Niko n’avait jamais aimé être regardé droit dans les yeux, et ce, pour plusieurs raisons. La première résultait du secteur familial : chez elle, on préférait regarder le front ou le menton lorsque l’on s’adresse à son allocutaire, surtout lorsqu’il s’agissait de sa grand-mère. Le schéma appliqué à l’extérieur, les rares personnes qu’il lui arrivait de regarder aussi fixement avaient toute une certaine proximité avec elle. La deuxième raison, elle, provenait tout droit de son pays natal : pour les siens, fixer, c’est un synonyme d’intimidation. Bien sûr, elle n’était pas au Japon et bien sûr, le petit garçon qui occupait la pièce ne l’était pas non plus. Surtout qu’il n’était pas fautif, qu’il n’avait rien commencé et ne faisait que soutenir le regard d’une espèce de démon à couette qui ne l’avait sans aucun doute pas encore remarqué. Alors, on aurait pu l’excuser, se souvenir que nous étions à Indarë, loin du Japon, où l’éthique n’est pas la même.

Oui, mais voilà. Devoir, Philo, horloge. Rien ne va. C’est qu’elle n’était pas d’humeur à être compatissante. Rien ne lui permettait de l’être du moins.

Une vingtaine de secondes étaient passées avant que l’intéressée ne sente quelque chose la fixer. Ce n’était ni méchant ni même lubrique, assez dérangeant néanmoins pour qu’elle se doive de revenir sur terre et enfin débusquer ce qui l’irrite. Comme on l’avait compris, le trouble-labeur s’apparentait à un garçon quand bien même ses traits rappelaient à la demoiselle ceux d’une jeune fille. Mais son uniforme lui, c’était celui du genre opposé. Sûrement, était-il androgyne ? Elle aurait pu trouver cela mignon, si son grand regard vert n’était pas braqué sur elle comme un enfant lorgnerait un paquet de bonbons. Du moins c’est ce qu’il lui semblait, sa vision devait lui jouer des tours. Elle avait plutôt l’air d’un diable aliéné que de confiseries affriolantes avec ce drôle d’air presqu’effarouché. Sûrement, aurait-elle été davantage ennuyée si elle avait su à quoi il était en train de penser. Mais pour l’heure, le hasard avait d’autres projets et épargnait le garçon d’une couche d’aigreur supplémentaire dont il était jusque-là indigne.

Niko tiqua discrètement, après avoir s’être raidie. Mais elle garda la bouche fermée et avait réussi en partie à maintenir le contrôle sur son petit corps en plein effort musculaire, de sorte à masquer sa surprise qui, semble-t-il, n’avait pas lieu d’être si l’on venait de la défier. « Qu’est-ce que c’est que ça ? » songe t-elle, consciente qu’une montée d’exaspération grimpait progressivement en elle. C’était du rapide. Elle inspira silencieusement et orienta un peu plus son visage en direction du malavisé, non sans lâcher le stylo qu’elle s’était entrepris à déboucher pour réécrire ses notes. Une ambition qui allait sans le moindre doute être de retardée pour un moment.

Désormais pleinement consciente de la situation, bien que très très mal interprété par un esprit pourtant très éclairé, Niko se redressa sur son siège, adoptant alors une position beaucoup plus agréable pour elle et tente de faire abstraction des cliquetis de l’horloge et de tout le reste en liant aussitôt ses pupilles aux siennes. Comme à son habitude, n’avait pas envie de jouer, en revanche, elle avait très envie de lui remonter les bretelles et lui apprendre à ne pas fixer de la sorte une demoiselle.