5 août
2022

Les règles, c'est surfait

Mino Masaki

Les cours d'été étaient bientôt terminés. À vrai dire, elle ne savait même pas pourquoi elle persistait à s'inscrire à ces trucs. Bon, ok, ses notes avaient baissé, mais déjà, la première fois, ce n'était pas vraiment sa faute mais celles de toutes les aberrations qui lui étaient tombées dessus en fin d'année, et là, au contraire, elle s'était améliorée. Mais elle passait de justesse. Et passer de justesse, ça voulait dire prendre le risque d'échouer à nouveau, et de redoubler à nouveau, et de faire une année de plus dans ce lycée. Plutôt crever.

Son rendez-vous avec l'assistante sociale était le lundi suivant. Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle allait lui dire, ni de comment ça allait se passer. Coralie Jones était une personne sympa, le genre avec qui elle s'entendait bien, mais elle n'aimait pas pour autant l'idée que ce soit elle qui vienne juger si elle avait assez purgé sa peine pour ce crime imaginaire, et si elle pouvait changer de côté de l'école. Ou juste de programme. Franchement, l'un comme l'autre la soûlaient. Passer en Potion, ça voulait dire se coltiner un psy. Passer à l'ISS, ça voulait dire se traîner des gens comme Damen dans certains de ses cours, et traîner avec des gosses de riches sans problèmes dans les autres. Sauf qu'ils n'avaient pas vraiment de raison de prolonger son passage en Forge. Coralie allait prendre sa défense, et ses dossiers feraient le reste. Son comportement de sale gosse débutante au lycée n'allait pas à l'encontre de ses conditions d'incarcération, elle avait joué la prisonnière modèle tout du long en espérant se barrer le plus vite possible. Et au final ses notes lui avaient fait défaut avant tout le reste. Quelle ironie.

En tout cas, elle n'était absolument pas prête pour repasser au tribunal, et elle avait besoin de se détendre. Seule. Loin de la salle commune et de tous les autres endroits où elle avait le droit d'aller avec son téléphone, mais où elle se coltinait l'insupportable présence d'autres adolescents. De trop d'adolescents, même. Pourquoi est-ce qu'il y avait autant de monde dans ce lycée ?

Au final, elle avait fini par décider de grimper sur le toit, chose qui aurait pu être simple s'il n'y avait pas toute cette histoire de carte magnétique. Le seul toit qui était accessible, c'était la cour supérieure de l'ISS, donc elle n'avait pas du tout envie d'y aller. Quand à celui du bâtiment de cours... pourquoi pas, après tout. Il devait bien y avoir un moyen d'ouvrir la porte sans avoir le droit...

Elle commença à chercher des méthodes pour forcer des portes magnétiques sur son téléphone en montant les escaliers, trébucha sur une marche, finit par atteindre la porte en question. Alors, le boîtier ne marchait qu'avec les cartes de Castel et elle n'avait pas de compétences en électronique. Et apparemment, les serrures magnétiques ne pouvaient pas être forcées. Super... Peut-être qu'en détruisant le boîter, ça pourrait marcher ? Ou juste en attendant que quelqu'un passe et en bloquant la porte ? Mais est-ce que les Castel venaient vraiment patrouiller sur le toit ?
Elle aurait dû trouver un autre endroit...

5 août
2022

Les règles, c'est surfait

Mino Masaki

Bon, cette porte avait visiblement l'intention de lui résister pendant un long moment... Quelle idée de mettre un système de sécurité pareil... Franchement, un code d'accès, c'était pas suffisant ? Ou même une clef ? Non, il fallait qu'ils installent un système de cartes magnétiques super chiant qui l'empêchait d'aller où elle voulait. Oui, c'était le but, mais c'était insupportable. De quoi avaient-ils peur ? Qu'elle saute dans le vide, ou qu'elle jette quelqu'un par-dessus la rambarde ? Elle soupira en relâchant la porte.

- Fais chier...

Elle avait juste envie de se poser à l'écart du monde, c'était vraiment trop demander ? Pourquoi avait-on eu l'idée débile de l'envoyer dans un lycée ? Franchement, à ce stade, elle aurait été mieux en taule. Ou dans la rue. Au moins on lui aurait foutu la paix.
Parlant d'adolescents, elle fut interrompue dans sa série de pensées négatives par l'arrivée d'une camarade de classe. Enfin... une fille qu'elle se rappelait vaguement avoir aperçue à la soirée de l'autre abruti imbu de lui-même.

- Non, c'est bien ça le problème.

Si elle savait ouvrir ce genre de portes, elle serait pas là comme une idiote à fixer ce foutu boitier électronique. Elle avait presque envie de le défoncer à coup de poing pour voir si ça fonctionnerait. Après tout, pendant l'ouragan, certaines portes étaient restées ouvertes avec la coupure de courant, donc c'était un peu quitte ou double, non ? Avec un peu de chance, ça pouvait fonctionner...
Elle répondit à sa question par un vague son d'assentiment avant de regarder à nouveau le boîtier. La prochaine fois, elle volerait une carte de Castel, ça lui permettrait de ne pas avoir à se prendre la tête avec ça, et ça ne pouvait pas être bien compliqué.

5 août
2022

Les règles, c'est surfait

Mino Masaki

Bon, il devait bien y avoir une manière de ouvrir cette porte. Si elle n'avait pas du tout le niveau ni les compétences pour pirater quoi que ce soit et réussir à désactiver le boîtier, elle pouvait toujours trouver autre chose… mais quoi ? Elle n'avait pas le moindre outil sous la main pour forcer la porte.

- T'es pas là depuis longtemps, toi. Y en a partout, des portes comme ça.

C'était même en partie son pire cauchemar, parce que si une porte se refermait derrière elle et la bloquait, elle était bonne pour faire une crise d'angoisse de compétition. Raison pour laquelle elle vérifiait sa carte si souvent que ça en devenait presque un toc.

- On est à l'IRS, la moitié des gens ici ont déjà essayé de se foutre en l'air donc ils allaient pas leur offrir l'accès sur un plateau.

Et puis même sans ça, dans toutes les écoles du monde, c'était impossible d'accéder au toit, a priori. A part le bâtiment de l'ISS qui avait apparemment hérité d'une cour supérieure après la construction des bâtiments du collège. Super. Sauf que qui disait cour supérieure accessible disait aussi lycéens, et même possiblement collégiens, dans ladite cour supérieure. Autant dire que c'était même pas la peine d'y penser.

- Au pire si t'as les mains lestes tu peux toujours essayer d'en piquer une.

Elle n'a pas la moindre idée de qui est cette fille, mais vu qu'elle a semble-t-il décidé de lui faire la conversation, autant qu'elle se rende utile au passage, non ? Ça ne lui coûte rien. Au pire pour équilibrer les risques…

- Si on se fait choper je dirai que c'est moi qui l'ai volée, si tu veux.

Ou qui l'a convaincue de le faire. Bref, si c'est la vérité et pas un mensonge monté de toutes pièces, elle est prête à passer pour une vilaine corruptrice.

5 août
2022

Les règles, c'est surfait

Mino Masaki

- D'accord, d'accord.

Quoi qu'elle ait voulu dire, Chelsea ne se sentait pas vraiment concernée. Écouter les gens faisait pourtant partie de ses compétences, avant. C'était même un de ses traits principaux, écouter sans parler, la raison d'une de ses premières disputes avec Luka avant qu'ils sortent ensemble parce qu'il voulait qu'elle lui parle de ce qu'elle ressentait. Mais depuis qu'ils s'étaient séparés, et depuis qu'elle avait rencontré sa mère, elle n'aimait pas plus écouter qu'elle n'aimait parler. À quoi bon ? Les gens, quand ils disaient quelques choses d'un tant soit peu intéressants, pouvaient aussi totalement mentir. Et elle n'avait pas spécialement envie de faire copine-copine avec une adolescente, de toute façon.
Toujours la pire tranche d'âge de l'humanité. Enfin, peu importe.

- Je te demanderai pas comment tu connais les méthodes en question. Mais sécurité ou pas, tant qu'on aura des gens prêts à se taper l'ascension pour sauter, ils prendront pas le risque. T'as vu la hauteur des murs du lycée ? S'ils sécurisent autant la route, c'est pas pour prendre le risque que les élèves se jettent du toit à défaut de se jeter sous une voiture.

Elle parle d'un ton détaché, sans véritable émotion, concentrée sur le boîtier magnétique. Il doit bien y avoir un moyen de pirater cette connerie. Peut-être qu'elle aurait dû prendre des cours d'électronique, finalement. Enfin, peu de chances qu'ils enseignent le piratage de leur propre système de sécurité, mais en grappillant des infos à droite à gauche…

- Fin, l'ISS ont une cour supérieure, eux. C'est juste nous les phénomènes de foire.

Et elle n'avait aucune envie de changer ça. L'uniforme bleu lui garantissait une certaine tranquillité, tant que personne ne savait véritablement pourquoi elle était là. Certains s'en doutaient, les autres présumaient en se basant sur son amabilité légendaire. Ça faisait moins de gens pour essayer de lui parler, une paix que porter l'uniforme de l'ISS ne lui garantirait pas. Raison pour laquelle il allait falloir qu'elle réfléchisse sérieusement à son entretien avec son assistante sociale.

Quand elle suggéra de voler une carte, l'adolescente se dédouana très vite. Ouais, l'inverse l'aurait étonnée – et aurait été un énorme coup de chance. Il y avait sûrement des personnes arrêtées pour vol dans cette école, mais réussir à tomber sur l'une d'elle alors qu'elle en avait besoin aurait été un coup de pouce du destin.
Or, il avait plutôt tendance à lui donner des coups de poing que des coups de pouce.

- Ça m'étonnerait que j'en sois capable.

Elle soupira. Déjà, avec ses cheveux roses, elle attirait l'attention, sans compter que la plupart des Castel la connaissaient un peu trop bien. Elle savait être discrète. Mais comme pour le fait d'écouter les autres, c'était avant. Quand elle flottait comme un fantôme dans l'école.

- Je peux toujours tenter le coup, mais bon on peut pas vraiment dire que je passe inaperçue.

5 août
2022

Les règles, c'est surfait

Mino Masaki

Qu'ils se barrent et qu'ils recommencent leur conneries, hein. Ouais, si les IRS arrêtaient d'être des petits cons dès qu'ils se retrouvaient dans le lycée, cette école aurait nettement moins de problème. Malheureusement pour les profs, Chelsea avait plus empiré après son arrivée que l'inverse. Elle était passé de fille dans son coin prompte aux crises d'angoisse et incapable de regarder les gens dans les yeux à manifestation du rejet de l'autorité. Dommage pour eux. D'un certain point de vue, ça comptait comme du développement personnel, non ?

- Pff, les ISS sont pire que nous. Déjà ils ont Damen, ils gagnent mille points de connerie ambulante.

À lui tout seul, il valait dix IRS. Il était plus dangereux pour lui-même - et pour les autres - que la moitié des pauvres gamins engoncés dans leur uniforme bleu. Mais à l'ISS, il y avait aussi les fils de riche qui appréciaient leur famille au lieu de la détester, les gens normaux, les gens heureux, les gens avec un avenir brillant tout tracé. Elle préférait encore rester de son côté que de côtoyer ce genre de personnes, c'étaient celles qui finissaient par faire des sales coups comme Lena. Au moins avec les IRS, on savait à quoi s'attendre, ils étaient tous brisés d'une manière ou d'une autre et ils n'avaient pas besoin de le cacher. Pour rester de ce côté, elle était même prête à balancer ses traumatismes à son assistante sociale. Plutôt passer en Potion qu'en Tradition à la prochaine rentrée.
Rien que l'idée d'avoir un risque d'être dans la même classe que l'autre abruti de blondinet blindé de thunes lui donnait envie de rechanger de pays.

- Mouais, pas faux. T'es quand même un tout petit peu moins voyante.

C'est grave de dire qu'elle n'avait pas vu ses cheveux ? Il faut dire qu'elle avait à peine tourné la tête dans sa direction, trop concentrée sur le verrou qui lui résistait. La personne qui avait conçu ce truc n'avait pas fait les choses à moitié, et c'était chiant. La solution de piquer une carte semblait être la seule viable - ça ou espérer que quelqu'un ouvre la porte du toit. Mais bon quelles étaient les chances que ça arri...
...ve.
Sérieusement ?
La poignée de la porte du toit se mit à bouger et Chelsea recula d'un bond, attrapa la fille sa réfléchir et l'entraîna à l'écart pour se cacher derrière une armoire. C'était un surveillant ? Un prof ? Quelqu'un qui sortait de là avec un élève qui avait visiblement eu la même idée qu'elles, mais avec un peu plus de chance. Enfin, façon de parler, vu qu'il s'était fait choper. L'index sur les lèvres, Chelsea fit signe à sa camarade de ne pas faire de bruit, jusqu'à ce que les deux s'éloignent. L'avantage du système magnétique, c'était que les gens ne prenaient pas toujours la peine de fermer derrière eux, puisque la porte se verrouillait toute seule.

Dès que le prof eut descendu quelques marches, Chelsea glissa vers la porte, juste à temps pour bloquer le battant avec son pied. Et grimacer. Merde, cette porte était beaucoup plus lourd que prévu, et ses chaussures vraiment pas faites pour ce genre de chose. Elle la repoussa avec ses mains en s'efforçant d'ignorer la douleur, puis fit signe à l'autre fille de la rejoindre. Si le surveillant n'entendait pas la porte se refermer, il reviendrait vérifier, mieux valait faire vite.
Elle trouverait une excuse plus tard pour expliquer à l'infirmerie pourquoi elle avait mal au pied.

5 août
2022

Les règles, c'est surfait

Mino Masaki

- Je le connais aussi bien que la moitié des gens de cette ville, c'est à dire assez pour avoir envie de le rayer de la carte.

Bon, elle exagérait un peu, Damen était désagréable mais tant qu'elle ne lui parlait pas et qu'il ne respirait pas trop près de sa tête, elle pouvait tolérer d'exister sur la même planète. Il suffisait de s'assurer de bloquer tous ses réseaux sociaux et de ne pas trop souvent regarder la télé…
Bon, Damen était son opposé total et il lui tapait facilement sur les nerfs.

Blondinet insupportable mis à part, elles étaient en train de planifier un possible vol de carte d'accès Castel quand quelqu'un quitta le toit. Un adulte en train de punir un élève un peu trop audacieux. Comme elles, mais en moins discret, visiblement. Toujours est-il que Chelsea parvint de justesse à bloquer la porte, non sans y laisser une partie de son pied au passage. Est-ce qu'ils étaient obligés de la faire aussi lourde ?

- Ouais… On va pas entrer dans les détails sur le pourquoi du comment.

De bons réflexes et un mouvement tirés tout droit du début de son adolescence. Tellement ancrés dans son corps qu'elle aurait pu les avoir en dormant. Elle grimaça un peu en faisant tourner sa cheville.

- Ça… va. J'ai eu pire. Mais je m'attendais pas à ce qu'elle soit aussi lourde.

Enfin au moins, maintenant, elles étaient sur le toit, tranquilles. L'essentiel était de ne pas assez s'approcher des barrières pour être repérés depuis la cour. C'était probablement comme ça que l'élève d'avant s'était fait repérer, autant éviter de subir le même sort.

- Il va me falloir une bonne excuse pour l'infirmerie, par contre.

"Je me suis coincée le pied en essayant de bloquer la porte du toi" n'était pas une très bonne raison si elle s'était vraiment fait mal et qu'elle avait besoin qu'on la soigne. Enfin, elle verrait ça plus tard.

5 août
2022

Les règles, c'est surfait

Mino Masaki

Ouais. Tout le monde avait ses secrets, effectivement. L'avantage d'avoir vécu les siens en Australie, c'était que la plupart des gens d'ici n'y connaissaient rien. Aucun adolescent britannique normalement constitué n'en avait quoi que ce soit à faire des équipes junior de volleyball australien, et c'était parfait comme ça. À part certains profs de sport qui cherchaient un peu trop dans son dossier et qui lui demandaient avec un peu trop de naturel d'expliquer ce sport qu'elle détestait de toute son âme, elle goûtait à la douceur de l'anonymat. Les enfoirés qui s'amusaient à fouiner dans son passé pour essayer de connaître la raison de sa présence à l'IRS avaient passé leur chemin depuis que Luka leur avait cassé le nez, aussi, ce qui était plutôt pas mal.
Même si elle avait fait une grosse crise d'angoisse en le voyant se battre ; bref, histoire ancienne, on passe à autre chose.

- Hm. Je les échange avec toi quand tu veux.

Et tant qu'à faire, toutes les raisons pour lesquelles elle s'était autant impliquée dans un sport qu'elle trouvait ennuyeux à mourir. Par habitude, elle se massa le poignet. Six ans qu'elle avait fait l'erreur de se blesser sur le terrain, erreur que son père lui avait fait payer au centuple, et elle n'arrivait toujours pas à se débarrasser de ce tic.

- Nan, la blessure serait différente si tu m'avais marché sur le pied. Vu que c'est latéral, c'était…

Stop. Non. Trop de connaissance sur le sujet des blessures, c'était un autre détail qu'il valait mieux oublier.

- Enfin de toute façon, ça m'étonnerait qu'on me pose la question.

Déjà parce qu'elle n'avait pas l'intention d'aller à l'infirmerie. Elle y passait déjà assez souvent pour retrouver son calme après ses crises d'angoisses, elle préférait s'épargner des visites supplémentaires.

- Sur ce toit, si. Mais quand le collège était pas encore fini de construire, je traînais là-bas.

Elle montra l'étage du gymnase de l'IRS, un peu plus loin de l'autre côté de la cour, qui avait été rajouté relativement récemment. Quelques années à peine.

- Je montais là pendant les travaux. Mine de rien, les toits en construction c'est plutôt sympa comme perchoir, et ils avaient pas encore installé de système de sécurité, donc pour peu d'avoir assez d'agilité pour grimper les échafaudages, c'était tranquille.

Elle avait rencontré un mec, là-bas. Ils avaient fumé un clope, il avait soufflé de la fumée entre ses lèvres, elle était restée perturbée une semaine. Une anecdote qu'elle avait gardé pour elle jusque là et qu'elle continuerait de garder pour elle. Elle n'avait jamais revu ce gars mais c'était son souvenir, elle n'avait pas envie de le partager.
Bon, en vérité, elle n'avait pas envie de partager la grande majorité de ses souvenirs, mais au moins celui-là était positif.

5 août
2022

Les règles, c'est surfait

Mino Masaki

Difficile de dire si elle y gagnerait au change ou non. S'il y a bien une chose qu'elle a appris de son propre cas, c'est qu'on ne sait jamais vraiment ce que vivent les gens au quotidien. Personne n'aurait jamais pu deviner ce qui se passait chez elle dès que la porte de la maison était fermée. Ni le voisins ni Luka qui la voyait pourtant régulièrement en cours, ni ses équipières de l'équipe de volley qui avaient préféré la forcer à choisir entre la violence et l'exhibition, ni ses profs, ni ses médecins, ni personne. Les gens comme son père ne subissaient pas de conséquences.

- Être douée n'est pas toujours un cadeau.

Elle avait des compétences qu'elle aurait échangées contre à peu près tout. Un talent dans un sport qu'elle exécrait, une forme physique un peu trop exemplaire de manière générale, même si elle commençait à perdre depuis qu'elle était arrivée à Indarë et qu'elle ne participait quasiment pas en sport, une capacité entrée à force de menace d'utiliser ses deux mains aux même niveau, ambidextrie tout sauf naturelle qu'elle n'aimait pas plus que le reste. Tout ce que son père lui avait intégré dans le crâne, elle le détestait. La seule chose qu'il lui restait, c'était la musique, et elle n'était pas sûre de pouvoir continuer de l'apprécier sans penser à celui qui lui avait appris ce que c'était.
Si tous les souvenirs étaient associés à des gens, c'était peut-être mieux de ne pas avoir de souvenir.

- Parce que j'ai l'habitude de justifier des choses injustifiables. Ne t'en fais pas pour ça, j'ai vécu pire.

Elle s'était fracturé la cheville pendant l'ouragan de 2019, déjà. Un foutu objet qu'elle n'avait pas vu à cause de l'inondation des loges et qui avait piégé sa jambe. Ça avait permis de soigner les restes de la blessure provoquée par son père juste avant qu'elle quitte l'Australie et dont elle n'avait parlé à personne. Mentir sur les raisons de ses blessures était une seconde nature. Un instinct de survie. La douleur au pied passerait.

- C'est pas si dangereux. Les échafaudages, c'est quand même fait pour supporter le poids de plusieurs hommes adultes et de matériel, alors une ado pas très grande et pas bien lourde comme moi, c'était à peine un courant d'air pour ce truc.

Sa taille faisait partie des rares choses qu'elle aimait chez elle. Pour une raison simple : le volley était un sport pour les personnes assez grandes, et elle était petite. Sans doute en partie à cause des traitements de son père, et elle appréciait l'ironie. Il voulait faire d'elle une championne au centre de l'attention, et il l'avait privé d'un avantage en essayant de la contrôler.

- Et au moins, là-haut, j'étais tranquille. Les ISS ont une cour sur un de leurs toits, du coup forcément, il est blindé de monde. Je préfère être ici.