ai l'impression de ne pas assez faire attention à toi, de ne penser qu'à moi. Chelsea ricana amèrement. Peut-être qu'il avait dit la vérité, finalement. Est-ce qu'il avait seulement eu une pensée pour elle, avec cette blonde dans les bras ? Sans doute pas. Sans doute qu'elle n'était pas vraiment importante, à côté de ce genre de personne. Elle ne savait pas faire la fête, elle ne savait pas se faire des amis, elle ne savait pas discuter. Elle ne savait pas vivre.
Rien d'étonnant à ce que ça se termine comme ça.
Tant pis.
